Lausanne : L’Hermitage expose les Trésors du Petit Palais de Genève
Au printemps 2025, la Fondation de l’Hermitage accueille les chefs-d’œuvre du Petit Palais de Genève, une collection impressionniste et postimpressionniste, particulièrement originale et diversifiée, à voir jusqu’au 1er juin.
Image courtoisie Association des amis du Petit Palais, Genève
Réuni à partir des années 1950 par Oscar Ghez, un industriel d’origine tunisienne qui s’intéressait à la peinture de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, cet ensemble témoigne d’un esprit de collectionneur remarquablement libre. Il lui arrivait d’acheter des fonds d’atelier entiers mais il se fiait surtout à ses coups de cœur.
La directrice de la Fondation de l’Hermitage, Sylvie Wuhrmann fait remarquer :
« Oscar Ghez ne s’est jamais fait conseiller et achetait selon son instinct avec un goût résolument anticonformiste. Sa collection se distingue ainsi par une présence très marquée de la figure humaine, mais compte finalement peu de paysages. Il s’est arrêté aux années 30, l’art abstrait ne l’intéressant pas. En revanche, elle inclut de nombreux artistes un peu à la marge de leur temps, des femmes souvent victimes du machisme du marché de l’art, ainsi que des peintres en exil, dans lesquels il devait certainement se reconnaître. »
C’est grâce à son esprit libre et anticonformiste que ce collectionneur atypique ne se cantonne pas dans ses choix aux grands maîtres ou aux artistes reconnus, mais se pique d’intérêt pour divers sujets en sortant des inventions sociales, s’intéressant au travail des femmes peintres à une époque où elles étaient souvent reléguées au rang de muses. Oscar Ghez s’intéresse à tout, et en fin avant-gardiste, il ose. Ainsi, la collection du Petit Palais comporte six-cent-trente peintures, gravures et dessins de Théophile Alexandre Steinlen, l’artiste lausannois avait réalisé la célèbre affiche Tournée du chat noir, que le public commençait à oublier. C’était sans compter sans l’intervention du collectionneur qui le remit sur le devant de la scène, ou plutôt sur les cimaises de son musée.
Sylvie Wuhrmann souligne :
« Oscar Ghez a collectionné et s’est intéressé parmi les premiers à ces carrières d’artistes qui avaient été complètement délaissées par l’histoire de l’art, par le marché de l’art qui a été, et est encore certainement, très machiste. »
Le collectionneur s’est intéressé à la peinture de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle sans limiter ses choix aux grands maîtres. Il fait alors l’acquisition de magnifiques tableaux d’Édouard Manet et d’Auguste Renoir, mais aussi de toiles somptueuses d’artistes moins connus alors, comme Gustave Caillebotte, Théophile-Alexandre Steinlen, Charles Angrand, Maximilien Luce, et Louis Valtat, dont certaines sont devenues depuis des icônes. Oscar Ghez a également acheté de nombreuses œuvres de femmes peintres, comme Marie Bracquemond, Jeanne Hébuterne, Nathalie Kraemer, Tamara de Lempicka ou encore Suzanne Valadon, bien avant que leurs carrières soient étudiées et enfin reconnues. Parmi les soixante-et-un artistes présentés à l’exposition, dix sont des femmes.
Le Petit Palais, un héritage culturel
Disparu en 1998, Oscar Ghez, ne s’est pas contenté de collectionner près de 5000 œuvres, mais a aussi créé le musée du Petit Palais, sis Terrasse Saint Victor, au cœur de la Vieille Ville de Genève, pour mettre en valeur et rendre accessibles les créations de ces artistes souvent inconnus du public, une particularité que commente Sylvie Wuhrmann :
« Oscar Ghez, lorsqu’il a créé son Petit Palais, a organisé des expositions rétrospectives de ces artistes qu’il a véritablement contribué à faire connaître. »
Fondé en 1968 dans un hôtel particulier pour y présenter ses collections d’art moderne (peintures, sculptures et dessins), Le Petit Palais de Genève faisait sensation après l’ouverture d’un autre musée privé, la collection Baur, qui avait ouvert ses portes en 1964. Fermé depuis 1998, ce musée privé abritait une collection d’œuvres d’art des grands courants de 1870 à 1930, et particulièrement les peintres impressionnistes et les pointillistes de L’École de Paris. C’est dans cette maison aux formes intérieures insolites et alambiquées qu’Oscar Ghez met en lumière tous les trésors qu’il a dénichés. Ne se contentant pas que des espaces d’habitation, il va jusqu’à créer trois étages de sous-sols, aménagés dans les anciennes fortifications la cité.
Après la mort du fondateur, le musée ferme donc en 1998. Son neveu administre l’institution de 2000 à 2005. Les œuvres font l’objet de prêts pour des expositions temporaires en Suisse et à l’étranger – sous l’étiquette : Les Amis du Petit Palais.
Quant au lieu choisi par Oscar Ghez pour accueillir sa collection, cet hôtel particulier de style Second Empire, a été construit en 1862 par l’architecte genevois Samuel Darier. L’édifice, de deux étages, présente sa façade la plus ornée du côté de la vieille ville, non loin de l’Église russe. En 1967, le propriétaire entreprend de faire agrandir ce bâtiment, qui passe à six étages, dont trois en sous-sol. Les travaux d’excavation ont mis au jour l’ancien mur d’enceinte de la vieille ville. Aujourd’hui, cinq étages sont destinés aux expositions, le troisième sous-sol est une réserve d’œuvres. Ce lieu culturel emblématique pour les Genevois· es était la fierté de la ville du bout du lac et la fermeture du Petit Palais a suscité moult émois. Orphelines de musée, les œuvres phares se sont mises à voyager, permettant au public du monde entier d’accéder à la collection colossale d’Oscar Ghez de Castelnuovo.
L’exposition lausannoise offre l’opportunité de découvrir cette collection inaccessible depuis vingt-cinq ans. On y retrouve Le Steinlen qui a longtemps fait l’affiche du Petit Palais. C’était l’artiste fétiche d’Oscar Ghez, qui possédait d’innombrables œuvres du Vaudois de Paris. L’Hermitage base aujourd’hui sa publicité sur Le pont de l’Europe de Gustave Caillebotte. Elle met aussi en lumière des toiles d’artistes encore peu connus dans les années 1950, comme Théophile Alexandre Steinlen ou encore le peintre normand Charles Angrand dont on reconnaîtra le célèbre tableau à la barque, et dont certaines sont devenues depuis des icônes. Oscar Ghez s’était passionné pour les figures les moins connues du pointillisme comme le Portrait d’Irma Sethe par Theo van Rysselberghe (1894).
Cinq œuvres sont proposées en audiodescription au moyen de QR codes, dans les salles d’exposition. Ces tableaux, choisis par des personnes en situation de handicap visuel, sont emblématiques à la fois de la collection du Petit Palais de Genève et de l’exposition. Cet audioguide s’adresse à tous celles et ceux qui souhaitent compléter leur découverte des œuvres ; que ce soit pour répondre à des besoins spécifiques liés à la perception visuelle, ou pour enrichir leur visite grâce à des descriptions détaillées.
Firouz E. Pillet
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