Avec son documentaire Ennio Morricone – Il Maestro, Giuseppe Tornatore illustre comment Ennio Morricone a donné à la musique de film ses lettres de noblesse
À l’âge de huit ans, Ennio Morricone rêve de devenir médecin. Mais son père décide qu’il sera trompettiste, l’emmène aux concerts où il joue et le petit Ennio s’endort. Son père lui dit en lui donnant sa trompette :
« Avec cet instrument, je te donne le pain qui te fera manger toute ta vie. Tu feras la même chose avec ta famille, un point, c’est tout ! »
Il lui impose une discipline militaire qui portera ses fruits puisque Ennio Morricone obtient son diplôme à l’âge de seize ans. Il prend aussi des cours d’harmonie sans en suivre scrupuleusement les règles, se plaisant à ajouter des éléments, ce que note un enseignant, Roberto Caggiaro, bien avisé qui lui conseille d’étudier la composition.
Du conservatoire de musique à l’Oscar du meilleur compositeur, l’itinéraire d’un des plus grands musiciens du XXème siècle
Giuseppe Tornatore était la personne de choix, légitime pour réaliser ce documentaire consacré au compositeur italien mondialement connu et reconnu. En effet, outre le fait d’être compatriote de Morricone, Giuseppe Tornatore a collaboré à plusieurs reprises avec le maestro. Le film de Tornatore s’ouvre sur un métronome, filmé en gros plan, qui bat le rythme puis suit l’affirmation du chanteur Gino Paoli : « Ennio Morricone est un personnage très énigmatique, même s’il ne le paraît pas. » Le compositeur Nicola Piovani d’ajouter : « Ennio Morricone est l’exception à toutes les règles. »
Pour percer cette énigme, Giuseppe Tornatore propose un panel de quatre-vingts témoignages de réalisateurs.trices : citons Clint Eastwood, Quentin Tarantino, Oliver Stone, Roland Joffé, Wong Kar-Wai, Dario Argento, Bellocchio, Bernardo Bertolucci, Silvano Agosti, Lina Werthmüller, Giuliano Montaldo, … Et de poursuivre avec des musicien.nes : Joan Baez, Williams, Zimmer, Bruce Springsteen, Fat Metheny, Quincy Jones, Miranda Martino, Gianni Morandi, Nicola Piovani, entre autres.
Ces entretiens se succèdent, souvent dithyrambiques, parfois hagiographiques et au fil des interventions, on se dit qu’Ennio Morricone avait un sacré carnet d’adresses. Mais l’apport le plus intéressant, et indubitablement plus passionnant, sont les moments saisis du quotidien du compositeur, des rencontres privilégiées avec Ennio Morricone dans ses pénates, s’allongeant avec souplesse et énergie sur un tapis de son salon pour faire des exercices d’assouplissement – « Mens sana in corpore sano » – ou assidûment attelé à son pupitre pour composer une nouvelle partition. Le documentaire de Giuseppe Tornatore nous révèle ainsi le Maestro dans son intimité, il se livre à des confidences sur l’éducation stricte de son père, sur la période de la guerre alors qu’il devait jouer de la trompette aux soldats allemands puis aux soldats américains sans être payé, mais jouer pour pouvoir manger, « une humiliation » qu’il a portée toute sa vie.
Certains compositeurs ou musicologues soulignent combien Ennio Morricone maîtrisait le contrepoint comme personne, formé par le professeur Petrassi qui lui avait transmis sa passion pour Stravinsky. D’aucun mentionnent combien Ennio Morricone, d’origine modeste, a été mis au ban et discriminé par le reste des élèves du conservatoire, institution qui était l’apanage des élites. Giuseppe Tornatore rappelle qu’Ennio Morricone a composé plus de cinq-cents musiques. Le film s’applique à mettre en relief l’importance de son épouse et son amour pour elle, la façon dont il travaille, sa discipline pour permettre à l’inspiration de survenir.
Grâce l’approche de Tornatore qui livre certaines confidences du Maestro, on perçoit plus aisément la manière dont Morricone composait, l’importance de ses débuts, de sa façon d’aborder et de considérer la musique de film, sa progression, ses innovations fondamentales, les dissonances et les influences. Il coulait de source que les deux heures et demie de film comportent les chapitres qui ont lié Ennio Morricone à Sergio Leone tant les deux hommes sont indissociables, chacun ayant nourri l’autre de leur succès, de leurs idées, de leurs inspirations. Pour illustrer la masse considérable d’extraits de films de Sergio Leone, de Pier Paolo Pasolini, des frères Taviani qui met en exergue toutes les compositions d’Ennio Morricone, contenant ses partitions les plus célèbres, le réalisateur a choisi de ponctuer l’interview au long cours de Morricone avec de formidables images d’archives.
Giuseppe Tornatore a saisi le Maestro, dans son salon, dirigeant un orchestre fictif, alors que retentissent sur le tourne-disque les musiques mondialement connues, désormais reprises par des groupes de tout genre : une séquence très émouvante qui fait revivre le compositeur sous yeux. Le film a su feuilleter intelligemment tous les chapitres de la vie du compositeur, de ses débuts, la période où il travaillait sur les arrangements de chansons de variétés, le triomphe de ses concerts et ses compositions de musique expérimentale.
Si le documentaire de Giuseppe Tornatore est le bienvenu pour rappeler, un peu plus de deux ans après sa disparition, l’héritage laissé par Ennio Morricone, il pèche par l’abondance d’intervenants qui n’ont pas grand-chose à dire si ce n’est rappeler combien son génie est immense, ce que l’on savait déjà, et on aurait souhaité que Tornatore approfondît l’immense contribution d’Ennio Morricone à la culture en général et à la musique en particulier.
Mais il reste des moments de grâce où Ennio fredonne a capella quelques-uns des airs qu’il a composés : intense et envoûtant !
Firouz E. Pillet
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