Edito

Angélique Kourounis, une grande journaliste, une documentariste courageuse nous a quitté∙es

Petit matin du 7 mai 2024. Encore dans un demi-sommeil, un flash info : « Nous venons d’apprendre que notre consœur Angélique Kourounis est décédée. » Le choc. La tristesse. Infinie.
Angélique était une consœur, mais aussi une amie.

Je l’ai rencontrée pour la première fois lors du festival de film grec de Berlin en 2017. Elle venait y présenter son documentaire Aube dorée : une affaire personnelle. J’avais demandé à l’interviewer après la table ronde – « Cinéma politique – dépassé ou plus important que jamais ? » – à laquelle elle participait avec, entre autres, Costa-Gavras. Puis, j’avais une interview exclusive avec le maître du cinéma. L’instinct de journaliste d’Angélique s’est immédiatement réveillé et elle m’a demandé : « ça te dérange si je me joins à toi ? ». Elle m’a demandé cela de manière si spontanée, si naturelle que j’ai dit oui. La tête de l’attachée de presse ! « Tu es sûr, Malik ? Il n’accorde qu’un entretien, cela dure au maximum 15 minutes ! » Oui, j’étais sûr de vouloir partager ce moment avec elle. Même si, in fine, c’est elle qui est repartie avec son contact et a depuis développé une relation professionnelle avec lui.

— Angélique Kourounis et Costa-Gavras au Festival du film grec de Berlin en janvier 2017
© Malik Berkati

Pourquoi est-ce que je raconte cette anecdote ? Car Angélique, c’est cela : une audace, une fraîcheur, une énergie, une combattante qui entre par les trous de souris quand les obstacles se dressent devant elle. Et des obstacles, elle en a connu lorsqu’il a fallu porter à bout de bras les projets de documentaires sur la gangrène politique qui a touché la Grèce. Après Aube dorée : une affaire personnelle, avec ses deux fidèles compagnons, Thomas Iacobi et Maxime Bitter, elle s’est attelée à la suite logique : Aube Dorée l’affaire de tous. Ces deux films leur ont valu de nombreuses menaces, violences verbales mais aussi physiques, des tentatives de censure. Et pourtant, toutes ces difficultés n’ont jamais entamé leur soif de vivre, de rire, de profiter de la vie. Passer une soirée avec ces trois belles personnes était l’assurance de discussions à bâtons rompus, de joutes verbales savoureuses, de batailles de points de vue toujours argumentés, ce qui permettait de ne jamais se fâcher – une rareté dans ces temps d’invectives permanentes, de grosses rigolades aussi.

Car, Angélique, c’est surtout un cœur gros comme toute la générosité de la terre et un humour à décaper une voiture rouillée.

Angélique était aussi la voix de la Grèce dans les médias francophones, à la radio publique française, mais aussi à la radio télévision suisse (RTS), belge (RTBF) et Radio-Canada.

Une dernière anecdote à cet égard. En janvier 2021, Angélique vient à Genève pour participer à l’émission de décryptage du fait religieux, Faut pas croire, malheureusement depuis la rentrée 2022 supprimée des grilles de la RTS, présentée par Linn Levy, Néonazis : du pouvoir à la criminalisation. L’exemple grec.
Je l’attends à la sortie, il fait beau mais froid. Puisque c’est le confinement, je cherche un endroit pour que nous puissions déjeuner dehors, à l’abri de la bise qui souffle. Nous nous dirigeons vers la vieille ville et, sur la Promenade Saint-Antoine, au niveau du Collège Calvin, elle s’arrête soudainement, en criant : « mais c’est quoi, ça ?! » Surpris, je ne comprends pas tout de suite, elle continue en me disant, « mais tu ne vois pas, là, devant nous ?!! ». Je commence à m’étouffer de rire, n’arrivant pas à lui répondre tant je ris. « Ça », en arrière-plan du Collège Calvin, sans arrière-fond visible, c’est le Jet d’eau de Genève qui, comme habituellement en temps de bise, ressemble plus à un rideau d’eau qu’à un jet d’eau.

Depuis, à chaque fois que je passe devant le Jet d’eau, je souris, ou ris en racontant cette anecdote, quand je ne suis pas seul. À présent, quand j’y verrai un arc-en-ciel le traverser, je saurai que tu me fais un clin d’œil.

Que la terre te soit légère mon amie.

Malik Berkati

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