Avec Falcon Lake, Charlotte Le Bon réussit son baptême cinématographique en signant un premier long métrage qui flirte avec maîtrise entre film d’adolescents, film fantastique et drame
Connue comme actrice, artiste, animatrice de télévision et mannequin en France, la pétillante Québécoise Charlotte Le Bon est déjà passée derrière la caméra pour réaliser un court-métrage remarqué, Jutith Hotel (2018), présenté à Cannes, film qui convoquait l’étrangeté et l’onirisme. Ces deux éléments se retrouvent dans son premier long métrage, également sélectionnée à la Quinzaine des Réalisateurs en 2022, mais Charlotte Le Bon pousse l’exercice plus loin en mêlant avec maestria et harmonie plusieurs genres cinématographiques : le film d’adolescents et leur éveil sensoriel, le thriller, le film fantastique, le drame.
Le long métrage de Charlotte Le Bon s’ouvre sur le lac qui donne le titre au film. La cinéaste a choisi de transposer sur grand écran et dans son Québec natal l’histoire du roman graphique intitulé Une Soeur, signé par Bastien Vivès. C’est sur les rives de Falcon Lake que deux adolescents vont se rencontrer. Bastien (Joseph Engel), un adolescent de treize ans, et sa famille sont invités à passer l’été chez des amis de ses parents. Le film s’ouvre sur la voiture des estivants français qui arrivent chez leurs amis québécois; la caméra suit alors Bastien alors qu’il taquine son petit-frère pour aussitôt le câliner. Dans la foulée, Bastien fait la rencontre de Chloé (Sara Montpetit) pour laquelle il a aussitôt le béguin, mais ce n’est pas gagné vu l’attitude revêche et bougonne de Chloé. Les vacances se déroulent dans la torpeur de l’été, entre soirées festives et nonchalance lascive au bord de ce lac dont l’aspect marécageux et mystérieux intriguent puis inquiètent, surtout à partir du moment où Chloé raconte qu’il y rôde des fantômes avec lesquelles elle réussit à communiquer. Devant l’air médusé de Bastien, elle lui précise que les fantômes sont des personnes qui sont mortes trop jeunes, qui n’étaient pas prêtes à mourir, en ajoutant que les fantômes voient leurs proches sans réaliser que ces derniers ne peuvent pas les voir.
Charlotte Le Bon poursuit cette chronique estivale de deux jeunes adolescents d’une manière onirique, envoûtante et progressivement enivrante et ensorcelante. Au fil des vacances naissent les premiers émois entre Chloé et Bastien, suivis des premiers frôlements d’un amour naissant, les premiers gestes hésitants et malhabiles, les premiers baisers et les premières caresses maladroites dans la découverte du corps de l’autre. Reléguant les adultes au second plan, la réalisatrice se consacre pleinement à Bastien et Chloé, mais aussi à la bande de copains de la jeune fille qui les utilise pour mieux provoquer le désarroi de Bastien et se jouer ainsi de son attirance flagrante mais pudique; elle réussit à éviter tout voyeurisme et toute impudeur. Peu à peu, Charlotte Le Bon distille des éléments anxiogènes au bord de ce lac ou dans la maison qui abrite les deux familles, une maison isolée en bois et dont les planches et les escaliers craquent, une forêt dense qui entoure le lac. La réalisatrice revendique cette dimension fantastique et angoissante avouant qu’elle adore les films d’horreur depuis son adolescence, période où elle regardait avec ses amies Scream, Souviens-toi… l’été dernier ou encore Shining. Falcon Lake a été tourné dans une petite ville des Laurentides au Québec, appelée Gore, à proximité d’un cimetière : s’agit-il d’un hasard ?
Avec justesse, la réalisatrice laisse planer une douce mélancolie, un sentiment que vivent souvent les adolescents dans cette période charnière, une mélancolie qui peut devenir un refuge, voire une alliée. C’est ainsi que Charlotte Le Bon adopte un style calme, fluide, contemplatif et méditatif.
Pour incarner de manière si équilibrée et esthétique son récit, la cinéaste a su trouver le bon duo : Charlotte Le Bon avait déjà repéré Joseph Engel dans L’homme fidèle (2018) de Louis Garrel alors que le jeune acteur n’avait que dix ans. Quant à Sara Montpetit, qui est militante écologiste au Canada, c’est elle qui a répondu à une annonce vidéo en ligne et s’est immédiatement imposée face à quatre-cents postulantes. Le duo d’adolescents fonctionne à merveille, de manière symbiotique, à la fois parfaitement juste et délicatement troublante. Quant au grain de l’image et à la photographie évanescente et picturale, Charlotte Le Bon a choisi de réaliser Falcon Lake en pellicule 16 mm et souligne :
La matérialité de la pellicule induit une esthétique plus subtile et surprenante que le numérique qui a tendance à tout égaliser et même affadir. En plus, avec la pellicule, pour des raisons économiques, il est impossible de multiplier les prises à l’infini pour piocher ensuite dans le tas. Cela impose une discipline sur le plateau car il y a une matière physique à respecter.
Comme évoqué en début de critique, Charlotte Le Bon a opté pour une adaptation libre d’une bande dessinée de Bastien Vivès. Vu la polémique qui sévit depuis plusieurs semaines afin d’annuler la venue de l’auteur au Festival de bande dessinée d’Angoulême – L’association « Innocence en danger » a porté plainte le 20 décembre 2022 pour délit de pédopornographie contre l’auteur qui est visé par une enquête -, la question morale de parler de Falcon Lake se posait mais il est apparu évident de ne pas pénaliser le film de Charlotte Le Bon pour toutes ses qualités tant formelles que narratives en arguant le fait que la réalisatrice s’est inspirée de cet album bien avant tous les remous qu’il suscite.
Charlotte Le Bon a découvert cet album que Jalil Lespert (qui l’a dirigée dans Yves Saint-Laurent, film sorti en 2014) lui a offert en lui suggérant d’en faire un film. Charlotte Le Bon a tout de suite perçu la dimension cinématographique de cette histoire mais a surtout choisi de de se réapproprier le récit afin d’en faire une œuvre intime et par ce truchement, de donner une nouvelle identité à l’histoire, ce qu’elle est parvenu à concrétiser avec le soutien de François Choquet à la scénarisation, en y apportant de nombreuses différences, à commencer par le décor. La bande dessinée de Bastien Vivès se déroule en Bretagne au bord de la mer alors que Charlotte Le Bon a décidé de déplacer le récit au Québec, au bord d’un lac des Laurentides, des paysages qui ont bercé son enfance.
Falcon Lake a l’indéniable mérite de se démarquer des nombreux films d’adolescence amenant au cours du récit des tropes du sous-genre, à la fois déconcertants et captivants, couronnés par une chute inattendue qui donne à réfléchir sur le film que l’on vient de visionner.
Avec son premier long métrage, Charlotte Le Bon offre un joyau dans le style narratif, dans la direction d’acteurs, dans la technique parfaitement maîtrisée : la réalisatrice est à suivre avec attention ! Après avoir été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022, Falcon Lake a obtenu le Prix d’Ornano-Valenti au Festival du Cinéma Américain de Deauville et le Prix Louis Delluc du Meilleur Premier Film … Des prix grandement mérités !
Firouz E. Pillet
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