Mickey 17 de Bong Joon Ho – Un film de divertissement qui ne manque pas de sel critique et satirique politico-sociétal
Les cinéastes non-étasunien·nes, alpagué·es par des studios américains (cela vaut également pour les cinéastes non-européen·nes – qu’ils·elles viennent d’Iran, du Japon – ou pour les cinéastes européen·nes attiré·es par les lumières outre-Atlantique), ont tendance à perdre leur talent et/ou leur âme lorsqu’ils·elles sortent de leur univers, qu’il soit imaginaire, culturel ou lié à leur direction d’acteur·trice. Les exemples sont nombreux et parfois cruels pour les concerné·es. Inutile d’y revenir, laissons-les simplement retrouver la maison de leur cinéma.
Il existe toutefois des exceptions à ce phénomène, et Bong Joon Ho en fait partie. Le cinéaste coréen (Parasite, Palme d’or à Cannes en 2019 et Oscar du meilleur film en 2020) met à profit la puissance financière de Hollywood pour poursuivre son œuvre critique du système de classes, des structures de pouvoir oppressives et du cynisme corporatiste – qu’il soit politique ou économique –, qui broie les individus en les transformant en ressources matérielles.
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Avec Mickey 17, Bong Joon Ho nous livre une proposition complètement déjantée, qui nous ferait éclater de rire s’il n’y avait pas ces êtres malfaisants qui semblent avoir pris les rênes du monde. La caricature des avides de pouvoir dans ce long métrage (c’est d’ailleurs l’une des principales critiques au film, ses quelques longueurs) est malheureusement en deçà de la réalité qui nous est imposée chaque jour depuis maintenant 43 jours – un laps de temps qui, en ressenti, se compte en années.
Tout y est : des ploutocrates cherchant à coloniser une planète, l’instrumentalisation de la religion pour endoctriner les masses, des shows télévisés servant au lavage de cerveau, une hiérarchisation des individus visant à mieux contrôler l’ensemble. Mark Ruffalo incarne avec panache une sorte de ménechme de Donald Trump, malléable et influençable – particulièrement par la Première dame, interprétée par Toni Collette, qui semble s’amuser avec jubilation dans le rôle de cette fanatique à la Lady Macbeth. Son personnage, passionné par l’art culinaire, concocte des sauces aux ingrédients parfois les plus scabreux, tandis qu’un gourou des médias, évoquant Elon Musk, parachève cette satire grinçante.
Mickey et son ami Timo (Steven Yeun) ont des ennuis sur Terre avec la mafia. Embarqué par son pote dans une entreprise douteuse pour laquelle Timo a emprunté de l’argent – au nom de Mickey – aux pires requins financiers qui soient, leur seule échappatoire est de monter à bord d’un vaisseau spatial pour un voyage de quatre ans vers la planète Niflheim, sous le commandement du couple méphitique formé par Kenneth Marshall et sa femme Ylfa.
Si Timo parvient à s’embarquer en tant que pilote, Mickey, lui, n’ayant aucune compétence particulière à faire valoir et le vaisseau étant complet, accepte la seule place encore disponible : celle de Remplaçable (Expendable en anglais). Bien entendu, dans l’urgence, il ne prend pas vraiment le temps de lire son contrat. En réalité, son rôle consiste à servir de cobaye à tout faire : subir toutes sortes d’expériences pendant le voyage, puis, une fois sur Niflheim, être envoyé à l’extérieur pour explorer la planète et tester les conditions de survie. Grâce à une technologie révolutionnaire, Mickey est répliqué comme dans une imprimante 3D, à partir d’un matériau composé de déchets recyclés de la navette – avec tous ses souvenirs, y compris ceux de ses morts successives, qui finissent par devenir une simple routine de travail pour les autres voyageurs·euses. Personne ne se soucie de la charge psychologique que cela représente pour Mickey. Au contraire, une sorte de fascination s’installe avec une question récurrente : Cela fait quoi de mourir ?
Peu de temps après le départ, Nasha (Naomi Ackie), membre des forces de sécurité, s’intéresse à Mickey. Ils forment bientôt un couple improbable, mais cette relation lui permet de conserver sa bonne humeur et son optimisme un peu niais.
Lors d’une sortie à l’extérieur, à la recherche d’éventuels autochtones sur cette planète gelée, la 17ᵉ version de Mickey chute dans une crevasse et se retrouve face aux créatures indigènes : des sortes de rampants à carapace de tatou, surnommés creepers. Ne revenant pas à temps à la base et présumé mort, il est aussitôt répliqué. Cependant, la présence de multiples est strictement interdite – officiellement pour des raisons éthiques, mais surtout par manque de ressources à bord du vaisseau.
C’est en rencontrant son alter ego, à la personnalité contrastant fortement avec la sienne, que Mickey prend conscience de son individualité. Lui qui, jusqu’à présent – et depuis toujours, même sur Terre –, subissait les événements de sa vie, décide enfin de la prendre en main.
Robert Pattinson démontre ici toute l’étendue de son talent en incarnant ces deux versions de Mickey : de la naïveté comique à l’homme d’action, il se révèle aussi crédible qu’efficace. Les deux Mickey, devenus antagonistes, s’engagent alors dans un combat pour sauver leur peau… et peut-être aussi un peu d’humanité.
Outre sa critique sociale et politique, le film met en lumière la dimension ubuesque de la pensée colonialiste occidentale, qui traverse tout l’arc narratif. Ce petit monde part coloniser une planète et, lorsqu’il se retrouve face aux indigènes, il leur impose aussitôt sa loi, dictée par ses propres intérêts, avec le complexe de supériorité qui caractérise les colons. Lorsque, à la suite d’un incident, les natif·ves réclament justice et deviennent menaçant·es, le prétexte est tout trouvé pour justifier leur extermination génocidaire et s’approprier la planète en toute impunité.
Inspiré du roman Mickey7 d’Edward Ashton et conçu comme une parabole de science-fiction caustique, Mickey 17 fait rire, certes, mais une fois le spectacle terminé et la sortie du cocon de la salle obscure, il se ressent surtout comme un avatar de la réalité putride dans laquelle le monde se vautre.
De Bong Joon Ho; avec Robert Pattinson, Naomi Ackie, Steven Yeun, Toni Collette, Mark Ruffalo, Holliday Grainger, Anamaria Vartolomei, Thomas Turgoose, Angus Imrie, Patsy Ferran; États-Unis; 2024; 137 minutes.
Malik Berkati
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