Pardé : la métaphore du cinéma iranien, le syndrome du monde du cinéma à propos des films iraniens
Je m’excuse tout d’abord de parler à la première personne, mais c’est justement le seul intérêt de cet article sur ce film. Et je m’explique.
Le cinéma iranien jouit d’un statut particulier dans le monde du cinéma, que ce soit auprès des festivals, des critiques, des distributeurs… et même du public. Depuis des décennies, les réalisateurs iraniens mettent à l’épreuve leurs capacités d’ingénuité pour contourner la censure, jouer avec les limites imposées, créer de nouveaux espaces de créativité pour pouvoir travailler et s’exprimer. C’est ainsi que nous avons eu la période des métaphores enfantines ou animalières, puis les histoires en huit clos dans des appartements ou des voitures, puis les histoires de la classe moyenne iranienne. Tous ces films, du moins ceux présentés en Occident, portent une dimension sociétale et/ou sociale. Dès lors, que le film soit bon, moyen ou mauvais, une attention particulière lui est octroyée. Après tout, il parle d’un sujet qui est important, plus important que le cinéma en lui-même. Et il n’est pas facile de tourner, encore plus d’être distribué ! Alors récompensons l’effort et l’importance du sujet.
Oui mais non. Je ne dis pas que le cinéma iranien n’est pas de qualité. Mais il n’est pas de meilleure qualité qu’un autre cinéma. Je ne dis pas que faire du cinéma en Iran n’est pas un défi. Mais il existe de nombreux endroits dans ce monde où le défi est aussi grand. Depuis plusieurs années, j’en viens à redouter le moment « du film iranien » à voir absolument dans un festival. Il aura certainement un prix, même annexe. Qu’il soit bon ou moyen ou mauvais. Je le redoute, car je suis mal à l’aise avec cette sorte de discrimination positive. Mais je m’autocensure. Comme tout le monde.
Et Pardé dans tout cela ?
Pour être honnête, je ne pense pas que si ce film n’avait pas été fait par et pour Jafar Panahi, réalisateur assigné à résidence et interdit de tourner, protégé de la Berlinale – Ours d’Argent en 2006 pour Hors Jeu et membre fantôme du jury en 2011 avec sa chaise laissée vide, il aurait été sélectionné en compétition officielle.
Ce film est avant tout une belle démonstration d’amitié entre Jafar Panahi et son co-réalisateur, Kamboziyia Partovi. Les deux hommes se sont rencontrés en 1979, Partovi faisait sont premier film, Jafar était encore étudiant. Depuis, leurs chemins n’ont cessé de se croiser, Panahi devenant l’assistant de Partovi, Partovi étant le scénariste du film de Panahi Le Cercle (Lion d’Or de la Mostra de Venise en 2000), jusqu’à ce film, Pardé (Rideaux Fermés). Kamboziyia Partovi explique la genèse de ce film : « Il est difficile de travailler, et encore plus de ne pas travailler. C’est ce qu’on a voulu montrer. Ne pas travailler amène à la dépression. Pour que Jafar soit à nouveau occupé, nous avons commencé par travaillé sur le scénario en se disant, on trouvera bien un moyen de tourner. Nous avons travaillé en équipe très restreinte. Un caméraman que nous avons cherché très longtemps, un qui n’ait pas peur et veuille bien prendre en compte qu’il n’y avait pas de limite de temps établie, en réalité il nous a rendu service. Nous avions pensé prendre des acteurs iraniens à l’étranger, mais cela n’a pas été possible. J’ai donc pris le rôle. Madame Moghadam nous a rejoints plus tard : l’actrice pressentie s’est désistée deux semaines avant le début du tournage, Maryam Moghadam n’a pas hésité. Lorsque Jafar jouait, j’étais le réalisateur et ingénieur du son, lorsque c’était moi qui jouait, c’était l’inverse. Nous n’avions pas de limite de temps définie, nous voulions avant tout que Jafar s’occupe. C’était pour nous une possibilité d’avenir. »
À vrai dire, c’est le genre de film que j’aime bien – mais souvenez-vous, j’avais aussi beaucoup aimé Rage ! Néanmoins je ne peux honnêtement pas le conseiller à tout le monde. Pas parce que je méprise ce tout le monde, mais parce que le film est lourdement métaphorique. Typiquement iranien en somme. Les métaphores sont fortes, parfois complexes et à un certain point légèrement hermétiques. Un peu comme les rideaux fermés. Mais surtout, surtout, Pardé est trop long pour ce qu’il a à dire. Et la boucle est bouclée : il est long car il existe pour que Panahi ne sombre pas dans la dépression et s’occupe. C’est compréhensible. C’est justifié. C’est beau une telle amitié. Mais la sélection en compétition officielle…
Malik Berkati, Berlin
Pardé, de JAfar Panahi, Kamboziyia Partovi, Maryam Moghadam, Iran, 2013, 106 min.
Synopsis en anglais ou allemand
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Le film a été primé à travers Jafar Panahi par l’Ours d’Argent du meilleur scénario. La réaction officielle de l’iran, rapportée par RFI:
« Nous avons protesté auprès des organisateurs du festival du film de Berlin », a déclaré le vice ministre de la Culture Javad Shamaqdari, qui dirige l’organisme national du cinéma iranien, selon des propos cités par Isna. « Nous pensons que les organisateurs du festival de Berlin devraient corriger leur comportement (…) Tout le monde sait que faire un film et l’envoyer à l’étranger nécessite une autorisation », a-t-il fait valoir.
« Tourner de tels films est illégal mais jusque là la République islamique a fait preuve de patience » a estimé M. Shamaqdari.
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