Darkroom – Tödliche Tröpfen de Rosa von Praunheim: une expérience cinématographique fascinante!
Rosa von Praunheim est un artiste extrêmement prolifique avec des projets de toutes formes et tous formats. Mais le vétéran allemand du cinéma underground, qui est également au niveau international un des précurseurs et tête de file de la littérature et du cinéma militant LGBTQ+ , se rappelle régulièrement au grand public avec des films qui s’imposent dans la production annuelle du cinéma allemand. Le dernier en date avait été Härte (Un amour violent- 2015), film basé sur la vie d’Andreas Marquardt, enfant abusé par sa mère et maltraité par son père, devenu champion du monde de karaté avant une descente aux enfers passant par la case prison pour finir par trouver sa voie dans le travail avec les jeunes en difficultés. Cette production avait étonné par sa structure narrative qui touche au docu-fiction – mais pas celui de la vulgarisation de télévision, une vraie perspective cinématographique avec des scènes tournées en noir et blanc dans un décor extrêmement épuré laissant tout l’espace aux corps et aux mouvements intérieurs des personnages. Pour ce film, le cinéaste a travaillé avec des acteurs professionnels, chose exceptionnelle dans son œuvre.
Avec Darkroom – Tödliche Tropfen, von Praunheim continue cette exploration du réel avec des acteurs professionnel.les et dans cette ligne de déconstruction clinique des événements tout en plongeant le spectateur dans les remous intérieurs des personnages sans jamais essayer d’interpréter pour lui les ressorts intimes des protagonistes. Étonnamment, cette extension du docu-fiction d’Härte vers la déconstruction purement cinématographique des points de vue, qui peut sembler au premier abord artificiel, amène le réalisateur de 77 ans à enfin imprégner à son œuvre un langage de cinéma immédiatement reconnaissable. Le spectateur est continuellement impliqué dans le processus : tout d’abord il lui faut un petit peu de plasticité artistique pour s’habituer à la forme froide et éclatée de la narration qui, si on se laisse porter, finit dans une fascination de l’épure et du contraste entre la rigueur impitoyable et formelle de l’action et la violence, la passion, la folie, les déviances qui émargent des actes et animent les personnages.
Lars, un aide-soignant de Saarbrücken, s’installe à Berlin avec son compagnon musicien Roland. Ensemble, ils rénovent leur appartement et rêvent d’un avenir radieux. Et pourtant, la part d’ombre de Lars semble grandir au contact de la vie nocturne berlinoise où toutes les expérimentations sont à portée de main, même les plus morbides. Les pulsions de Lars l’amènent à prodiguer des overdoses de GHB (drogue du violeur) à ses rencontres nocturnes, faisant de lui un meurtrier en série sans que son compagnon ne se rende compte de rien. Cette histoire est basée sur un fait divers qui avait fait les gros titres allemands au printemps 2012. L’assassin avait été condamné une année plus tard à la perpétuité pour meurtres ; au printemps 2014 il s’était suicidé dans sa cellule.
Pour restituer la psychologie dramaturgique et la réalité des événements, von Praunheim à co-écrit le scénario avec Ute Eisenhardt qui a suivi l’affaire de très près en tant que chroniqueuse judicaire et Nico Woche qui avait coscénarisé Härte. Le cinéaste explique l’importance de cette collaboration :
Lorsque j’ai rencontré la chroniqueuse judiciaire Uta Eisenhardt, à qui je dois l’idée de mon film, j’ai été immédiatement enthousiasmée. C’est une grande femme avec un rire énorme, ce qui est inhabituel pour sa profession, qui est constamment confrontée à des meurtres, des homicides et des maltraitances. Au début, je voulais filmer quelques reportages tirés de ses livres, mais ensuite elle m’a offert ses notes sur une affaire criminelle encore assez récente concernant des homosexuels dont elle avait observé le procès de très près. Plus tard, pendant le tournage, Uta a été très utile pour les scènes du tribunal toujours très compliquées à filmer. Quant à Nico Woche, que j’ai connu quand il était étudiant à la Filmuni de Potsdam et qui a écrit pour moi Härte, sa collaboration m’a également beaucoup aidé. D’ailleurs, depuis, Nico Woche travaille intensivement sur mes projets.
Au-delà du regard de la caméra – tenue par Lorenz Haarmann, collaborateur de très longue date du réalisateur – et du parti pris esthétique, la réussite du procédé discursif tient à ce superbe travail à trois sur le scénario où malgré l’éclatement de la narration, le refus de la linéarité espace-temps, tout se met en place naturellement, tel un puzzle, sans chercher à mystifier le spectateur, le laissant au contraire maître de ses propres ressentis et interprétations. Les faits divers et histoires sordides éveillent toujours une fascination collective procédant d’une sorte de mécanisme cathartique ou de contraste réassurant au niveau individuel. Darkroom – Tödliche Tröpfen est à la fois cette projection magnétisante des marges de la société et une expérience cinématographique troublante.
De Rosa von Praunheim; avec Bozidar Kocevski, Heiner Bomhard, Katy Karrenbauer; Allemagne; 2019; 89 minutes.
Sortie allemande: 30 janvier 2020
Malik Berkati
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