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Cannes 2025 : présenté en compétition officielle, Nouvelle Vague, de Richard Linklater, plonge le public dans une délicieuse mise en abîme cinématographique sur le tournage du premier long métrage de Godard

Le réalisateur américain raconte, dans le style et l’esprit de Godard, la fabrique et les coulisses d’À bout de souffle, qui réunit Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, film qui fit sensation à sa sortie en 1960.

Nouvelle Vague de Richard Linklater
© Jean-Louis Fernandez

Film dans le film, Nouvelle Vague entraîne le public au cœur de l’agitation de la rédaction des Cahiers du Cinéma dont de nombreuses plumes passèrent derrière la caméra. Richard Linklater emmène le public dans un film parallèle, À bout de souffle (1960), de Jean-Luc Godard, sorti en pleine effervescence de la Nouvelle Vague française, brossant le portrait élégant et sobre du critique de cinéma devenu cinéaste, aux idées bien arrêtées et qui n’en démord pas malgré les tentatives du producteur d’À bout de souffle de lui faire entendre raison, nous faisant revivre le tournage mouvementé du film.

Linklater célèbre la création joyeuse et libre, l’importance cruciale du message, léger pour l’instant et qui deviendra ultérieurement politique, mettant à l’honneur l’audace tant formelle que dans le choix du sujet. À force de flirter avec la patine des films de l’époque, le cinéaste en adopte le grain d’image et arrive à nous convaincre que nous sommes bel et bien replongés au début des années soixante alors que l’aventure de faire des films avec passion, originalité et ingéniosité permet la création en bravant le manque d’argent et les contraintes académiques. La plupart des scènes sont analogues à un plateau de Godard et toute la distribution est excellente, époustouflante de véracité.

Tourné en noir et blanc éclatant, mis en lumière par David Chambille, le directeur de la photographie de Bruno Dumont, Nouvelle Vague est mu par un souci d’authenticité, hautement crédible. D’ailleurs, les premières scènes font des arrêts sur image, avec, en superposition blanche, les noms célèbres de ce mouvement : à la suite de Godard qui ouvre cette prestigieuse lignée, apparaissent les noms de Jean Cocteau (Jean-Jacques Le Vessier), Agnès Varda (Roxane Rivière), François Truffaut (Adrien Rouyard), Eric Rohmer (Côme Thieulin), Claude Chabrol (Antoine Bressin), Jacques Rivette (Jonas Marmy), Jean Seberg (Zoey Deutch) et son époux François Moreuil (Paolo Luka Noé), Jean-Paul Belmondo (Aubry Dullin), Juliette Gréco (Alix Bénézech), Georges de Beauregard (Bruno Dreyfürst), Pierre Rissient (Benjamin Cléry), Roberto Rossellini (Laurent Mothe), Suzanne Schiffman (Jodie Ruth-Forest), Claude Beausoleil (Benoît Bouthors), Raoul Coutard (Matthieu Penchina), Suzon Faye (Pauline Belle), Marc Pierret (Blaise Pettebone), la maquilleuse Phuong Maittret (Jade Phan-Gia), entre autres. Et ce n’est qu’au générique de fin qu’à nouveau, avec arrêt sur image, le public découvrira qui a incarné, avec autant de maestria, les personnes qui ont nourri la Nouvelle Vague et permis la brillante reconstitution de cette époque.

Le récit historique est scrupuleusement respecté et, au fil des séquences rondement enchaînées, les personnages nous entraînent dans l’effervescence créatrice qu’ils sont en train de vivre. Démystifiant une époque glorieuse devenue mythique et sujet à de nombreuses publications, le film de Richard Linklater s’avère le fruit d’un travail considérable et d’un savoir-faire incommensurable pour la Nouvelle Vague française, rendant un hommage vibrant et convaincant à un cinéaste rarement salué pour sa sophistication technique. En illustrant avec conviction et crédibilité l’émulation qui régnait au sein d’un groupe de jeunes artistes passionnés et extrêmement talentueux, qui se sont réunis pour oser chambouler les règles en vigueur et innover en réunissant leurs compétences, Nouvelle Vague invite à une immersion poétique et envoûtante dans les coulisses de l’avant-gardisme, qui allait devenir un acte de foi créateur, à la fois divertissant et iconoclaste. Le style unique de Jean-Luc Godard, magnifiquement interprété par le nouveau venu Guillaume Marbeck, qui excelle dans son incarnation du cinéaste qui exaspère parfois l’équipe de tournage mais donne vie avec brio et véracité à notre cinéaste disparu en 2022, chef de file du cinéma helvétique dans la Ville Lumière. Restituant tout au long de cette truculente mise en abîme le caractère grincheux et bougon du cinéaste, la spontanéité de ses citations servies sans filtre et devenues anthologie, sa créativité et son indifférence aux idées reçues et aux « règles », donnant l’impression à ses comédien·nes d’élaborer son scénario au jour le jour en répétant des dialogues pré-écrits, il amène à voir Godard ressuscité sur grand écran.

Offrant un regard rare et éclairé sur un moment charnière non seulement de la carrière du réalisateur franco-suisse, mais de l’histoire du cinéma en général, Nouvelle Vague signe une lettre d’amour aux joies et à la folie de la collaboration créative de Godard et ses comparses. Tout le récit est agrémenté d’une bande-son peaufinée qui diffuse, telle une chaîne radiophonique de l’époque, des tubes devenus des classiques dont les plus emblématiques sont  de Sacha Distel, Retiens la nuit de Johnny Hallyday et, bien évidemment, Nouvelle vague de Richard Anthony.

À mi-parcours de la compétition cannoise, après une longue ovation, Nouvelle Vague se place parmi les favoris en lice pour la Palme et prouve que la compétition officielle se bonifie de jour en jour.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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