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Avec Quand vient l’automne, François Ozon livre un polar à la Simenon, dominé par l’introspection

Avec ce long métrage, le cinéaste français replonge avec bonheur dans le registre du film noir dans lequel il excelle et qu’il teinte d’accents naturalistes, à travers une histoire magnifiquement servie par une distribution talentueuse.

Michelle (Hélène Vincent), une grand-mère bien sous tous rapports, vit sa retraite paisible dans un petit village de Bourgogne, pas loin de sa meilleure amie Marie-Claude (Josiane Balasko). À la Toussaint, sa fille Valérie (Ludivine Sagnier) vient lui rendre visite et déposer son fils Lucas pour la semaine de vacances. Mais, après une poêlée de champignons fraîchement ramassés, rien ne se passe comme prévu…

— Hélène Vincent et Josiane Balasko – Quand vient l’automne
Image courtoisie Filmcoopi Zurich

Après Mon crime (2023), une comédie jouant le mélange de divers registres teintés d’ironie, et Peter von Kant (2022), l’adaptation de la pièce de théâtre de Rainer Werner Fassbinder Les Larmes amères de Petra von Kant, François Ozon revient à l’écriture d’un scénario original, écrit avec la collaboration de Philippe Piazzo, une histoire qui s’ancre dans le réel. Le cinéaste développe ici les thèmes de la culpabilité et du meurtre, mais avec une palette subtile de nuances psychologiques et d’émotions.

L’inspiration du film lui est venue d’une histoire personnelle qui puise dans son enfance : lorsqu’il était enfant, une de ses tantes avait organisé un repas de famille où elle avait cuisiné des champignons, qu’elle avait elle-même ramassés. Le réalisateur se rappelle que la nuit suivante, tout le monde a été malade, sauf elle, qui n’en avait pas mangé. Cette histoire l’a fasciné, d’autant plus qu’il ne soupçonnait pas sa tante, si attentionnée et bienveillante, d’avoir voulu empoisonner toute la famille. Mais le désir inavouable que ce fut le cas l’animait et voilà qu’il en fait le scénario de son nouveau film.

Dans Quand vient l’automne, le cinéaste retrouve ses thèmes de prédilection telles l’ambiguïté, l’ambivalence et la subversion des normes sociales. Ponctuant subtilement son récit avec une touche de mélodrame, ma non troppo !, François Ozon y distille un savant et savoureux mélange d’enquête policière (l’enquêtrice est incarnée par Sophie Guillemin), de saga familiale, de situations cocasses et drôles, émouvantes et délicieusement cyniques, portées par de sublimes paysages. Cette fresque d’une amitié faite de tendresse et de sororité était déjà présente dans Mon crime, avec deux jeunes filles qui s’entraidaient face à l’adversité. Dans Quand vient l’automne, le cinéaste dépeint deux femmes beaucoup plus âgées, qui ont partagé un même travail et un passé sulfureux, et qu’elles préfèrent taire. Le metteur en scène filme leur plaisir simple de savourer une vie bucolique, éloignée des vicissitudes de la ville. Marie-Claude n’a pas la force ni la volonté ni la sérénité de Michèle. Ni surtout sa distance face au regard de la société ! Alors que Michèle s’arrange avec son passé et compose avec le poids de la morale, Marie-Claude le subit de plein fouet, victime d’un profond sentiment de culpabilité, viscéralement ancré dans son corps au point d’en tomber malade.

François Ozon fait la part belle à des actrices d’un certain âge en les sublimant, soulignant la beauté des rides sur leur visage, signes du temps qui passe, témoins de leur expérience d’une vie éprouvante et des épreuves surmontées ensemble. Conscient que la société actuelle a de plus en plus tendance à effacer, voire à occulter les personnes d’un certain âge des écrans, le cinéaste prend le contre-pied de cette inclination en confiant les rôles principaux à deux comédiennes, l’une septuagénaire, l’autre octogénaire, qui portent leur âge avec prestance et l’assument pleinement. Le cinéaste avait déjà travaillé avec Hélène Vincent et Josiane Balasko dans Grâce à Dieu (2018), film dans lequel les deux comédiennes jouaient déjà des mères. Hélène Vincent, qui n’a pas eu beaucoup de premiers rôles au cinéma, se retrouve ici dans la majeure partie des scènes. Tout en finesse, l’actrice parvient à exprimer une immense palette de sentiments, allant de la bonté et de la gentillesse à la fermeté et à la dureté. Il est vrai que pour Josiane Balasko, on se demande parfois s’il s’agit vraiment d’un rôle de composition quand elle affiche un air revêche, renfrogné, voire bourru. Dans cette saga familiale emplie de secrets, elle réussit à y incarner la culpabilité, qui mine son personnage et qui vivote dans un train de vie plus modeste que son amie. Engoncée dans un corps corpulent qui la fait souffrit, elle adopte une démarche, gauche en claudiquant.

Fidèle à la famille de comédien.ne.s qu’il s’est constituée au fil de ses longs métrages, le cinéaste retrouve ici Pierre Lottin, qui joue Vincent. Le comédien avait aussi un petit rôle dans Grâce à Dieu. Avec le personnage de Vincent qui incarne d’emblée une forme de duplicité inquiétante, François Ozon s’amuse à déstabiliser le public en jouant sur l’ambiguïté et en semant le doute dans son esprit en suggérant la culpabilité de certains personnages sans la confirmer. Le cinéaste opte pour une mise en scène simple, fluide, traversée ponctuellement d’une tension latente, de dissensions entre le visible et les non-dits, d’un suspense qui amène le public à se questionner sur les véritables enjeux des personnages.

Confrontés à des cas de conscience, les personnages évoluent dans toute leur complexité et dans leur dimension tragique, au sens étymologique du terme, au-delà de la vision judéo-chrétienne manichéenne du bien et du mal. Le réalisateur dirige à nouveau Ludivine Sagnier qu’il avait fait tourner pour la dernière fois dans Swimming pool (2003). Prenant le parti pris de laisser de nombreux éléments hors-champ et beaucoup de non-dits, François Ozon contraint le public à se faire ses suppositions et son propre film. Les interprétations sont donc multiples et particulièrement subjectives.

Un des personnages fondamentaux de Quand vient l’automne est le décor, les paysages dans lesquels le récit est inscrit : la Bourgogne, une région que le cinéaste affectionne particulièrement pour y avoir passé ses vacances enfant. Le réalisateur a tourné à Donzy, près de Cosne sur Loire, une région peu filmée, qu’il met en lumière grâce à la photographie picturale de Jérôme Alméras. Le calme apparent de ce cadre bucolique cache nombre de remous psychologiques. Comme le souligne François Ozon :

« Le rythme des saisons, la nature sont très présents dans les couleurs, la lumière, les sons, dans le bruit de l’eau des canaux. Le film commence et finit en automne, dans la forêt. De manière métaphorique, Michèle se fond dans la nature, entourée de fougères, et revient à la terre, comme un champignon. C’est le cycle de la vie. »

Pour composer la bande-originale du film, François Ozon a fait appel à Sacha et à Evgueni Galperine, qui avaient déjà œuvré sur Grâce à Dieu. Le cinéaste a choisi une musique atmosphérique, aux sonorités ténues, qui alimente une tension souterraine et maintient de manière inconsciente le public en haleine. Tout au long du film, on redoute le pire mais on ne sait pas de quoi il s’agit.

Encore une fois, François Ozon signe un grand film !

Sur les écrans romands ce mercredi 2 octobre 2024.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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