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The Village Next to Paradise de Mo Harawe – une fresque à la fois poétique et réaliste de la Somalie

Premier long-métrage du réalisateur austro-somalien Mo Harawe, The Village Next to Paradise offre une vision inédite de la Somalie — pays de la Corne de l’Afrique généralement présenté comme un territoire en crise, marqué par l’insécurité, la pauvreté, la piraterie, le terrorisme, la famine et l’absence d’un État centralisé, souvent réduit à des images de violence et de chaos. Le cinéaste choisit de s’éloigner de ces représentations dominantes pour approcher son pays par l’intime, à travers le destin de trois membres d’une même famille, chacun∙e cherchant sa voie face à l’adversité du quotidien. Il accompagne patiemment ses trois protagonistes, permettant non seulement de ressentir leurs épreuves individuelles, mais aussi de saisir les tensions actuelles et la complexité d’un pays tout entier.

— Ahmed Ali Farah et Ahmed Mohamud Saleban – The Village Next to Paradise
Image courtoisie trigon-film

Sous le soleil brûlant, Mamargade (Ahmed Ali Farah) mène une vie simple. Travailleur acharné, il gagne sa vie en exerçant à la fois comme fossoyeur et comme livreur de fruits et légumes — une activité qui dissimule en réalité un trafic d’armes de contrebande. Veuf, il s’occupe de son fils, Cigaal (Ahmed Mohamud Saleban), tandis que sa sœur Araweelo (Anab Ahmed Ibrahim), récemment divorcée, s’est installée chez eux. Elle rêve de lancer sa propre petite entreprise de couture, pour laquelle elle économise chaque centime.
Mamargade veut offrir un avenir meilleur à son fils. Lorsqu’on annonce la fermeture de l’école du village, il décide de l’inscrire dans un internat en ville — une décision que Cigaal accepte mal, préférant rester vivre auprès de son père et de sa tante.

L’enfermement ainsi que l’isolement social et intime des personnages sont visuellement traduits par des plans fixes, méticuleusement composés par Mostafa El Kashef. Les intérieurs sont souvent construits selon une logique de surcadrage, accentuant la sensation d’enclavement et de solitude. À l’extérieur, une lumière naturelle sublime les paysages — entre les dégradés de bleu de la mer et du ciel, et les tonalités de jaune du désert et du soleil. Ce contraste lumineux se prolonge dans les jeux d’ombre à l’intérieur, conférant à certaines scènes un aspect pictural.
Cette dimension sensorielle est renforcée par la présence matérielle du vent, qui balaie le village en y apportant poussière et sable du désert. Le travail sonore en accentue la puissance, tout comme les autres bruits qui rythment la vie villageoise, jusqu’au grondement menaçant des drones de combat.

Bien que le film souffre de quelques longueurs, l’écriture du récit se révèle particulièrement intelligente. Mo Harawe élargit sa focale narrative à ce qui entoure les protagonistes : l’activité de la vie villageoise, les difficultés économiques et les manifestations qu’elles peuvent engendrer, les conflits armés… Ainsi, les tensions intimes des personnages interagissent en permanence avec les circonstances extérieures à leur microcosme.
La mise en scène, sobre et épurée, reflète les relations interpersonnelles sans épanchements émotionnels, dans une retenue pudique qui laisse néanmoins transparaître les sentiments filiaux et fraternels. Cette expressivité contenue s’inscrit dans une société traversée par les injustices systémiques, dominée par le patriarcat et structurée par le clanisme — à la fois mode de protection dans un pays privé de structures étatiques fiables, et vecteur de conflits.
Sobre également, le jeu des acteur·trices non professionnel·les ne verse jamais dans la démonstration, mais invite plutôt les spectateur·trices à scruter au-delà de la façade de leurs visages impassibles.

The Village Next to Paradise exige de celui ou celle qui l’accueille à la fois un engagement — pour déchiffrer les silences et les allusions — et une disposition à lâcher prise, pour s’imprégner du rythme contemplatif que son réalisateur insuffle à cette histoire, aussi naturaliste que fataliste, aussi poétique que traversée par un léger souffle d’espoir.

De Mo Harawe; avec Ahmed Ali Farah, Anab Ahmed Ibrahim, Ahmed Mohamud Saleban; Somalie, Autriche, France ; 2024 ; 133 minutes.

Malik Berkati

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