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Les Filles désir, premier long-métrage de Prïncia Car, propose un récit d’apprentissage choral et joyeux mais parfois bancal

En sélection officielle à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes 2025, Les filles désir s’affiche avant tout comme une aventure collective, tant dans la forme chorale comme dans la trame.

Les Filles désir de Prïncia Car
© 2025 SND

Dans les quartiers nord de Marseille, en plein été, Omar (Housam Mohamed), tout juste vingt ans, porte le projet de faire ouvrir une maison de quartier pour les enfants de la cité. Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : celles qu’on baise et celles qu’on épouse. Le retour de Carmen (Lou Anna Hamon), amie d’enfance d’Omar et ex-prostituée, toujours vêtue très sexy, fait tourner les têtes et remet en question la donne des relations du groupe. La fiancée officielle d’Omar, Yasmine (Leïa Haïchour), dix-sept ans, vit mal l’irruption de cette fille tant solaire qu’aguicheuse dont elle ignorait l’existence. Le retour inopiné de Carmen bouleverse et questionne leur équilibre, le rôle de chacun dans le groupe, leur rapport au sexe et à l’amour, et surtout leur considération des femmes et de leur indépendance. Le passé trouble de Carmen sème la discorde au sein du groupe d’amis – citons Kader Benchoudar (Tahar), Mortadha Hasni (Ismaël), Achraf Jamai (Ali), Nawed Selassie Sait (Momo) -, et n’est que la partie émergée d’un iceberg de créativité, d’ambitions mêlées, de rivalités, de soirs inavoués, de jeu de séduction et de convoitise.

Prïncia Car a rencontré les jeunes acteurs et co-dialoguistes il y a huit ans, lors du tournage de son court métrage, Barcelona (2019). À cette occasion, la cinéaste et le groupe de jeunes ont mis en place un système d’écriture collaboratif. Depuis, Prïncia Car et ces jeunes ne se sont plus quittés et ont réalisé ensemble de nombreux formats courts. Les Filles du désir est né de cette dynamique chorale avec quatre ans d’écriture plateau.

La cinéaste est enfant de la balle, elle qui a grandi dans une troupe de théâtre, avec ses parents qui partaient souvent en tournée. Intuitivement, elle a choisi de suivre les pas de ses parents mais se tourne vers le septième art. Devenue réalisatrice, assistante de production, scénariste, elle fonde en 2018 une école alternative de cinéma à Marseille. Depuis, elle enseigne à travers divers ateliers et cours du soir dans les quartiers nord, avec pour objectif d’intégrer le cinéma, et plus largement l’art, dans le quotidien de jeunes souvent tenus à l’écart de la culture en raison de difficultés économiques ou éducatives. Dans la lignée de la troupe de théâtre fondée par ses parents, elle crée sa propre troupe de jeunes avec qui elle réalise de nombreux court-métrages et clips primés.

La liberté laissée aux acteur·trices et les réécritures constantes ont engendré des changements de dernier minute. Le film s’est construit à partir de longues séances d’improvisation, où les comédien·nes ont inventé les dialogues à partir de leurs vécus, d’où un tangible sentiment de véracité tout au long su film. La cinéaste de préciser : « Même après vingt prises, ils proposaient encore des répliques spontanées » Même s’il s’agit d’une fiction, la cinéaste a tenu à ce que son fil soit hyperréaliste. La réalisatrice a laissé libre cours à l’humour, la vivacité, la tchatche des jeunes, ce verbe qui s’avère parfois leur seule arme face aux difficultés et qui fleurit tout au long du film. La façon qu’ont les jeunes de parler, d’aimer, de survivre infuse chaque scène donnant naissance à un cinéma enraciné, porté par celles et ceux qui y vivent qui n’est pas sans rappeler, dans le verbe, ce phrasé qui fleure bon le sud de la France, Diamant brut, d’Agathe Riedinger.

Au fil de huit années de collaboration avec les jeunes, la cinéaste et sa scénariste ont fait l’expérience du groupe : de sa puissance, de sa solidarité, mais aussi de ses limites. En tant qu’auteure, la cinéaste souligne y avoir vécu une expérience particulière : « celle d’être une femme au sein de ce collectif, d’observer les autres femmes, leur place, leur marge de manœuvre, leurs libertés, mais aussi les dynamiques de domination ».
Cet aspect collectif est d’ailleurs revendiqué dès le générique d’ouverture, avec ce carton « Participation à l’écriture du film » suivi d’une liste de noms qui occupent tout l’écran… Mais c’est justement là où le bât blesse, cette dimension chorale laissant parfois à désirer. Malgré ses faiblesses, on retiendra du film des messages qui s’inscrivent dans l’ère du temps : ce groupe de jeunes, fort, joyeux, reste aussi enfermé dans certaines valeurs : le couple hétérosexuel est le seul socle et le mariage le seul moyen de préserver l’intégrité de la femme. La cinéaste et le groupe de jeunes comédien·nes ont tenté de montrer qu’il existe d’autres voies, parfois plus stables et plus riches, comme l’amitié, la sororité et les rencontres entre femmes, comme finiront par l’expérimenter Carmen et Yasmine, des possibilités qui peuvent offrir aussi une émancipation et une liberté.

Dans Les Filles désir, le quartier est présenté comme l’ADN du récit comme celui du groupe qui l’incarne. Il en résulte que le film n’est pas une fiction plaquée sur un décor : il naît du quartier, de ses jeunes, de leur énergie, voire de leurs synergies, de leur parole mais aussi de leurs tensions, de leurs dissensions comme quand il s’agit de leurs opinions sur les filles. À peine le sujet abordé surgit le machisme et sa kyrielle de limites à imposer aux femmes.

La cinéaste a voulu restituer la sensation d’un été à Marseille, cette lumière blanche qui inonde les cités, cette mer toujours audible, parfois proche, parfois lointaine. Le tournage en bord de mer a demandé une grande rigueur sonore pour entendre la mer sans qu’elle n’efface les voix. Visuellement, la ville est éclatante, solaire, à rebours des clichés sombres souvent associés à ses quartiers. Avec ses couleurs vives, ses décors réels et ses corps en mouvement, Marseille devient un personnage du film, accompagné par la musique signée Damien Bonnel et Kahina Ouali.

La réalisatrice a fait le choix de réaliser le tournage en décors réels, mis en lumière par la photographie de Raphaël Vandenbussche. Ainsi, tout a été filmé dans les lieux de vie des jeunes : un vrai centre aéré, un vrai appartement, un vrai snack. Prïncia Car a refusé les studios pour conserver l’authenticité, et c’est tout à son mérite. La caméra filme à 360°, sans « quatrième mur », ce qui a permis aux comédien·nes d’évoluer naturellement dans l’espace. Le naturel, le spontané sont partie prenante du film : par exemple, les passant·es entrent parfois dans les plans, devenant malgré eux témoins ou participant·es d’un tournage en symbiose avec son environnement.

Sur les écrans romands ce mercredi

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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