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Avec Le matin de Sarajevo, signé Chapuzet & Girard, les Éditions Glénat proposent de revivre la matinée qui a changé le cours de l’histoire du XXème siècle

Au matin du 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, est assassiné à Sarajevo par un jeune nationaliste serbe, Gavrilo Princip. Comment cet acte terroriste, qui précipitera l’Europe entière dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale, s’est-il préparé et déroulé ? La collection « 1000 feuilles » des Éditions Glénat publie le roman graphique Le Matin de Sarajevo, de Jean-Charles Chapuzet et Christophe Girard.

Avec Le Matin de Sarajevo, le tandem Chapuzet & Girard, qui avait déjà publié en 2019 une biographie romancée, L’Affaire Zola, revient sur les événements tragiques et hasardeux qu’une bande de conspirateurs amateurs ont menés et qui ont engendré la Première guerre mondiale. L’opus livre le récit de ce matin qui renversa l’ordre mondial, et plus particulièrement de Gavrilo Princip, cet étudiant membre de La Main Noire (Црна рука), société secrète nationaliste serbe fondée en 1911 avec pour ambition de réunir au sein d’un unique État serbe l’ensemble des territoires faisant partie de l’Autriche-Hongrie (Croatie, Bosnie, sud de la Hongrie). Le Matin de Sarajevo plonge le lectorat au cœur d’une Bosnie annexée par les Habsbourg, où les jeunes de la Main Noire ont pour ambition de créer un éveil moral auprès de la jeunesse nationaliste yougoslave et espèrent déclencher, par cet attentat, une nouvelle conscience nationale.

Dans un dessin qui capte d’emblée l’attention, que l’on soit féru d’histoire ou néophyte, les planches élaborées par le duo Chapuzet & Girard proposent un voyage dans le temps fait de décors riches de la ville au début du siècle passé, de personnages insolites et énigmatiques, et entraîne lectrices et lecteurs au travers d’un périple mouvementé de Belgrade à Sarajevo. Abondamment documenté, le récit est truffé de références historiques instructives qui contenteront les experts en histoire comme les lecteurs novices.

La disparition de Rodolphe d’Autriche, cousin de François-Ferdinand, qui se suicide par balle, a placé François-Ferdinand en position d’accéder au pouvoir, dans le sillage direct d’un oncle qui le méprise et voit d’un mauvais œil sa relation controversée avec Sophie Chotek de Chotkow et Wognin, une femme dont le principal tort est d’être née dans une famille de nobles, mais sans rang dynastique. Postés le long du quai, à guetter la voiture de l’héritier de l’Empire austro-hongrois, les conspirateurs vont d’abord échouer dans leurs desseins, l’un des membres de ce commando amateur allant jusqu’à se tromper dans le compte à rebours avant de jeter sa bombe ! Dans un compte à rebours qui demeure angoissant, même si l’on en connaît l’issue fatale, heure par heure, au gré de cette journée scandée par les actes manqués, par l’absurde et le hasard, les lectrices et lecteurs suivent les machinations vouées à l’échec de ces hommes, jusqu’au moment où l’un d’entre eux, Gavrilo Princip, installé au café, profitera d’un instant inespéré pour passer à l’action ! Alors qu’il pense l’entreprise vouée à l’échec, le véhicule transportant le couple impérial s’immobilise à quelques mètres de lui, après avoir revu son itinéraire au dernier moment. Gavrilo Princip s’empare de son arme et tire plusieurs coups de feu, abattant l’hériter du trône et son épouse. Gavrilo Princip fera ainsi la Une de tous les journaux européens !

Parallèlement au récit de cette matinée, la BD invite les lectrices et lecteurs à remonter dans le temps pour faire connaissance avec le jeune François-Ferdinand, que rien ne prédestinait à monter sur le trône. Enfin, en suivant de près la progression des terroristes, le lectorat décerne clairement les enjeux de l’époque et la résonance de cet attentat sur le monde contemporain. D’ailleurs, pour souligner les voyages temporels que propose cet album, soulignons combien le scénariste Jean-Charles Chapuzet et le dessinateur Christophe Girard affectionnent le recours à des bonds temporels afin de livrer les tenants et aboutissants de l’attentat de Sarajevo. L’album, composé d’allers-retours entre le périple qui mena les conspirateurs à Sarajevo, des scènes du tribunal qui les condamna, leurs destins tragiques, mais aussi les intrigues de cour des Habsbourg, coulisses de maquignonnages royaux et de scandales régaliens. Ces divers éléments historiques sont entrecoupés avec maestria par des séquences de prétoire, en noir et blanc, où les assaillants reviennent sur leurs motivations et la préparation de l’attentat.

Burlesque et tragique, ce roman graphique digne d’un polar historique plonge, avec brio et à grand renfort de détails précieux, au cœur de ces quelques heures qui ont changé le cours de l’histoire du XXème siècle.  À la fin de la lecture de l’album, une conviction s’impose d’elle-même : l’équilibre du monde ne tient qu’à un fil, si ténu et si fragile, … Un constat d’une brûlante actualité et qui ouvre sur de nombreuses réflexions !

Le Matin de Sarajevo met en valeur la fructueuse collaboration entre Jean-Charles Chapuzet (scénario) et Christophe Girard (dessins, couleurs) et illustre avec justesse l’incroyable concours de circonstances et le moment inextricable où l’acte d’un individu peut changer le cours de « l’Histoire avec sa grande hache » comme le formule si bien Georges Perec alors qu’il était étudiant dans la Yougoslavie de Tito.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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