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Peninsula de Yeon Sang-ho : chevauchée frénétique d’une armada de zombies, une poignée de vivants et d’une cohorte de véhicules indestructibles !

Après Seoul Station (2016), film d’animation qui servira de préquelle à l’ovni du box office mondial 2016-2017, Train to Busan, Yeon Sang-ho continue à surfer sur la vague de son succès et propose avec Peninsula une suite à ces aventures zombiesques sud-coréenne, même si le réalisateur précise que ce n’est pas une suite au sens strict du terme car « il n’y a pas une continuité dans l’histoire, mais pour autant cela se passe dans le même univers ». Pas besoin donc d’avoir vu les deux films précédents – mais cela serait dommage, car ils portent une fraîcheur et un souffle qui commence lentement à se prosaïser dans ce nouvel opus – pour comprendre la trame de Peninsula.

— Gang Dong-won et Kim Do-yoon – Peninsula
Image courtoisie Praesens-Film AG

Lorsque l’invasion de zombies secoue la Corée du Sud, le soldat Jung-seok échappe de justesse à l’enfer et se réfugie avec le dernier bateau autorisé à partir à Hong Kong. On le retrouve quatre ans après, vivant dans une misère sociale et relationnelle – les réfugiés sont maltraités par la population locale et accusés d’être porteur et vecteur d’une maladie mortelle (tiens, tiens, cela nous rappelle quelque chose de très contemporain et ce que d’aucuns appellent « le virus chinois ») ; il reçoit une offre de la part du crime organisé qui lui permettrait de sortir de sa condition : il doit, avec trois autres personnes, retourner dans la péninsule totalement coupée du monde et trouver un camion au milieu de Séoul infestée de zombies pour ramener sa cargaison. Il accepte la mission à contrecœur car il ne veut pas abandonner son beau-frère, peu expérimenté dans les combats, qui veut y aller à tous prix. Une course contre la mort commence : des nuées de morts-vivants tombent sur eux comme une plaie d’Égypte et, pour corser le tout, une milice de soldats rescapés, qui s’étaient organisés pour aider et sauver les gens en attendant les secours internationaux, devenus totalement tarés (il n’y a pas d’autres mots), dont le seul plaisir est de se livrer à une version des jeux du cirque avec des joutes mortelles entre zombies et ceux qu’ils appellent les « chiens errants », des survivants isolés et capturés lors de leur raids nocturnes pour trouver de la nourriture. Explication lapidaire et probante : « Personne ne répondait à leurs SOS, alors ils sont devenus tarés ! »
Dans ce chaos, une aide bienvenue, celle d’une famille de rescapés qui va toutefois éveiller des souvenirs douloureux à Jung-seok et ouvrir la parenthèse moralisatrice du film, évacuée dans les films précédents comme dans la scène d’ouverture : le réflexe de survie individuel qui bride celui de l’entraide.

Peninsula de Yeon Sang-ho
Image courtoisie Praesens-Film AG

Si le film bluffe par sa cinématographie – les moyens ont été mis et le résultat est probant (les images post-apocalyptiques ont été créées par plus de 250 artistes VFX [intégration des effets spéciaux]), il pèche par le formatage de l’histoire permettant de plaire et d’être compris par un public très large géographiquement, avec une longue fin très emphatique, probablement concoctée pour nos contrées occidentales avec ses relents de fin hollywoodienne. En revanche, pour ceux qui aiment les courses-poursuites de voitures, Peninsula en compte de nombreuses, dont une d’anthologie qui dure près de 20 minutes ! L’autre point fort de ce film est paradoxalement la situation dans laquelle le monde se retrouve depuis janvier dernier, aliéné par la pandémie Covid-19. Ces courses trépidantes contre la mort en marche permettent au spectateur de réaliser une sorte de brève catharsis face au coronavirus qui envahit tous les espaces de la vie, et les clins d’œil répétés et jubilatoires, reprenant le propos du Dernier train pour Busan qui dénonçait le capitalisme omnipotent de nos sociétés, lancés vers la vacuité du bling-bling, du clinquant, des attractions humaines ressemblant à du Luna park et des jeux vidéo, symbolisés ici par le fait que les zombies changent de direction, se précipitent en masse là où il y a de la lumière et du bruit, ce qui donne aux vivants une possibilité de leurrer et d’échapper aux morts-vivants. Une autre référence prégnante à la situation planétaire, qui nous rappelle l’état de la planète, lorsqu’un grand-père dit à sa petite fille : « Pardonne-moi de te faire vivre dans un monde pareil. » Petite fille combattante et bien ancrée dans sa réalité qui d’ailleurs symbolise avec sa petite sœur l’avenir et la résilience de ce monde mangé par ses pairs.
Peninsula ne se prive pas pour autant d’un certain humour, dans la tradition des micro-phases de respirations dans les films d’horreur, qui ponctue les cavalcades d’écrasements de masse de zombies, avec cependant le trait le plus drôle et le moins attendu dans le pré-générique où sur un plateau de télévision étasunien, un expert et une journaliste résument, bien à propos il vrai pour le spectateur, et analysent la situation circonscrite à la Corée du Sud avec cette remarque de la journaliste : « Une chance donc que la réunification n’ait pas eu lieu ! » ; une jolie cocasserie  en référence à la politique trumpienne et, même si cela n’est certainement l’intention du réalisateur, une aberration factuelle – Kim Jong-un est vraiment très fort pour avoir pu arrêter le virus sur la ligne de démarcation des deux Corées ! – qui n’en est pas une pour ceux qui ont vécu Tchernobyl et se sont entendu dire en 1986 que le nuage toxique s’était arrêté à leurs frontières.

Peninsula de Yeon Sang-ho
Image courtoisie Praesens-Film AG

Malheureusement ces idées filées sur les trois films du réalisateur finissent un peu en lambeau dans ce dernier épisode, noyées quelles sont dans la démonstration filmique et sonore et les scories pleines de pathos de l’histoire familial qui vient se greffer au fil conducteur principal. Le sort d’un peu toutes les suites aux films au succès inespéré dont la production, profitant de la manne, donne trop de moyen (le budget ici doublé) au réalisateur qui finit par en perdre sa créativité.
Espérons que Yeon Sang-ho sorte de la veine aurifère du magistral et haletant Dernier train pour Busan et se remette sur les rails de son cinéma purgé du superflu.

Malgré tout, sorti en juillet en Corée du Sud, ainsi qu’à Hong Kong, Singapour et en Malaisie, le film s’est immédiatement retrouvé numéro un au box office (20 millions de dollars le premier week-end) – ceci dit, la concurrence n’était pas nombreuse…

Le film, initialement sélectionné en compétition officielle à Cannes, fait partie des 56 long métrages qui ont reçu le label du Festival de Cannes 2020 après l’annulation de l’évènement.

De Yeon Sang-ho; avec Gang Dong-won, Lee Jung-hyun, Lee Re, Kwon Hae-hyo, Kim Min-jae, Koo Kyo-hwan, Kim Do-yoon, Lee Re, Lee Ye-won; Corée du Sud; 2020; 114 minutes.

Malik Berkati

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