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Shayda – Convergence entre fiction et réel : un écho au Mouvement Femme, Vie, Liberté !

Si le diable se cache dans les détails, souvent le drame se dissimule dans l’accumulation de poussées d’angoisses quotidiennes. Rien de spectaculaire dans le premier long métrage de la réalisatrice irano-australienne Noora Niasari, mais une mise en lumière d’une situation vénéneuse qui consumerait ses protagonistes sans l’énergie vitale qu’elles déploient pour ne pas s’y abandonner. La cinéaste et son directeur de la photographie, Sherwin Akbarzadeh, alternent entre des prises de vue saccadées et nerveuses d’un côté, et des plans posés et lumineux de l’autre, pour nous faire naviguer, avec leurs personnages, entre ces deux pôles actantiels.

Shayda (Zar Amir Ebrahimi au centre) de Noora Niasari
Image courtoisie Filmcoopi Zurich

Shayda (interprétée par Zar Amir Ebrahimi) est une femme iranienne vivant en Australie avec sa fille de six ans, Mona (Selina Zahednia), dans un foyer-refuge pour femmes. Son mari Hosein (Osamah Sami), étudiant en médecine, veut garder sous sa coupe sa femme qui « s’occidentalise » trop à son goût. Après avoir subi des violences physiques et sexuelles, Shayda s’est tournée vers la justice australienne qui s’avère ne pas être aussi efficace que l’on pourrait le souhaiter dans la protection des femmes et des enfants.

Cet aspect du scénario, écrit par la réalisatrice, est particulièrement intéressant : le refuge pour femmes et enfants, dirigé par Joyce (Leah Purcell), accueille une diversité de profils, soulignant ainsi que les violences sexistes et sexuelles ne sont pas l’apanage d’un groupe sociétal ou culturel spécifique. L’ambivalence des autorités judiciaires est également mise en lumière, à travers l’attitude des policiers qui tendent à décourager les femmes de porter plainte, la lenteur des décisions judiciaires et les incohérences des mesures provisoires. Dans le cas de Shayda, cela se traduit par le fait que Hosein n’a ni le droit de connaître la résidence de sa femme et de sa fille, ni de les contacter par téléphone, mais peut passer une demi-journée hebdomadaire avec sa fille, sans surveillance, jusqu’au jugement définitif. Ainsi, la scène d’ouverture, qui exprime toute l’angoisse que Shayda ressentira tout au long du film, prend tout son sens : Joyce accompagne Shayda et Mona à l’aéroport et informe la petite fille sur le comportement à adopter et les personnes à alerter si son père l’emmène dans cet endroit lors de leur rencontre hebdomadaire.

En attendant la décision officielle, Shayda s’efforce de créer des moments de légèreté pour sa fille, qui subit une pression psychologique de la part de son père. Une autre subtilité du scénario réside dans l’écriture du personnage d’Hosein. Durant la première demi-heure du film, il est une menace omniprésente, un spectre dont l’incarnation est laissée à l’imagination des spectateurs·trices. Lorsqu’il apparaît finalement, il se révèle physiquement tout à fait ordinaire, se montrant prévenant, gentil avec sa fille, et attentionné, loin de l’image d’une brute épaisse que l’on pourrait imaginer. Cependant, il ne faut pas sous-estimer son recours à la manipulation, à la pression et à la violence psychologique, qu’il exerce de manière subtile sur sa fille, à travers le chantage affectif et la culpabilisation, et de manière plus explicite sur sa femme, par des menaces allant de l’exclusion sociale aux intimidations physiques.

Même si le film se déroule au milieu des années nonante — l’histoire s’inspire directement de l’enfance de la réalisatrice, qui a elle-même vécu dans un refuge pour femmes en Australie —, il résonne douloureusement avec la situation contemporaine des femmes dans le monde entier. Cela inclut les pays dits occidentaux, où les femmes subissent encore des violences physiques et psychologiques ainsi que des discriminations basées sur le genre. Il fait également écho, de manière plus spécifique, à la situation des femmes iraniennes. Depuis la mort de Mahsa Amini, une jeune femme kurde d’Iran, tuée le 16 septembre 2022 par des membres de la police des mœurs pour un voile jugé mal ajusté, ces femmes refusent de se plier aux diktats du régime. Malgré une répression féroce, elles continuent de faire vivre le mouvement Femme, vie, liberté.

Ce slogan prend ici une dimension universelle grâce aux deux vecteurs narratifs du film : les femmes du refuge, qui ne sont pas toutes dépeintes de manière particulièrement sympathique, continuent malgré leurs difficultés à vivre leur vie de jeunes femmes, à sortir, danser et faire des rencontres. Shayda, plus réservée sur ces aspects de la vie, se laisse parfois emporter par cette pulsion de vie et de liberté. Mais surtout, elle cherche à ne pas priver sa fille des moments de joie et des traditions qui ont marqué sa jeune vie jusqu’à présent, comme la fête du feu et surtout Norouz, le Nouvel An du calendrier persan et premier jour du printemps. Symboliquement, c’est à cette occasion que le point culminant dramatique de l’histoire se déroule, changeant le cours du destin des différents protagonistes.

De Noora Niasari; avec Zar Amir Ebrahimi, Osamah Sami, Leah Purcell, Jillian Nguyen, Mojean Aria, Selina Zahednia, Rina Mousav; Australie; 2023; 117 minutes.

Malik Berkati

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