Past Lives – Un trio amoureux sur deux continents
Celine Song offre à l’année cinématographique 2023 l’une de ses plus belles scènes d’ouverture ! Nous sommes dans un bar chic de New York, témoins d’une scène qui se passe en arrière-plan, commentée par nos voisins de table, hors cadre comme nous, qui se demandent quels sont les liens qui unissent ces gens : une femme entourée de deux hommes. Cette scène est une promesse, mais comme le dit l’adage, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.
La suite s’avère beaucoup plus convenue que ne le laissait présager les premières minutes très cinématographiques : un triangle amoureux qui a pour particularisme d’être sur deux continents, dans deux langues et dans deux espaces-temps. Pour le reste, c’est une certaine langueur, sans passion qui s’installe petit à petit tout au long du film, reflet d’une génération un peu sage, peu encline aux débordements et effusions.
Durant leur enfance, Nora et Hae Sung ont vécu une amitié forte qui présage d’un avenir amoureux. Hélas, la famille de Nora, qui ne s’appelle pas encore Nora, ce prénom étant celui qu’elle se choisit pour l’immigration, quitte Séoul pour Toronto. Ils se promettent de rester en contact, mais la vie sur deux continents les séparent. Celine Song, qui ne cache pas la part autobiographique de cette histoire, déploie le ressac des sentiments et des rapprochements sur trois périodes : l’enfance commune, la séparation et l’entrée dans la vie adulte, les retrouvailles une fois installé∙es dans la vie.
Inutile de dire qu’une des deux personnes semble être plus amoureux que l’autre, il est même parfois difficile de ne pas ressentir beaucoup d’empathie pour Hae Sung qui prend son courage à deux mains pour, 24 ans après l’avoir vue pour la dernière fois, décide de se rendre à New York pour un week-end où vit à présent Nora avec son mari, Arthur (John Magaro). Les deux sont écrivain∙nes et, après avoir vécu une sorte de bohème d’image d’Épinal véhiculée par le cinéma et la littérature étasunienne de Greenwisch Village, se sont établi∙es dans la scène littéraire et ont acquis une certaine notoriété. Ce ne sont pas seulement les 12 heures de vol d’avion qui séparent Hae Sung, devenu ingénieur, et Nora. Ce sont surtout deux mondes professionnels et culturels.
Il n’en reste pas moins quelques scènes touchantes, lorsque Nora et Hae Sung se revoient, que cela ravive le lien profond qui les unissait. Leur moment de bravoure à se confronter à un intime qu’il et elle ont inconsciemment occulté pendant toutes ces années est un moment fort de cette romance dramatique. S’ensuivent des réflexions sur leur ancien lien profond qui est ravivé, les obligeant à se questionner sur des thèmes cosmiques comme le pouvoir du destin, l’amour et les décisions qui font et défont une vie.
Hae Sung et Arthur aiment manifestement Nora, chacun d’amour, même si le récit veut nous faire croire que l’un des deux pourra dépasser ce fait et transformer cet amour pour avancer dans sa vie. Nora aime tout aussi manifestement ces deux hommes, d’un amour plus ambivalent et donc plus intéressant pour l’histoire – le côté autobiographique est logiquement mieux écrit, ou du moins retranscrit de manière plus complexe. Past Lives raconte une génération d’actif∙ves qui se laisse un peu porter par le vent, se cherchant d’abord une place dans la vie active avant de s’installer dans celle de son intimité. On est ici plus proche d’un romantisme d’optimisation que du Sturm und Drang allemand ! Le film n’en reste pas moins agréable à regarder, ne serait-ce que pour cette première scène qui reste en tête longtemps après sa résolution à la fin du film.
De Celine Song; avec Greta Lee, Teo Yoo, John Magaro, Jojo T. Gibbs; USA; 2023; 107 minutes.
Malik Berkati
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