Avec TKT, Solange Cicurel traite du harcèlement scolaire, phénomène exacerbé par la téléphonie mobile et par les réseaux sociaux. Rencontre
Dans son troisième long-métrage après Faut pas lui dire (2016) qui remporte le Magritte du meilleur premier film en 2017 et Adorables (2020), la réalisatrice belge nous livre TKT, un film poignant et percutant sur le fléau du harcèlement scolaire, à l’affiche duquel on retrouve la regrettée Émilie Dequenne, Stéphane de Groodt et une jeune comédienne prometteuse, Lanna de Palmaert dans le rôle principal.
© 2024 Beluga Tree – RTBF (Télévision Belge)
Solange Cicurel a étudié le droit et a travaillé vingt-cinq ans comme avocate en droit pénal, mais surtout comme avocate pour les personnes avec des maladies psychiatriques et pour les migrant·es, en particulier les femmes africaines. C’est en autodidacte qu’elle est arrivée dans le septième art, sur le conseil d’une amie qui la voyait réalisatrice.
Avec ce troisième long métrage, la cinéaste belge entraîne dans la vie trépidante d’Emma (Lanna de Palmaert), adolescente de seize ans, alors que la jeune femme, a priori heureuse dans sa vie, est admise dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital. Ses parents Meredith (Émilie Dequenne) et Fred (Stéphane de Groodt), en proie à une immense incompréhension et en total désarroi, attendent anxieusement des nouvelles du médecin.
Emma a fait une tentative de suicide. Mais qu’est-ce qui l’a poussée à cet acte ? Elle partage sa vie avec un groupe d’amies dont sa meilleure amie depuis l’enfance, elle vit sa première grande histoire avec Raph depuis deux ans, tout va bien au lycée. Bref, les parents d’Emma ne comprennent pas ce qui s’est passé, culpabilisent de n’avoir rien vu… Alors qu’elle est allongée sur son lit d’hôpital, il se passe un phénomène étrange : Emma acquiert la capacité de se dédoubler et de se regarder alors qu’elle lutte pour ne pas mourir. Elle peut observer sa famille, ses ami·es, ses professeur·es et remonter le fil des évènements des dernières semaines ; ceux qui l’ont plongée dans le désespoir jusqu’à aller commettre un acte fatal.
Comment cette adolescente belle, intelligente, pleine de répondant et très entourée en est-elle arrivée à cette extrémité ? C’est la question que se posent Meredith et Fred, ses parents, pourtant très attentifs au bien-être et à l’épanouissement de leur fille unique. En entraînant le public sur ses pas et les jours qui ont précédé son passage à l’acte, Emma elle-même, qui va aller sonder sa propre vie et, au fil des flashbacks qui ponctuent le récit, reconstituer les fils de la toile d’araignée qui l’a progressivement acculée dans une impasse insoutenable, l’ostracisant et la stigmatisant, mise au ban du groupe qui la condamne, la raille, à grand renfort de vidéos, prises à son insu, qui inondent les réseaux sociaux. Comme le démontre TKT, contrairement aux générations précédentes, la génération contemporaine d’adolescent·es n’a jamais de répit.
Désemparés, les parents prennent conscience à mesure que les révélations percent au grand jour, par bribes successives, que malgré tous les « T’inquiète » de leur fille, ils auraient dû s’inquiéter. Ce fameux « T’inquiète » – d’où le titre du film TKT – une expression familière et courante chez les jeunes d’aujourd’hui qui l’accompagnent parfois de l’expression « je gère » qui sont des réponses évasives qu’il faut prendre très au sérieux selon la cinéaste qui y voit des manières de couper court à l’intervention des parents, d’évincer ainsi toute intrusion parentale mais qui se révèlent bien souvent des appels au secours.
Qu’est-il arrivé à Emma ? Entre amitiés toxiques, en particulier la « meilleure amie » Lou (Elisa Lubicz) qui, sous prétexte de lui vouloir du « bien », assène des critiques incessantes à Emma, entre isolement et jalousies, accompagnées de sa kyrielle de messages, de moqueries et d’humiliations croissantes, la vie d’Emma a rapidement basculé dans une spirale infernale: la vidéo diffusée « pour rigoler » par cette dernière dans les groupes WhatsApp de classe où Emma apparaît avec une tache de sang sur son pantalon, jusqu’aux commentaires et rumeurs qui ont accompagné sa rupture avec son amoureux de longue date, Raph (N’landu Lubansu) et ses relations avec un autre garçon, Max (Kassim Meesters), cavaleur qui veut juste une passade sans s’investir.
Une inspectrice de police (Tania Garbarski), affectée à cette affaire, va mener une enquête officielle, interroger au sein du lycée celles et ceux dont Emma était la plus proche et les mettre face à leurs responsabilités… Parmi l’équipe d’ami·es, Manon (Lily Dupont) se démarque en essayant de convaincre tout le groupe à avouer ce qu’il fait.
Pour écrire le scénario de TKT, Solange Cicurel s’est inspirée du roman Tout ira bien d’Elena Tenace (2022, Livr’s Eds), en particulier la notion d’enquête qu’utilisait la romancière dans son récit. Afin que son récit soit le plus crédible possible pour toucher le public concerné par le harcèlement scolaire, que ce soit les jeunes harcelé·es comme celles et ceux qui harcèlent, la cinéaste a rencontré de nombreux adolescent·es qui lui ont expliqué plusieurs situations de harcèlement. Par la suite, Solange Cicurel a rassemblé ces différents témoignages pour créer son héroïne. Enfin, de manière à ce que cela soit le plus crédible possible, les dialogues ont fait l’objet d’une relecture attentive de la part de son fils et de la fille Nina qui suit les traces de sa mère à la faculté de droit et qui n’a pas souhaité jouer dans le film mais lui a recommandé son amie, Lanna de Palmaert.
Avec TKT, la réalisatrice belge souhaitait toucher les adolescent·es d’aujourd’hui et les sensibiliser au fléau du harcèlement scolaire dans une perspective d’utilité publique. En amont de sa sortie en Belgique en octobre 2024, le film a ainsi été montré lors de nombreuses avant-premières dans les écoles. En outre, la production du long-métrage a même participé à la création d’un dossier pédagogique pour le public scolaire. Rencontre :
Firouz E. Pillet
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