The Grandmaster, film d’ouverture de la 63e Berlinale
Une chose est sûre : personne ne filme la pluie comme Wong Kar Wai. Tous les liquides d’ailleurs, la sensualité de la texture associée au son qu’elle produit en tombant, en perlant, en bouilonnant… Mais la neige moins. Enfin, elle parle moins, elle semble plus artificielle. Tiens !, un peu comme l’impression que laisse, à intervalles réguliers, le dernier film du célèbre réalisateur chinois.
Le cinéma, un art
Comme d’ordinaire, il maîtrise parfaitement la technique cinématographique, les plans et les cadres rappellent, à ceux qui l’auraient oublié dans la traîne des disciples de Dogma et dans l’euphorie de la démocratisation du cinéma des mini-caméras qui donnent souvent au mieux le tournis, voire pour ceux sensibles au mal de mer envie de vomir, que le cinéma est vraiment un art. L’esthétique poussée à son paroxysme, Wong Kar Wai atteint ici la limite de son style. Plus sensoriel, plus beau, plus maîtrisé, ce n’est guère possible. Et pas souhaitable. Alors que dans In the Mood for Love, sans histoire, il arrivait à nous entraîner sans nous ennuyer dans une symphonie des corps et des sens, un univers de frôlements, d’effleurements, de fleurs de peaux et corolles de regards, ici la beauté de la perfection étouffe l’appétence de vie toute tendu vers son impossibilité mais résistant tout en retenue contre cette impuissance.
À sa décharge, l’histoire que nous raconte Wong Kar Wai n’est pas facile à suivre pour le spectateur qui ne connaît pas la vie du maître légendaire du kung fu style Wing Chu, Ip Man, originaire de Foshan, la partie sud du monde des arts martiaux. Un peu perdu entre l’histoire épique du grand maître qui se confond avec celle de la naissance de la république chinoise qui a suivi la chute de la dernière dynastie Qing (1644-1911) – un temps de chaos, de division, de guerre avec le Japon, qui est également celui de la fin de l’âge d’or des arts martiaux chinois – et la monumentale mécanique cinématographique, le spectateur décroche, sort de l’écran… et peut s’ennuyer.
Le film n’est pas un énième film de kung fu, mais un film sur l’art martial chinois, son univers, ses codes, son esprit. La performance des acteurs Tony Leung et Ziyi Zhang est formidable dans les scènes de combats : ils se sont tous les deux entraînés pendant des années pour maîtriser la technique, mais surtout, comme nous le dit Tony Leung, pour « comprendre le kung fu comme un style de vie, l’esprit qui sous-tend cette discipline, ses valeurs. Cela m’a rendu plus discipliné, plus travailleur ». L’intérêt de ce film réside également dans le rôle interprété par Ziyi Zang, Gong Er, la fille du maître Gong Baosen et chef de file des arts martiaux de la partie nord , une femme donc, seule héritière du mouvement létal du style Bagua : « 64 mains ».
À noter dans ce film une scène de combat sur le quai d’une gare avec le train de plus long du monde du cinéma, époustouflant ! Néanmoins, cette impression de nature morte dans les scènes-tableaux rappelant celles de Cabaret, laisse un sentiment étrange en regard de la chorégraphie de l’esthétique toute en mouvement, alternant ralentis et accélérations, parfois collision des vitesses dans la même scène, même si, à l’instar de Cabaret, elles sont annonciatrices de la fin d’un monde et d’une décadence.
Enfin, reste l’esthétique des fluides qui nous ramène à l’essentiel… in the mood…
Malik Berkati, Berlin
The Grandmaster, de Wong Kar Wai, avec Tony Leung, Ziyi Zhang, Chang Chen, Zhao Benshan, Hongkong, Chine, 2012, 120 min.
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