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Avec The Quiet Girl (An Cailín Ciúin), Colm Bairéad signe un portrait émouvant d’une pré-adolescente dans l’Irlande rurale

The Quiet Girl est le premier film de fiction irlandais qu’a écrit et réalisé Colm Bairéad, scénariste et cinéaste qui a déjà réalisé divers films pour la télévision, des documentaires et des courts métrages. La productrice du film est Cleona Ní Chrualaoí, sa femme. Ce long métrage est un drame méditatif sur la façon dont une fille irlandaise introvertie passe un été qui change sa vie loin de sa maison troublée et apprenant des leçons poignantes sur le chagrin et l’amour familial.

— Catherine Clinch et Caroline Anne Crowley – The Quiet Girl (An Cailín Ciúin)
Image courtoisie Praesens-Film AG

Plongeant le public durant l’été 1981, au cœur de l’Irlande rurale, précisément à Rinn Gaeltacht, dans le comté de Waterford, la camera de Colm Bairéad suit Cáit (Catherine Clinch), une fillette âgée de neuf ans, qui vit chichement dans une ferme avec ses très nombreux frères et sœurs sous la houlette de leurs parents pauvres, négligents et peu enclins aux effusions affectives; une famille de toute évidence dysfonctionnelle. Cáit ne récolte aucune considération de ses parents, essuie les critiques de ses sœurs aînées et peine à s’intégrer à l’école où elle est la cible des railleries et des moqueries des autres écoliers. L’immersion dans l’Irlande profonde est totale grâce aux dialogues majoritairement en irlandais, mis à part quelques brefs échanges en anglais. Le dépaysement temporel, géographique et linguistique est garanti !

Sa mère, Mam (Kate Nic Chonaonaigh) étant à nouveau enceinte, son père, Da (Michael Patric) juge leur fille tellement empotée qu’il décide de l’envoyer vivre avec sa cousine éloignée, femme d’âge moyen, Eibhlín Cinnsealach (Caroline Anne Crowley) et son mari Seán Cinnsealach (Andrew Bennet). Alors que Cáit arrive à la maison des cousins sans bagage, Eibhlín l’accueille immédiatement avec chaleur, lui montrant son affection et lui apprenant avec bienveillance à faire les tâches ménagères de la maison et de la ferme. Elle montre à Cáit un puits sur leur propriété, affirmant que l’eau que l’on y puise a des pouvoirs de guérison, tout en avertissant que le puits est profond et en l’invitant à faire preuve de prudence lors de la récolte de l’eau.

Le titre The Quiet Girl peut laisser croire qu’il s’agit de l’histoire d’une fillette qui ne parle pas… Mais détrompez-vous ! Bien au contraire, dès que Cáit change de lieu de vie, elle s’ouvre progressivement au monde et aux autres. Ce film est un drame méditatif sur le pouvoir extraordinaire des personnes qui ont la patience et la générosité d’écouter les voix douces, presque inaudibles, et de considérer les êtres incertains, introvertis, car malmenés par la vie.

Pourtant, Eibhlín et Seán semblent évincer, voire ignorer certaines questions de Cáit qui est sage comme une image. Eibhlín installe Cáit dans une chambre d’amis où la fillette craint plus tard qu’un adulte entre dans la pièce et finit par mouiller le lit. Dans un premier temps, Eibhlín l’habille avec des vêtements de garçon laissés dans l’armoire. Plus tard, vu l’agacement de son mari, elle achète de nouveaux vêtements pour filles à Cáit qui se met à rayonner de cette attention. Telle une chenille sortant de sa chrysalide, Cáit s’épanouit au fil des jours et des attentions qu’elle reçoit, à l’image un papillon trop longtemps maintenu dans un cocon.

Si, au début du séjour de Cáit, Seán semble renfermé et agit d’abord froidement envers sa fille adoptive, une complicité naît peu à peu entre l’homme et la fillette, complicité que le cinéaste peint par touches progressives délicates. Un jour où Eibhlín est absente, Cáit accompagne Seán de l’autre côté de la ferme, ce dernier se met à nettoyer la salle de traite. Pendant qu’il est occupé, Cáit s’éloigne. Une fois que Seán remarque son absence, il panique et la cherche sur la propriété. Après l’avoir trouvée, il la gronde et lui ordonne de ne plus jamais s’éloigner. Effrayée par son soudain accès de colère, Cáit court vers la maison. Aussitôt, Seán exprime des remords et commence à faire un effort pour se lier avec Cáit : il l’encourage à courir chercher le courrier, transformant cet exercice en un rituel agréable, louant sa rapidité dans un passage à témoin, une transmission filiale qui sécurise la fillette. Lentement, elle s’ouvre à Seán et les deux êtres deviennent proches, faisant le concours de celle ou celui qui nettoiera en premier le côté de la salle de traite qui lui incombe, le tout dans la bonne humeur et les fous rires.

Au fil des scènes et du récit, Colm Bairéad offre un magnifique film d’initiation à travers les paysages picturaux de la campagne irlandaise et le portrait subtil d’une pré-adolescente en souffrance, stigmatisée par les siens mais révélant sa propre personnalité au contact de personnes aimantes et bienveillantes. Si l’interprétation de tous les comédiens est excellente, Catherine Clinch livre une performance mémorable, à la fois subtile et tendre. La photographie picturale signée Kate McCullough et la partition onirique et rêveuse de Stephen Rennicks créent une atmosphère éthérée.

Ce couple attentionné et affectueux à l’égard de Cáit ont pleinement intégré l’enfant dans leur vie mais certains éléments de leur maison intriguent Cáit. Un jour, la famille Cinnsealach assiste à une veillée funèbre. Voyant Cáit s’agiter pendant l’événement, une voisine bavarde propose de s’occuper d’elle pendant quelques heures. Eibhlín hésite, mais finit par accepter. Lorsque les Cinnsealach la récupèrent, le couple remarque un changement d’attitude chez la fillette : les Cinnsealach et Cáit vont devoir parler et livrer les non-dits.

Comme dans le roman Foster (2010) de Claire Keegan sur lequel Colm Bairéad s’est basé pour The Quiet Girl, le style est épuré, allant à l’essentiel : chaque mot est pesé, chaque scène cristalline est dépourvue de fioriture pour livrer l’essence même des personnages et de leurs relations. Chacun personnage est entendu, écouté et vu avec précision mais surtout avec concision. Par exemple, lorsque Seán pose un biscuit sur la table dans un plan d’insertion, ce n’est pas simplement un biscuit : c’est un geste empli de symboles, même si la scène est furtive.

Grâce au réalisme qu’adopte Colm Bairéad, le sujet qui aurait pu sombrer dans un traitement mielleux et démesurément sentimental est ici dépeint avec subtilité, profondeur et émotion. Le résultat est hautement poétique, magnifiquement sobre, mais émotionnellement intense. À travers cette évocation émouvante de l’âme humaine, Colm Bairéad signe un petit bijou cinématographique qui reste proche de la source littéraire mais s’en émancipe à travers des plans de caméra raffinés, ponctués de retenues très explicites.

The Quiet Girl, qui avait été présenté à la Berlinale 2022 dans la section Generation Kplus, a été nominé pour le meilleur long métrage international à la 95ème cérémonie des Oscars. Colm Bairéad est définitivement un cinéaste à suivre !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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