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Avec The Banshees of Inisherin, Martin McDonagh signe une comédie noire abreuvée de Guinness pour noyer les marasmes, les souffrances et l’isolement des habitants d’une île irlandaise

Sur Inisherin – une île isolée au large de la côte ouest de l’Irlande – deux compères de longue date, Padraic Súilleabháin (Colin Farrell) et Colm Doherty (Brendan Gleeson), se retrouvent dans une impasse lorsque Colm décide du jour au lendemain de mettre fin à leur amitié. Abasourdi, Padraic n’accepte pas la situation et tente par tous les moyens de renouer les contacts, avec le soutien de sa sœur Siobhan (Kerry Condon) et de Dominic Keamey (Barry Keoghan), un jeune insulaire un peu dérangé, mais toujours prêt à aider autrui. Les efforts répétés de Padraic ne font que renforcer la détermination de son ancien ami et lorsque Colm finit par poser un ultimatum désespéré et extrême, les événements s’enveniment et vont avoir de terribles conséquences.

— Brendan Gleeson et Colin Farrell – The Banshees of Inisherin
© 20th Century Studios. All Rights Reserved.

The Banshees of Inisherin se déroule sur l’île fictive d’Inisherin mais dans le contexte historique bien réel de la guerre civile qui a fait rage en Irlande au début des années 1920. Les habitants de l’ile d’Inisherin ne semblent guère affectés, mais les spectateurs perçoivent au loin les rugissements des canons et les coups de feu qui leur parviennent du continent certaines nuits. Le film a été tourné sur les îles d’Inishmore et d’Achill, au large de la côte ouest irlandaise, qui font partie des îles d’Aran, un groupe de trois îles à l’embouchure de la baie de Galway; la caméra de Martin McDonagh nous fait d’emblée oublier ce détail géographique pour nous immerger au cœur de la vie insulaire et des préoccupations des habitants d’Inisherin. Tous les insulaires sont conscients qu’une guerre civile se déroule sur le continent mais s’en savent protégés du fait que leur île demeure à l’écart du tumulte.

Le film bénéficie d’une excellente distribution, à commencer par le savoureux duo formé par Colin Farrell et Brendan Gleeson qui se donnaient déjà la réplique dans Bons Baiser de Bruges (In Bruges, 2008). C’est sans doute la complicité qui unit les deux acteurs, amis à la ville, qui leur a permis de si bien incarner les tensions entre ces deux personnages. Quand leurs personnages se disputent, l’un d’eux se dirige vers une partie du pub, l’autre du côté opposé, incarnant l’aberration de leur situation ainsi que l’impasse dans laquelle ils se trouvent, au grand dam des villageois qui tentent tant bien que mal d’aplanir la situation. Le plafond écrasant du pub oppresse et étouffe, révélant intensément les tensions entre les deux hommes et quand l’un sort du pub pour fuir l’autre, l’atmosphère reste pesante, rattrapée par les échos de la guerre qui sévit.

Mis à part le contexte de la guerre civile, Martin McDonagh baigne son récit dans le folklore irlandais qui imprègne le quotidien des habitants d’Inisherin. Dès le titre, le public est avisé qu’il sera confronté aux croyances celtiques, aux mythes et légendes qui habitent les lieux et animent les gens. Les « Banshees » du titre – et de la chanson que Colm compose tout au long – sont des esprits féminins qui crient, gémissent et pleurent, en général la nuit, avertissant par leurs cris et leurs lamentations lugubres, qu’un membre de la famille va bientôt mourir. Si ce présage de mort est normalement assimilé à des êtres surnaturels dans le folklore irlandais et dans la tradition celtique, Martin McDonagh choisit de l’incarner à travers la personne mystérieuse et inquiétante de Mrs. McCormick (Sheila Flitton), une femme âgée qui lance non pas de sinistres plaintes mais des avertissements funestes que la mort approche.

Inspiré par les westerns de John Ford et de Sergio Leone, Martin McDonagh a opté pour des prises de vues en contre-plongée, en filmant les plans à partir des pieds comme Sergio Leone ou des plans filmés à travers les portes et les fenêtres à l’instar de John Ford. Doté d’un scénario magnifiquement écrit, mis en valeur par la photographie picturale signée Ben Davis, The Banshees of Inisherin montre une nature verdoyante qui devient progressivement oppressante et suffocante pour cette petite une petite communauté qui entretient de petits griefs et des péchés à peine cachés que le prêtre (David Pearse) essaie de contenir en appelant ses fidèles au pardon.

Superbement réalisé par Martin McDonagh – dont le film fait par moments songer à Bresson par son catholicisme prégnant et par la picturalité de ses images – The Banshees of Inisherin distille une observation pointue de la psychologie humaine, des reproches, des humeurs et des dissensions. Le récit, a priori simple, est rehaussé par des situations et des répliques à la fois sombres et cocasses, habilement amenées et qui permettent au cinéaste de sonder l’âme humaine et d’explorer des thèmes psychologiques riches. L’étrangeté sous-jacente des lieux et de certaines personnes apportent des ponctuations face à la menace d’une violence croissante.

On ressort de la projection hanté par la cinématographie à la forte puissance évocatrice de Martin McDonagh, servie par une magnifique interprétation des comédiens qui font de The Banshees of Inisherin une fable envoûtante sur les hommes, sur leurs convictions et sur leurs croyances, oscillant magistralement entre réalisme et fable, à la fois incarné dans un contexte historique et intemporel.

The Banshees of Inisherin a été présenté en compétition en avant-première mondiale à la 79ème Mostra de Venise 2022 où le film a remporté le Prix du meilleur scénario (Martin McDonagh) et la Coppa Volpi de la meilleure interprétation masculine (Colin Farrell).

En cette fin d’année, le film sort sur les écrans romands.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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