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Berlinale 2025 – Das Licht de Tom Tykwer ouvre la 75e Berlinale : une fresque ésotérique qui s’égare dans son propre symbolisme

Si l’intention de la nouvelle directrice du festival, l’Étasunienne Tricia Tuttle, était de montrer qu’en moins d’un an, elle s’était attachée à Berlin, le choix de Das Licht (La Lumière) se comprend : Tom Tykwer (notamment Cours, Lola, cours [Lola rennt, 1998], Babylon Berlin [série, depuis 2017]) filme cette ville comme personne. Il traverse ici ses quartiers à vélo, explorant ceux qui attirent tant de monde à Berlin – y compris la Potsdamer Platz, avec un plan on ne peut plus explicite sur ce lieu emblématique, cœur battant du festival en février.
Mis à part cet ancrage berlinois, ce film d’ouverture laisse perplexe. D’une durée conséquente de 162 minutes, il suit une famille allemande, bourgeoise-bohème, aux dynamiques totalement éclatées.

— Lars Eidinger – Das Licht
© Frederic Batier / X Verleih

Dans la famille Engels (les anges, si l’on prend ce patronyme au sens littéral), nous avons la mère, Milena (Nicolette Krebitz), qui passe la moitié de son temps au Kenya, où elle dirige un projet de développement culturel financé par le gouvernement allemand. Le père, Tim (Lars Eidinger), est entier, jusque dans ses tenues : soit toujours les mêmes, soit rien du tout (Lars Eidinger n’a jamais été pudique, et ici encore, on le voit à plusieurs reprises dans son plus simple appareil). Mais il l’est surtout dans son discours de communicant hype et arrogant.
Les jumeaux Frieda et Jon incarnent deux extrêmes : Frieda passe plusieurs jours d’affilée à faire la fête et consommer des substances, tandis que Jon reste enfermé dans sa chambre, absorbé par l’univers virtuel de ses jeux. Il y a aussi le petit dernier, Dio, un enfant métis que Milena a eu après un séjour au Kenya. La famille l’accueille une semaine sur deux, l’autre semaine étant celle de son père biologique, qui s’est expatrié en Allemagne pour être auprès de lui.
Autour d’eux gravitent des étrangers et étrangères : la femme de ménage polonaise, le livreur de sushis de Jon, des réfugiées syriennes. Tous ces éléments extérieurs vont avoir un impact sur la famille et bouleverser son destin.

Et c’est là que le bât blesse profondément. Pendant longtemps, on espère que cette histoire, chargée de symbolisme, d’ésotérisme et de bien-pensance, mène quelque part, au-delà des petits et grands tourments de nos héro∙ïnes allemand∙es et de leurs démons. Malheureusement, force est de constater qu’à travers un double mouvement égocentré – chaque membre tourne autour de son nombril et l’entité familiale fait de même – les éléments extérieurs ne servent qu’à mettre en relief les difficultés des protagonistes à se positionner, aussi bien les un∙es par rapport aux autres que face à eux∙elles-mêmes.

Pire, l’une des réfugiées syriennes, Farrah (la fantastique Tala Al-Deen, qui incarne un personnage métaphorique avec une présence terrestre époustouflante), accepte, contre l’avis de l’employée de l’agence de placement qui la juge surqualifiée, le poste de femme de ménage que la famille Engels cherche à pourvoir. Mystérieuse, elle parvient à tisser des liens profonds avec chaque membre de la famille, chacun∙e succombant tour à tour à son charme énigmatique, mélange de sérieux dans son travail et d’écoute des besoins des un∙es et des autres – l’écoute étant manifestement le chaînon manquant de leur mode de communication et de fonctionnement. Toujours est-il que c’est cette figure de réfugiée qui endosse le rôle d’ange rédempteur, leur apportant – littéralement – la lumière. On en reste bouche bée.

C’est un sentiment très dérangeant. Lorsqu’on demande à Tom Tykwer de quoi traite ce film touffu et brouillon, il répond platement : « Il y a une difficulté de communication intergénérationnelle, un fossé, et le reproche de la jeune génération à la précédente d’avoir laissé passer le train d’un avenir viable, de ne pas s’être battue. Mais je pense que, si le contenu de leurs discours diffère, ils sont animés par la même énergie, et cette dynamique peut faire le lien entre les deux, car en fin de compte, la génération plus âgée aurait la même réaction que la plus jeune dans les mêmes circonstances. »

— Nicolette Krebitz, Elyas Eldridge, Julius Gause, Elke Biesendorfer, Lars Eidinger – Das Licht
© Frederic Batier / X Verleih

Il ajoute : « Je me sens très proche des personnages. Je veux essayer de refléter et de rendre tangibles pour le public leurs conflits intérieurs et leur connexion simultanée. » Il est vrai que Tykwer semble vouloir nous tendre un miroir et nous immerger dans l’intimité de cette famille à travers des sensations que l’on pourrait reconnaître en soi. Mais cela reste un exposé, un peu à l’image des campagnes de sensibilisation mises en place par Tim, avec son hashtag #WIR, qui souligne que « nous sommes la raison pour laquelle le monde s’écroule », comme l’explique Lars Eidinger.

Ce film est, pour le cinéaste, son œuvre la plus personnelle. « Je suis comme cela, ma famille est comme cela, tout comme le monde, qui est fait de contradictions. Je vous donne l’occasion de le voir, sans faux-fuyants, frontalement. Ainsi, vous pouvez peut-être vous y reconnaître et cela vous donnera peut-être l’impulsion de vous regarder également », confie-t-il avec une grande honnêteté.

Hélas, les bonnes intentions ne font pas un bon film. Le personnage de Farrah, qui porte en elle toute la tragédie du sort des réfugié∙es, s’apparente à un simple rouage narratif. Le plus fascinant, c’est que Tykwer ne semble pas percevoir cet angle mort dans son histoire. Il explique, avec une certaine ingénuité, le rôle de Farrah : « Il y a une tendance à l’isolationnisme, et je voulais montrer ce microcosme où chacun est replié sur soi, jusqu’à ce qu’un élément extérieur vienne le secouer avec une autre énergie. » L’actrice Nicolette Krebitz ajoute, tout aussi candidement : « Il s’agit de rencontrer l’étranger, mais aussi l’étranger en soi. » Il est évident que ce petit monde est animé des meilleures intentions, qu’il est sincèrement convaincu de son propos humaniste, mais par pitié, n’en jetez plus, la cour est pleine !

En voulant embrasser trop de thèmes – crise existentielle, choc des générations, isolement social, culpabilité collective –, Tom Tykwer finit par se perdre. Le personnage de Farrah, censé incarner une figure d’altérité et de révélation, devient un simple catalyseur des névroses d’une famille allemande en crise, sans réelle existence propre, malgré une tentative finale de la mettre en exergue, qui, à l’image du reste du récit, se délite finalement.

Reste de ce film une représentation réussie des espaces mentaux des personnages, qui évoluent constamment sous une pluie battante, avec des inserts de séquences musicales, de chansons, de chorégraphies, de scènes animées ou comportant des éléments de réalité virtuelle qui surgissent comme des respirations artistiques dans cet univers humainement désolé.

De Tom Tykwer; avec Lars Eidinger, Nicolette Krebitz, Tala Al-Deen, Elke Biesendorfer, Julius Gause, Elyas Eldridge, Toby Onwumere, Mudar Ramadan, Joyce Abu-Zeid; Allemagne; 2024; 162 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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