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Berlinale 2023 – Generation 14plus : Ha’Mishlahat (Delegation), d’Asaf Saban, mêle grande Histoire et petites histoires au travers d’un voyage de fin d’études pour d’adolescents israéliens sur les lieux de mémoire de la Shoah

La fin de l’école approche. Avec leur classe et un survivant de la Shoah, Frisch (Yoav Bavly), Nitzan (Naomi Harari) et Ido embarquent pour un voyage en bus à travers la Pologne pour visiter d’anciens camps de concentration et des mémoriaux de la Shoah. Le survivant de la Shoah qui les accompagne et relate son histoire et celle de sa famille sur les lieux visités n’est autre que le grand-père de Frisch, Yosef (Ezra Dagan).

— Leib Lev Levin, Neomi Harari et Yoav Bavly – Ha’Mishlahat (Delegation)
© Natalia Łączyńska

Ces trois amis de lycée ont des préoccupations de leur âge, essentiellement mus par les coups de foudre et plus si entente. Par jeu de résonance, Yosef raconte qu’il était amoureux d’une camarade de classe, Anna, alors qu’il avait l’âge des jeunes gens qui l’écoutent. Il n’osait pas l’aborder puis un jour, le directeur de l’école a demandé à tous les enfants juifs de partir dans une autre école. C’est là que Yosef a découvert qu’Anna était aussi juive et il s’est mis à lui parler, d’autant plus que dans la nouvelle école, Anna et lui ne connaissaient personne d’autre. Des souvenirs de Yosef qui donnent à réfléchir à chaque élève. Le soir, leur professeure, Einat, les invite à partager leur expérience et leurs émotions, sans jugement.

C’est la dernière fois qu’ils partagent des moments ensemble avant d’entrer dans l’armée. Pendant le voyage, le timide Frisch, l’artiste en herbe Nitzan et l’idole de classe Ido (Leib Lev Levin) traitent de questions d’amour, d’amitié et de politique sur fond de camps de concentration et de sites commémoratifs. L’émotion est palpable devant l’entrée dans le camp, devant les vitrines de chaussures ou de cheveux, dans les allées qui mènent aux baraquements.

Ha’Mishlahat montre un pan de la culture israélienne qui consiste en un voyage de fin d’études, coutumier des adolescents en Israël, les confrontant à leur identité et à l’histoire de leurs ancêtres, parfois de manière très émotionnelle. Par instants, le film fait songer à un documentaire. Durant le film, sur les lieux de pèlerinage à la mémoire des victimes de la Shoah, la caméra d’Asaf Saban dévoilent divers groupes de jeunes qui, tous vêtus d’un survêtement blanc à l’étoile de David bleue et portant des drapeaux israéliens, déambulent sur ces lieux chargés d’histoire et de mémoire. Accompagnés par leurs professeurs et un rescapé ou une rescapée qui donnent, par le récit de leur propre histoire, une douloureuse et éprouvante résonance avec le lieu où les jeunes gens se trouvent, les groupes se croisent et se suivent.

Chaque voyage scolaire a sa propre dynamique de groupe : bien que présents pour connaître les lieux où leurs ancêtres ont été déportés, torturés, exploités, assassinés, ils ont les préoccupations liées à leur âge qui refont surface. Le soir, certains cherchent des conseils auprès des jeunes Polonais pour savoir quels lieux de sortie sont à la mode dans les villes qu’ils parcourent. À Varsovie, à Cracovie, les jeunes étudiants israéliens cherchent les bons plans pour se divertir. La confusion émotionnelle et les conflits de désir troublent les relations et créent parfois des tensions.

Ha’Mishlahat raconte la perpétuation d’une culture du souvenir du point de vue de jeunes Israéliens, dont l’énergie de vie se heurte à un système statique des sites de la mémoire et de leurs visites, débordant par leurs excès. Lors d’un arrêt à une station-essence, Frisch répond à un appel puis sort précipitamment du car qui part sans lui. Frisch entre dans un bar, mais il se sent scruté par le regard lourd de trois hommes goguenards au rire moqueur. Asaf Saban suggère-t-il par cette scène que l’antisémitisme est encore bien vivace en Pologne ? C’est ce que l’on comprend en filigrane.

Frisch se met à faire du stop et sera pris par Pawel (Lech Dyblik), un chauffeur de camionnette qui livre des sacs de pommes de terre. Comprenant qu’il est juif, il l’entraîne dans une petite bourgade où Frisch est reçu dans les vestiges d’une synagogue par le maire et un Polonais qui sert d’interprète et quelques représentants de la communauté juive qui souhaite que Frisch fasse une prière aux morts ou dise quelque chose en hébreu.

Frisch finit par arriver dans l’entrée d’Auschwitz où il retrouve son groupe qui n’a apparemment pas remarqué son absence. Le soir, tout le groupe sort et se retrouve à la fête d’anniversaire d’Anna (Karolina Bruchnicka), une jeune Polonaise qui semble avoir remarqué Frisch … Au petit matin, quand Frisch regagne la chambre d’hôtel qu’il partage avec son grand-père, il est un homme.

Entre mémoire, grande Historie et histories personnelles, ce voyage changera ces adolescents à jamais.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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