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Pacifiction – Tourment sur les Îles d’Albert Serra plonge dans les moiteurs rances de l’empire français

Tel le vice-roi et gouverneur général des Indes de l’Empire britannique, De Roller (Benoît Magimel) est le représentant de l’État français sur l’île de Tahiti en Polynésie française, avec pour titre Haut-Commissaire de la République. L’individu, doucereux dans son costume blanc, est un homme affable, semblant à l’écoute de la population locale, entretenant son réseau clientéliste, à l’aise dans tous les milieux qu’il côtoie. Néanmoins, il pointe de cette apparence policée une sourde menace. L’homme est dans le contrôle et les rumeurs qui courent sur l’île sur une reprise des essais nucléaires français ne sont pas pour arranger les choses : De Roller navigue en eaux troubles, entre représentants de la population autochtone qui cette fois-ci ne s’en laissera pas compter (pour comprendre la colère, la rancœur et la suspicion des Polynésien·nes envers la France métropolitaine, lire l’excellent article de Renaud Meltz dans La Vie des Idées), sa hiérarchie et la métropole qui l’ignore.

— Matahi Pambrun, Pahoa Mahagafanau, Benoît Magimel – Pacifiction
Image courtoisie Sister Distribution

Présenté en compétition au festival de Cannes 2022, le film devise depuis les spectateurs·trices et critiques en camps bien distinctions : on aime ou on déteste ; on entre dans le film ou on reste à plat sur l’écran et là, les 165 minutes doivent paraître bien longues… Mais quelle expérience sensorielle pour qui se laisse couler dans le rythme hypnotique des séquences panoramiques du film, la voix de Benoît Magimel qui entraîne dans son murmure le public vers un monde qui oscille entre paranoïa et transe pour finir par descendre dans la noirceur de l’humanité.

Le cinéaste catalan se délecte à jouer avec les strates de clichés paradisiaques qui cachent une réalité aux prémisses de l’enfer qui se décline à tous les niveaux, celui de la misère humaine, des relations de pouvoir, de soumission issues des temps coloniaux, ou des enjeux environnementaux. Pour incarner cette figure allégorique d’un monde voué à la submersion, Benoît Magimel, un acteur qui montre depuis quelques années qu’il se bonifie avec les ans mais qui dans le rôle de De Roller produit une composition de jeu absolument démente. Sans Magimel, pas de Pacifiction ! La déambulation de De Roller dans les 2h45 du film ouvre le sillage aux fantômes du colonialisme qui se superposent aux superbes paysages sublimés par la mise en scène de Serra et la caméra de Artur Tort. La force du film est dans sa manière d’offrir au public une perception de l’atmosphère délétère dans laquelle baignent les territoires issus de la colonisation sans pour autant en faire une démonstration – la fièvre poisseuse qui, à mesure que De Roller s’enfonce dans son delta hallucinatoire, émane du film nous fait penser aux bayous de la Louisiane hantés par les crimes de l’esclavage et les revanches vaudoues.

Une expérience cinématographique fascinante qui vous colle à la peau longtemps après que les lumières se sont rallumées.

D’Albert Serra ; avec Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Marc Susini, Matahi Pambrun, Alexandre Mello, Montse Triola, Michael Vautor, Cécile Guilbert, Lluís Serrat, Mike Landscape, Cyrus Arai, Mareva Wong, Baptiste Pinteaux, Sergi López; France, Espagne, Portugal, Allemagne ; 2022 ; 165 minutes.

Malik Berkati

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