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Amélie et la métaphysique des tubes, co-réalisé par Maïlys Vallade et Liane-Cho Han, est la première adaptation d’une œuvre d’Amélie Nothomb en film d’animation

Ce film d’animation, qui évoque les premières années de vie d’Amélie Nothomb au Japon, est le premier film des deux cinéastes françaises qui sont aussi scénaristes et storyboardeuses.

Amélie et la métaphysique des tubes, de Maïlys Vallade et Liane-Cho Han
Image courtoisie Agora films

Maïlys Vallade et Liane-Cho Han entraînent le public dans les premières années de vie d’Amélie Nothomb alors que la famille vit au Japon. Amélie (Loïse Charpentier) est une petite fille belge née au Pays du Soleil levant. Grâce à son amie Nishio-san (Victoria Grosbois), le monde n’est qu’aventures et découvertes. Mais le jour de ses trois ans, un événement change le cours de sa vie. Car à cet âge-là, pour Amélie, tout se joue : le bonheur comme la tragédie.

Amélie et la métaphysique des tubes est adapté du roman éponyme d’Amélie Nothomb, neuvième roman de l’auteure belge, publié en 2000 chez Albin Michel. Si Amélie Nothomb n’a jamais pris part à l’écriture d’aucun scénario, nombreux sont ses romans qui ont été adaptés sur grand écran. Avant celui-ci, on compte ainsi Hygiène de l’Assassin de François Ruggieri (1998), Stupeur et Tremblements d’Alain Corneau (2003), Tokyo Fiancée (2014) de Stefan Liberski, tiré de Ni d’Eve ni d’Adam et A perfect Enemy (2020) de Kike Maillo, inspiré de Cosmétique de l’Ennemi.

Dans Amélie et la métaphysique des tubes, la fillette, âgée de deux ans et des poussières, observe avec une sagesse édifiante le monde qui l’entoure, se terrant dans un mutisme salvateur alors que ses parents se désolent de son « retard ». En relatant ses premières années passées au Japon, Amélie Nothomb explore des thèmes tels que la découverte de soi, la compréhension du monde et la transition de l’enfance à l’âge adulte. Le récit offre également des commentaires sociaux et culturels sur le Japon qui n’enthousiasment pas toujours les Nippon·es.

Ce petit être qui semble évoluer différemment de son frère André (Isaac Schoumsky) et de sa soeur Juliette (Haylee Issembourg), se prend pour Dieu :

« Au commencement Dieu était un tube, puissant de l’invincible force de l’inertie, se contentant d’absorber et d’excréter les aliments, sans aucune volonté. Il était né en 1967, au Japon, de parents belges.»

Enfant, Amélie se prend donc pour Dieu et estime par conséquent que tout lui est dû puisqu’elle est le centre de l’univers. Quand on voit la préoccupation de ses parents à son égard, on imagine que l’enfant était confortée dans ce sentiment. La seule personne qui semble la comprendre et se montre confiante en son développement est sa grand-mère paternelle, « Passerose » (Cathy Cerda). Quand Amélie se met enfin à parler pour le plus grand bonheur de sa famille, la question de la voix-off est cruciale dans l’élaboration du film, puisqu’il fallait que ce soit une voix qui viennent du futur pour raconter d’une autre manière les scènes que l’on voit à l’écran. Par ailleurs, reconstituer la voix d’une enfant de deux ans et demi a été ardu et il a fallu faire appel à plusieurs comédiennes pour obtenir ce résultat.

Kashima-san, la deuxième gouvernante de la famille Nothomb dans leur demeure de Shukugawa, joue un rôle fondateur auprès de la fillette : « Elle avait une cinquantaine d’années et était d’une beauté aussi aristocratique que ses origines », et l’auteure belge de préciser : « Ses traits d’une finesse parfaite. Nishio-san était une femme très humble, qui venait du peuple, avait connu la misère et était très résiliente. C’était ma mère viscérale ».

L’écriture d’Amélie Nothomb est directe, agrémentée d’un ton cruel et d’un humour ravageur, caractéristiques qui sont la marque de fabrique de l’auteure belge et qui se retrouvent de manière probante dans le film d’animation. Le parti pris du tandem de cinéastes était de rester à la fois focalisé sur la relation entre la petite Amélie et sa nourrice Nishio-San, et à la fois d’être toujours à hauteur d’enfant. Pour conserver le point de vue de l’héroïne, Maïlys Vallade et Liane-Cho Han ont dû ainsi, parfois à contre-cœur, supprimer certains aspects du roman comme la relation entre Amélie et son père Patrick (Marc Arnaud) ou avec sa mère, Danièle, (Laetitia Coryn) – relations que l’on perçoit primordiales même si montrées furtivement ici – pour se concentrer davantage sur d’autres rapports. Par rapport au roman, les cinéastes ont pris quelques libertés comme, par exemple, la scène des festivités bouddhistes d’Obon, la fête des morts, qui ne figure pas dans le livre mais qui permet de comprendre les traumas de Kashima-San (Yumi Fujimori) ou la séquence du départ pour deux mois du père d’Amélie en Belgique qui permet aux cinéastes de tisser encore plus les liens entre la nourrice et la petite fille.

Le film est soutenu par la musique d’une compositrice japonaise, Mari Fukuhara, qui signe la bande-originale. Celle-ci est toutefois ponctuée de « musiques témoins » éclectiques, qui vont de comptines japonaises à Maurice Ravel en passant par Dan Romer ou Yoko Kanno.

Ce film aux couleurs pastels et chatoyantes rappelle souvent les œuvres d’Isao Takahata et de Hayao Miyazaki comme Le Tombeau des lucioles (1988) et Princesse Mononoké (1997). Pour obtenir un tel résultat graphique, Maïlys Vallade et Liane-Cho Han, avec le concours de leur comparse Rémi Chayé, se sont inspiré.es de la méthode japonaise de l’animation. Ils ont souhaité des formes plus rondes, des couleurs plus texturées et pastels. À l’instar de Vice Versa (Inside Out, 2015), le duo de cinéastes a fait le choix esthétique d’associer une couleur à chaque personnage : le jaune du soleil pour Nishio-San, le violet de la mélancolie pour Kashima-San, le rouge pour André, le frère d’Amélie, souvent colérique et autoritaire, le bleu clair pour Juliette, la sœur aînée d’Amélie, nettement plus douce et attentionnée que son aîné, le vert d’eau pour Amélie, dont le nom signifie « pluie » en japonais.

— Amélie et la métaphysique des tubes, de Maïlys Vallade et Liane-Cho Han
Image courtoisie Agora films

Si le film a été réalisé en format numérique, l’illustratrice Marietta Ren et sa complice Marion Roussel ont préalablement cherché le physique des personnages sur aquarelle et ont décidé de garder cette esthétique qui confère une authenticité aux personnages bien qu’animés. Enfin, soulignons le soin apporté aux décors qui montrent une végétation luxuriante et l’architecture épurée traditionnelle de l’archipel nippon. Les décors sont normalement choisis à la fin du processus créatif mais, dans le cas de ce film d’animation, Justine Thibault, cheffe décoratrice couleur, ainsi que Simon Dumonceau ont proposé leurs idées bien en amont du tournage. Eddine Noël, en charge de la création et de la conception graphiques des personnages, a pris soin de reconstituer le Japon de la manière la plus réaliste possible, notamment le Kobe des années 60-70 dans lequel Amélie a vécu. La maison dans laquelle l’écrivaine a vécu ayant été détruite, il a fallu que l’équipe se base sur les souvenirs présents dans le livre pour en faire une exacte reconstitution, à partir d’un modèle 3D. Cependant, comme le Japon d’Amélie et la métaphysique des tubes est vu à travers les yeux d’une enfant, cette vision comporte une part importante d’onirisme.

Bien qu’il s’agisse d’un film d’animation, les cinéastes ont accordé une importance fondamentale au jeu des personnages. Ainsi, le langage corporel de la famille belge est beaucoup plus expressif que celui des Japonais·es. Même entre les personnages de Nishio-San et la propriétaire Kashima-San, il existe une différence de jeu, d’attitude corporelle, plus expressive pour la première, tout en retenue pour la seconde, illustrant la différence générationnelle.

Les cinéastes Maïlys Vallade et Liane-Cho Han se sont rencontrées sur le tournage du film Le Petit Prince (2015) de Mark Osborne et ont par la suite créé un trio avec Rémi Chayé à partir de son premier long-métrage, Tout en haut du monde (2015). Les cinéastes sont ainsi devenu·es co-auteur·trices graphiques sur l’ensemble de leurs films. Avec Amélie et la métaphysique des tubes, l’aventure se poursuit avec brio !

Amélie et la métaphysique des tubes a reçu le prix du Public au Festival du Film d’Animation d’Annecy.

Le film sort sur les écrans romands mercredi 25 juin.

Firouz E. Pillet

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