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Avec Niki, Céline Sallette signe un premier long métrage et brosse le portrait poignant de l’artiste d’avant-garde franco-américaine Niki de Saint-Phalle

Présenté en sélection dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2024, ce film biographique sur la vie de l’artiste peintre, sculptrice, graveuse et réalisatrice autodidacte permet à l’actrice bordelaise de passer derrière la caméra avec brio. Sur un scénario co-écrit avec Samuel Doux, Céline Sallette entraîne le public au cœur de Paris en 1952. La scène d’ouverture du film dévoile une vestale tout de blanc vêtue, au port altier, des lèvres écarlates, la tête coiffée d’une couronne ornée de rubis, qui sourit à la commande en obéissant à l’injonction d’un photographe hors champ. On se questionne aussitôt : quelle est cette femme au teint de nacre, mannequin, à la fois si élégante et si docile, aux bonnes manières dignes d’une aristocrate ?  Il s’agit de Niki de Saint-Phalle (la très convaincante Charlotte Le Bon) qui tente de percer comme comédienne à côté des séances de photographie.

— Charlotte Le Bon et John Robinson – Niki
Image courtoisie Praesens-Film

L’apparent univers glamour dans lequel Niki évolue lui pèse et réveille les démons enfouis d’une enfance faite d’abus, de bribes de terribles souvenirs qui contribuent à altérer l’image que la jeune femme se fait d’elle. Pour tenter de s’émanciper et d’exprimer sa personnalité profonde, Niki s’est donc installée en France avec son mari, Harry Matthews (John Robinson), et sa fille, loin d’une Amérique et d’une famille étouffantes. Mais malgré la distance, Niki est de plus en plus en proie à des réminiscences de son enfance qui envahissent ses pensées. Depuis l’enfer qu’elle va découvrir, Niki trouvera dans l’art une arme pour se libérer.

Céline Sallette découvre une interview de Niki de Saint-Phalle datant de 1965 qui lui insuffle l’envie de consacrer un film à cette artiste en se concentrant sur dix années charnières de sa vie, de 1952 à 1961, période durant laquelle elle s’émancipe des conventions sociales, en l’occurrence son statut de mère, pour devenir l’artiste de renom que tout le monde connaît. À l’instar de la chenille qui redouble d’efforts pour sortir de sa chrysalide pour devenir papillon, Niki de Saint-Phalle se révèle progressivement à mesure qu’elle fouille dans son passé traumatique tout en se heurtant au regard de la société et au carcan de la bienséance.  La cinéaste prend le parti de mettre en exergue l’incompréhension à laquelle se heurte l’artiste, montrée extrêmement seule dans ses tourments, rejetée pour sa personnalité très singulière, cyclothymique, et peut-être dangereuse pour ses proches, au point de pousser son mari à la faire interner. En effet, sa fâcheuse tendance à collectionner les couteaux et les armes, en réponse aux abus sexuels qui lui imposa son père et qui l’ont hantée toute sa vie, inquiète de plus en plus son entourage. 

Mais même l’asile, lieu censé la guérir, ne lui apportera que souffrances supplémentaires et une immense solitude. Les méthodes psychiatriques en vigueur à l’époque de l’internement de Niki de Saint-Phalle consistent en séances d’électrochocs et des mesures d’isolement. Mais l’artiste en devenir se démarque en réussissant à récolter des brindilles, des branches, divers matériaux qui lui permettent de dessiner et de créer. Il est notoirement connu que l’art est un exutoire à une enfance houleuse, abusée. Une échappatoire bienvenue qui lui permet d’éviter de sombrer dans une folie provoquée par la psychiatrie de l’époque. Le médecin finira par lui accorder le droit de recevoir de la colle et des peintures de couleurs. Céline Sallette insiste sur le fait que l’artiste n’a jamais vraiment reçu le soutien qu’elle aurait mérité d’avoir.

Incarnée avec fougue par l’actrice canadienne, Niki de Saint-Phalle apparaît au fil des scènes sous ses multiples facettes. La ressemblance troublante entre Niki de Saint-Phalle et Charlotte Le Bon ne s’arrête pas au physique puisque les deux femmes ont été mannequins et artistes ; Charlotte Le Bon s’essaie également à la peinture et la sculpture. Le public évolue aux côtés de l’artiste, inventive, déterminée, fertile, mais oppressée par un environnement patriarcal qui catalogue les femmes comme hystériques, que ce soit dans la famille comme au sein du corps médical.

Le film Niki bénéficie d’une excellente photographie lumineuse et chatoyante, signée Victor Seguin, ainsi que d’excellent.es comédien.ne.s. Céline Sallette a choisi de montrer le monde artistique grouillant telle une fourmilière : les artistes y sont si nombreux que la galerie de personnages secondaires en devient anecdotique et insignifiante. Le public helvétique attend avec impatience l’ingénieux et indomptable sculpteur Jean Tinguely (Damien Bonnard) qui ne fait que de furtives apparitions avant de devenir le second mari de Niki. De nombreux allers-retours temporels rendent le récit moins fluide et ne laissent que peu de temps au public pour saisir les personnages et leur importance dans la vie de Niki. Des contraintes de taille ont amené Céline Sallette, qui n’avait pas le droit d’utiliser les œuvres de Niki de Saint-Phalle, à trouver la parade en se servant de cet obstacle pour nourrir sa narration et montrer la métamorphose de l’artiste, aux prises avec sa création, au plus près, dans sa catharsis créatrice. La réalisatrice soutient tout son film par la démonstration, en images, que la création artistique peut être source de résilience et de renaissance. Pour exprimer l’évolution tant physique qu’émotionnelle de Niki, les chefs costumiers Marion Moulès et Matthieu Camblor traversent les ans en adaptant les tenues de la protagoniste comme de son entourage.

Niki de Céline Sallette
© Arthur Hervé Endhart

Par souci d’exactitude et d’authenticité pour les scènes de souvenirs, Céline Sallette s’est inspirée de l’ouvrage Traces, l’autobiographie de Niki de Saint-Phalle ainsi que des photographies de Raymond Depardon. La gageure du film restait à mentionner le sujet de l’inceste subi par l’artiste durant son enfance sans sombrer dans le pathos ni le mélodrame. Pour y parvenir, la réalisatrice a lu de nombreux témoignages sur l’inceste, comme ceux de Camille Kouchner, Charlotte Pudlowski, Christine Angot, et Neige Sinno.

La bande-son, signée Jean-Baptiste Laubier, alias Para One (qui a composé la musique pour la plupart des films de Céline Sciamma), alterne des instruments à vent légers et des cuivres plus audacieux. En choisissant de ponctuer sa composition de sonorités de trompettes jazz, le compositeur rappelle le style musical en vogue à l’époque où Niki vivait aux États-Unis avec son mari. Des images de cage et d’oiseaux reviennent tout au long du film pour figurer l’émancipation et l’envol de Niki vers son destin d’artiste, un choix esthétique de la cinéaste avec sa décoratrice, Rozenn Le Gloahec. Les décors comme les tenues, hauts en couleurs, vives, rappellent la palette bigarrée de Niki de Saint-Phalle en pleine création. Le film est rehaussé par les interprétations d’une troupe excellente et d’un éventail de choix créatifs dynamiques.

L’intention de la réalisatrice de se centrer sur l’acte de création plutôt que sur son aboutissement en fait un portrait certes réussi, mais qui laisse quelque peu le public sur sa faim. On ressort du film avec l’urgente envie de revoir les célèbres Nanas et de déambuler dans le Jardin des Tarots.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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