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Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Supiot signent Tati et le film sans fin, un roman graphique, édité chez Glénat, qui rend un magnifique hommage au créateur de Monsieur Hulot

Les Éditions Glénat proposent Tati et le film sans fin, signé Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Supiot, qui invite à une immersion ludique dans l’univers drôle et poétique d’un des plus grands cinéastes français du XXème siècle.

Dès la couverture, l’album de 136 pages suggère le monde imaginé par Jacques Tati (Jacques Tatischeff, 1907-1982) qui regarde dans l’objectif de sa caméra, tous deux flottant sur de petits nuages blancs dans un ciel bleu turquoise. La première page nous indique l’arrivée d’une scripte pour Monsieur Tati à Saint-Marc-sur-mer durant l’été 1951. Dans les pages suivantes, la brave scripte a bien du mal à se faire accepter par le réalisateur mais ne se démonte pas et exécute son travail avec minutie. Tati finira par admettre que cette scripte est bien précieuse et que son travail est remarquable.

Au fil des pages qui se suivent sans se ressembler, les lecteurs peuvent être surpris par le découpage et la multiplicité des styles : les deux auteurs passent allègrement de la couleur au noir et banc, en passant à des vues de la ville qui semblent dessinées à la sanguine, ponctuées un peu plus loin par des silhouettes qui ressemblent à des ombres chinoises, changeant de page en page les découpages en partant d’une vue panoramique à une page découpée en quatre ou en huit fenêtres. Rapidement, les lecteurs réalisent que cette foison de formes relèvent de partis pris réfléchis, résultat d’une compréhension intime de l’esprit et de l’imaginaire de Jacques Tati. Cette multiplicité graphique transmet admirablement, par cette mise en forme ludique, ingénieuse et astucieuse, la drôlerie, l’inventivité et l’originalité du cinéaste.

Plus de quarante après la disparition de Tati, son talent amuse et fascine de génération en génération mais demeure inclassable. Une certitude : son art a été grandement influencé, voire imprégné par son premier rêve : devenir clown !

Avant de devenir un cinéaste de renom, Jacques Tati fait son service militaire et l’ayant terminé, découvre en 1928, le rugby en Angleterre. À son retour dans l’Hexagone, Tati s’inscrit au Racing Club de France et joue dans l’équipe d’Alfred Sauvy, futur économiste et démographe. Excellent mime, Tati amusera ses coéquipiers en refaisant le match pendant la troisième mi-temps en improvisant ses premières pantomimes comiques. De 1930 à 1934, à l’occasion de la revue annuelle du Racing, Tati donne des représentations de son premier spectacle, qui deviendra Impressions sportives au Théâtre Michel en 1935. L’album rappelle les sources d’inspiration qui nourrissent le cinéaste en devenir : Tati rêve de cinéma et est fasciné par les burlesques américains, notamment W.C. Fields et Buster Keaton, Max Linder, Harold LLoyd. S’ensuivent deux courts métrages avec son ami, le Clown Rhum, petit et nerveux, parfaite antithèse de Tati

Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Supiot ont bien cerné la prépondérance et l’importance du clown dans l’œuvre de Tati qui n’a cessé de l’être en inventant des gags, tant visuels que sonores, sous ses multiples casquettes : mime, acteur, scénariste, réalisateur… Ses premières expériences de pantomime lui font prendre conscience l’importance des éléments visuels et le caractère secondaire du dialogue pour raconter une histoire. Tati affectionnera d’enregistrer des bruits divers et variés pour effectuer un travail d’horloger sur cette manne sonore : chez lui, l’image est précisément synchronisée avec le son, les bruits du quotidien qu’il dirige tel un véritable chef d’orchestre et qui sont exagérés devenant ridicules et burlesques, font mouche auprès du public qui prend goût à suivre l’histoire par le biais de cette symphonie de son qui crée une narration sonore et musicale remplaçant les dialogues qui brillent par leur absence.

Destiné à reprendre l’entreprise familiale, le jeune Jacques est médiocre à l’école mais, puni et placé au coin, le jeune met à profit sa punition pour observer et saisir les situations burlesques du quotidien comme le rappelle une bulle de l’album: « L’art du mime découle de l’observation. »

Ce regard que Tati porte sur le monde, il le sublimera dans le music-hall dès les années trente puis sur grand écran tout au long de sa carrière. Tati et le film sans fin rappelle les temps forts de sa filmographie.

Avec son premier coup d’essai, Tati signe son premier chef-d’œuvre : Jour de fête (1949). Entouré d’amateurs, Tati obtient le Grand prix du cinéma français (1950). Sur le tournage, il contrôle tout sauf la couleur, qui lui échappe de peu ! Puis, en 1953, une silhouette atypique s’avance, celle de Monsieur Hulot. Personnage cultissime, longiligne, déglingué, affichant des pantalons trop courts et chapon, cet anti-charlot à la pipe qui fait corps avec Tati devient récurrent. Acclamé, Tati se verra auréolé de succès avec son troisième long-métrage, Mon oncle (1958). Évitant les sirènes d’Hollywood, il préfère se lancer dans Playtime (1967), un projet titanesque. Pour installer l’absurde, Tati construit une ville-décor et se ruine ! Il perdra sa maison de production et, dans la foulée, les droits de ses propres films avant de repasser derrière la caméra dans les années septante.

Tati et le film sans fin montre et démontre combien Tati privilégiait le geste aux dialogues, retravaillant le son. Il a inventé un univers à part et devint, en seulement six films, un des maîtres incontestables du cinéma français et international. Dans les années cinquante, soixante, septante, ses films drainaient les foules dans les salles obscures et Tati recevra le César du cinéma en 1977 pour l’ensemble de son œuvre, avant de s’éteindre en 1982 en laissant inachevé un ultime scénario, Confusion.

Le tandem d’auteurs a su transmettre l’importance des répliques et des sonorités dans l’univers de Tati, ponctuant leur album de phrases bien balancées : « le comique est le comble de la logique », et cite des contemporains du cinéaste : la journaliste Michèle Manceaux qui déclare ; « Hulot, c’est le visage de Prévert sur le corps de De Gaulle », Jacques Lagrange, peintre, collaborateur et ami de Tati qui souligne : « Je dessine tout ce que Tati a dans la tête », ou encore sa monteuse Suzanne Baron qui mentionne le travail de Tati sur le son : « Pour Les vacances de Monsieur Hulot , on a enregistré 365 bruits de vagues différents ».

Suivant les pas du cinéaste, Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Supiot proposent un album de prime abord simple et lisse, mais qui s’avère fouillé, riche en anecdotes, très documenté et très peaufiné à la lecture. Les auteurs croquent avec justesse l’homme au-delà de la légende du septième art dans ce roman graphique visuellement pictural, poétique et émouvant, à l’instar des personnages qu’il mettait en scène ou qu’il interprétait.

Firouz E. Pillet

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