Berlinale 2022 : Film d’ouverture de la Compétition Generation 14plus, Allons enfants (Rookies), de Thierry Demaizière et Alban Teurlai, suit des adolescents au Lycée Turgot
Ce documentaire accompagne des jeunes issus de divers milieux sociaux lors de leur première année au lycée Turgot – Académie des ARTS, dans le troisième arrondissement de Paris, où ils sont formés à la danse hip-hop, tout en suivant un programme d’enseignement classique les préparant au baccalauréat.
La séquence d’ouverture filme au plus près des visages et des corps des jeunes danseurs. Le parti pris de Thierry Demaizière et Alban Teurlai semble clair et plonge en immersion les spectateurs au cœur des chorégraphies, aux côtés des jeunes danseurs. Dès la séquence suivante, le tandem de réalisateurs nous les présente : certains jeunes confessent vouloir faire ce cursus de danse pour acquérir plus de confiance en eux, pour se socialiser, pour affronter leurs peurs; une jeune fille avoue dormir dans le même lit que sa sœur non pas par manque de place mais par peur de la nuit, du noir. Le plus jeune de la troupe est accueilli en tant que « rookie », benjamin.
Le proviseur du lycée Turgot accueille les nouveaux élèves en leur soulignant que le travail des professeurs est de leur donner une voie pour l’avenir, de les rendre heureux, de les amener dans le monde des adultes, « parfois concurrentiel, parfois difficile, avec des réussites et des échecs.» La philosophie du proviseur, basée sur la discipline et le respect, est reprise dans chaque cour par les enseignants. L’un d’entre eux clame haut et fort :
« Danser pour danser ne nous intéresse pas. Réfléchir pire mieux danser, c’est notre but ! Cela peut exprimer une certaine violence, extérioriser une certaine violence ou des choses personnelles.»
Les jeunes, majoritairement issus de quartiers difficiles où règne la violence, sont de prime abord déconcertés. Mais au fil des enseignements et des mois, ils finissent par comprendre que cette voie que le Lycée Turgot leur offre est un tremplin exceptionnel pour la passion qu’ils nourrissent : la danse hip-hop. Certains jeunes soulignent qu’ils ont découvert la mixité sociale au Lycée Turgot car, dans leurs anciens lycées, « il n’y avait que des Arabes et des Noirs ». En salle de classe, au fil des cours de danse, accompagnés de rap ou du poétique slam de Grand Corps Malade, les enseignants les préparent pour des battles mais aussi pour les championnats de France et les championnats du monde.
Le film de Thierry Demaizière et Alban Teurlai met en lumière combien la danse se révèle être plus qu’une passion : une échappatoire libératrice, un exutoire salvateur pour des enfants souvent meurtris par les aléas de la vie, aux parcours chaotiques : l’une est née dans un pays en proie à la famine puis a été adoptée; l’autre a subi les coups d’une mère alcoolique qui traîne son enfant en bas âge dans les bars; un autre ne se nourrit guère vu que son père ne lui donne aucun argent et se contente de lui donner un « ticket repas », etc.
Même si les différences sociales s’estompent au fil du temps et de la cohabitation, un jeune mentionne : « Le principe des battles, c’est la guerre. On est des loups, on bombe le torse, on se regarde en chiens de faïence ». Une jeune fille surenchère : « La battle, c’est la plus belle façon de se faire la guerre ! Avec ton regard, ton esprit, ta danse, tu dois t’imposer et prouver que tu es le meilleur.»
Malgré la bonne volonté et la bienveillance des professeurs, qui se révèlent souvent de fins psychologues, les échecs que mentionnait le proviseur à l’arrivée des nouveaux élèves au lycée font partie du quotidien des enseignants qui, malgré leur tentative de comprendre la décision d’une élève de quitter le lycée, pressée d’être dans la vraie vie, n’ont que leur désarroi pour récompense. Devant un autre élève qui arrive presque deux heures en retard à l’entretien trimestriel avec les professeurs et le proviseur, les enseignants tentent tant bien que mal de faire comprendre à l’élève nonchalant, voire je-m’en-foutiste, l’importance du respect des horaires, de l’engagement scolaire, des résultats, du comportement.
La citation de l’écrivain Nicolas Boileau illustre ici parfaitement l’engagement des enseignants du Lycée Turgot :
« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage (…).»
Inlassablement, les professeurs et le proviseur poursuivent leur mission, avec conviction, avec ténacité, avec passion.
Alternant les entretiens des professeurs avec les élèves, les cours dispensés, les séances de danse, les battles, les confidences des adolescents, le film Thierry Demaizière et Alban Teurlai réussit à combiner avec harmonie film institutionnel et portraits de groupe, ponctuant régulièrement des séquences dansées dans lesquelles les jeunes découvrent leur exutoire et leur expression dans le mouvement. Thierry Demaizière et Alban Teurlai sont des portraitistes qui révèlent les multiples facettes des personnages qu’ils suivent, les bonnes comme les mauvaises, et prouvent une nouvelle fois qu’ils excellent dans cet art.
Un des enseignants, le professeur de hip-hop, lance aux « rookies »:
« Prenez des risques ! Je sais que vous en êtes capables. L’important n’est pas de gagner mais de donner envie aux gens ! »
Une injonction qui peut être assénée dans chaque situation de la vie. Le film se termine sur les jeunes dansant, accompagnés par la chanson Allons enfants de la patrie ! de Kaotik.
Firouz E. Pillet
j:mag Tous droits réservés