Le premier long métrage d’Aleem Khan, After love, qui a fait partie de la Sélection Semaine de la Critique Cannes 2020, sort sur les écrans suisses
Aleem Khan, scénariste et réalisateur britannique signe un premier long métrage, After Love, inspiré de sa propre famille et de ses proches. Après avoir reçu une nomination aux BAFTA pour son court métrage, Trois frères, le cinéaste anglo-pakistanais a été nommé Screen International ‘Star of Tomorrow’ en 2015.
Situé dans la ville côtière de Douvres au sud de l’Angleterre, After Love suit Mary Hussain, qui, après le décès inattendu de son mari, Ahmed (Talid Ariss), découvre qu’il cachait un secret à seulement trente-quatre kilomètres des célèbres falaises de la côte australe de l’Angleterre, l’autre côté de la Manche, à Calais.
Selon les intentions du réalisateur, l’histoire du film n’est pas autobiographique mais les personnages, à travers leurs fonctionnements internes, leurs recherches d’identité et leur expérience du deuil, sont très proches d’Aleem Khan qui puise son inspiration dans son désir de parler de sa propre expérience qui consiste à vivre entre deux cultures, deux univers et, en l’occurrence dans After Love, de concilier, à l’insu de tous, deux mondes si proches géographiquement et si éloignés culturellement.
Aleem Khan est anglais et pakistanais et, par conséquent, a grandi entre deux cultures :
« Par ailleurs, étant musulman et homosexuel, j’ai dû longtemps mener deux vies séparées. Ces dichotomies étaient difficiles à vivre pendant ma jeunesse, et j’avais intimement le sentiment de n’avoir de véritable place nulle part. »
Aleem Khan parle de perte de l’être cher après de nombreuses années de mariage, de certitudes qui s’effondrent alors qu’elles étaient le socle de toute une vie, de la découverte d’une réalité insoupçonnée, toute en finesse et en en pudeur, s’y employant avec une intelligence et une sensibilité remarquables. Découvrir, après sa mort, que son mari lui cachait une double vie, correspond pour Mary, sa veuve, à un double deuil : un deuil émotionnel et sentimental suite à la perte de son conjoint, accompagné par un deuil existentiel quant à ses convictions et quant à la réalité sur laquelle elle a construit sa vie entière. La révélation de la trahison déclenche l’écroulement inévitable des certitudes d’une existence.
Tout au long du film, les spectateurs vont de découverte en découverte, déconcertantes, surprenantes, et ont tout loisir d’accompagner Mary dans l’enquête qu’elle mène et d’éprouver de l’empathie pour elle, se mettant progressivement à la place de cette femme, percevant ses états alors que le récit tout comme le visage de Mary s’abstiennent de toute démonstration.
La mise en scène, d’Aleem Khan, tout en réserve, sensible, pudique, est en parfaite adéquation avec la protagoniste mais le cinéaste élargit le champ de son objectif au fur à mesure du récit pour laisser apparaître autour de Mary des personnages qui interagissent avec elle alors qu’elle était initialement esseulée dans son chagrine et son deuil.
Dès la première séquence, Aleem Khan choisit de montrer une femme qui a épousé une religion qui récite ses cinq prières quotidiennes en arabe mais qui s’exprime en ourdou avec son conjoint, qui a changé de prénom pour porter un nom musulman, qui porte des tenues traditionnelles pakistanaises et le voile, qui a renoncé à sa culture par amour. Ces éléments sont cruciaux dans le déroulement du scénario, particulièrement bien structuré.
Malgré le visage contenu et impassible de Mary qui ne laisse jamais rien transparaître de ses émotions, ces dernières sont prêtes à jaillir tel un volcan, ce qui sera le cas à l’approche du dénouement, qui culmine tel un feu d’artifice par le truchement d’un travelling arrière vertigineux magnifique sublime qui rend compte des émotions enfouies de Mary.
Nathalie Richard (Geneviève) est irréprochable mais il fait souligner l’extraordinaire interprétation de Joanna Scanlan (Mary) qui parvient à exprimer toutes les étapes par lesquelles par cette femme, à travers sa remise en question de toute sa vie avec son mari et de ses propres choix. Les mots que prononce Mary sont sobres, concis, et les silences fréquents qui accompagnent son chagrin immense, disent plus que les moindres paroles.
Aleem Khan réussit avec brio à explorer les constructions de notre notion d’identité et le processus d’une crise identitaire et émotionnelle. Le cinéaste souligne :
« After Love est une histoire faite de différentes strates, mais au centre se situe une femme qui lutte pour rassembler les morceaux épars de son cœur, ainsi que son sens de l’identité totalement brisé. Elle cherche la vérité, la compréhension et enfin sa famille. »
Mêlant avec subtilité vérité, morale et mensonge dans un maelström relationnel, Aleem Khan ne porte aucun jugement sur ce personnage bien que certains d’entre eux aient violé leur propre code moral. Illustrant la rencontre de deux univers que tout oppose, After Love conjugue l’anglais, le français et l’ourdou mais le langage remarquable est celui de Mary qui garde les lèvres scellées, sans dire mot, ses mais dont les yeux expriment tant de révélations bouleversantes grâce à la prestation exceptionnelle de Joanna Scanlan, un rôle qui lui vaudrait bien un prix !
Firouz E. Pillet
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