Exposition à L’Institut du monde arabe : Le Mystère Cléopâtre – Une cheffe d’État redoutable en 250 œuvres
Cléopâtre VII, dernière souveraine de la dynastie gréco-égyptienne des Ptolémées (323-30 avant notre ère), fascine encore les esprits, provoquant curiosité et grand intérêt. Sa célébrité reste intouchable et unique ! La notoriété de cette reine ne cesse de croître dans le monde moderne.
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Bien que son suicide remonte à deux mille ans, elle fut d’abord une « légende noire » avant d’évoluer en une figure universelle, symbolisant la passion, la mort, la volupté, la cruauté, la richesse, la guerre, la politique, mais aussi le féminisme. Ce personnage singulier a également mis en lumière les controverses occidentales sur la civilisation pharaonique et, surtout, la signification du fait de détenir le pouvoir.
Cléopâtre habite l’imaginaire de nombreux domaines de la création : l’écriture, le cinéma, la peinture, la musique, la sculpture et même… les produits de consommation ! Mais avant tout, Cléopâtre fut une cheffe d’État redoutable et intelligente, très compétente, qui sut maintenir la prospérité de son royaume pendant vingt-deux ans.
L’exposition intitulée Le Mystère Cléopâtre, actuellement présentée à l’Institut du monde arabe à Paris jusqu’au 1er janvier 2026, rend compte des acquis historiques et archéologiques qui comblent les lacunes des sources et interrogent la puissance de la légende de la dernière des Ptolémées.
Née en 69 avant notre ère à Alexandrie, ville fondée deux siècles et demi auparavant par Alexandre le Grand, elle est la fille de Ptolémée XII. À la mort du conquérant, l’un de ses officiers, Ptolémée Ier, fonde la dynastie qui règne près de trois siècles. Ptolémée XII, le père de Cléopâtre, hérita de la grande richesse de ses aïeuls mais sans leurs qualités. Homme faible et désintéressé du pouvoir, il laissa son royaume – un protectorat romain – à l’abandon. Sa fille, elle, œuvra sans relâche pour sauvegarder l’autonomie relative de l’Égypte. Consciente de la puissance de Rome, elle s’y est immiscée grâce à ses liens sentimentaux et politiques, d’abord avec Jules César, puis avec Marc Antoine. Cléopâtre fit habilement éliminer ses frères-époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV, favorisant ainsi l’ascension de Ptolémée César, dit Césarion, le fils qu’elle eut avec César. Elle aura encore trois enfants avec Marc Antoine. Vaincue à la bataille d’Actium par Octave, elle se suicide le 30 août avant notre ère, mettant fin au règne des Ptolémées.
Critiques et calomnies
Les artistes et créateurs au service d’Octave, devenu l’empereur Auguste, ont cherché à disqualifier Cléopâtre par de terribles calomnies. Le très célèbre poète Virgile la dépeint comme une « abominable étrangère » qui aurait charmé Marc-Antoine. Horace la voit comme un monstre et une reine démente. Pour de nombreux écrivains romains, la souveraine défunte était une obsédée sexuelle, une nymphomane insatisfaite couchant avec des esclaves qu’elle assassinait au petit matin. Octave fit tout pour avilir sa mémoire et présenter Césarion comme le fils d’une prostituée orientale. Au IIe siècle, Plutarque décrit Cléopâtre comme une femme fatale qui détruisit Marc-Antoine.
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En Égypte, ces accusations infondées, ces ignominies et ces mensonges n’eurent aucun écho. Jean de Nikiou, évêque copte, la proclama dirigeante politique compétente et remarquable architecte du pouvoir. Plus tard, l’historien Ibn ‘Abd al-Hakam (803-871) lui attribua la construction d’un mur autour du royaume pour le protéger. Al-Mas’udi (896-956) la vit comme une philosophe et une érudite. Murtada ibn Al-Khafif, vers 1200, la présenta comme une femme éprise de liberté, préférant la dignité dans la mort à la soumission. En Occident, Cléopâtre fut assimilée à une Ève qui sourit en mourant ! Après la campagne d’Égypte de Bonaparte (1798-1801), l’égyptomanie devient populaire. Cléopâtre y est encore dépeinte comme une souveraine despotique, indolente et décadente. Shakespeare et sa tragédie Antoine et Cléopâtre popularisèrent sur les planches le mythe de la souveraine, et de grandes comédiennes, de Sarah Bernhardt à Elizabeth Taylor, ont incarné ce personnage toujours fantasmatique et orientalisant.
Cléopâtre devient aussi un objet de consommation, transformée en reine de beauté, égérie de mode et même marque publicitaire. Le mythe obscurcit souvent les faits, causant des confusions et des récupérations hasardeuses, au détriment de la cheffe d’État historique.
Une exposition immersive et critique
L’exposition rassemble autour de 250 objets, s’appuyant d’abord sur des faits historiques avérés. La seule image contemporaine et authentique de la souveraine qui nous soit parvenue est d’ailleurs présentée : imprimée sur un papyrus, elle est révélée au public grâce à un hologramme. Les autres pièces proviennent de prestigieuses collections internationales, telles que celles du Louvre, du château de Versailles, de la Bibliothèque nationale de France, mais aussi d’institutions culturelles italiennes, américaines, espagnoles ou suisses. L’exposition soulève avec honnêteté les questions qui persistent autour des origines et de l’authentification de certaines œuvres, invitant le visiteur à une réflexion sur la construction historique.
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Manuscrits, peintures, sculptures et trésors archéologiques guident le public pour percer les secrets de cette reine historique, si souvent éclipsée par l’immense ombre de sa propre légende, sans cesse enrichie et amplifiée. Après de nombreuses peintures du XIXe siècle, les œuvres d’artistes femmes de plusieurs époques rendent ensemble hommage à Cléopâtre. Cindy Sherman, par exemple, subvertit les codes en faisant du corps féminin un sujet, et non plus un objet. Barbara Chase-Riboud élabore un trône doré en 1994, choisissant avec force de ne pas représenter le corps de la souveraine, mais la puissance abstraite de son règne dans toute sa grandeur, sa luxure et sa beauté.
Présentée jusqu’au 11 janvier 2026, l’exposition consacre également une place au cinéma, en présentant des extraits de plusieurs films parmi les 220 réalisations consacrées à Cléopâtre depuis les débuts du septième art, témoignant de la fascination qu’elle exerce.
Djenana Djana Mujadzic
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