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Des jours meilleurs, d’Elsa Bennett et d’Hippolyte Dard, traite de l’alcoolisme au féminin dans un film choral porté par un trio d’actrices très convaincantes

Le tandem de cinéastes français livre un film émouvant et tendre en levant le voile sur un tabou de société, l’alcoolisme au féminin, souvent invisibilisé, occulté et stigmatisé.

— Sabrina Ouazani, Michèle Laroque et Valérie Bonneton – Des jours meilleurs
© Wild Bunch

Dans la scène d’ouverture, Suzanne (Valérie Bonneton), une veuve quinquagénaire, peine à suivre les conseils de ses collègues au travail, vacille et soudain s’évanouit. Ses collègues mettent cette faiblesse sur le compte de sa charge de famille : Suzanne s’occupe de ses trois fils et ne peut compter, depuis la mort de son mari, que sur l’aide ponctuelle de sa belle-mère. Entre l’intendance de la maison, les courses, les devoirs, elle s’octroie des moments de réconfort auprès de ses bouteilles de vodka, savamment cachées dans la maison. Mais un matin, alors que ses fils, en retard pour l’école, l’ont sortie du sommeil, elle oublie le frein à main de la voiture, provoquant un accident avec ses trois enfants dans l’habitacle du véhicule. Elle perd la garde de ses enfants qui sont placés chez la grand-mère paternelle. Espérant récupérer la garde, elle se soumet à l’obligation de soin imposée par la justice et rejoint un centre de désintoxication. À peine arrivée, elle y rencontre Alice (Sabrina Ouazani) et Diane (Michèle Laroque), deux femmes au caractère bien trempé… Denis (Clovis Cornillac), éducateur sportif et abstinent, va tenter de les réunir autour du même objectif : participer au rallye des Dunes dans le désert marocain, un défi que l’éducateur les invite à relever pour leur prouver qu’elles sont plus fortes qu’elles ne le supposent. Cependant, pour ces femmes qui sont dans ce lieu par contrainte et non par conviction, les tentations restent accessibles à peine sorties du centre. Denis devra s’armer de beaucoup de patience et de pédagogie pour préparer cet improbable équipage à atteindre son objectif.

Le duo de cinéastes signe un film de fiction qui présente des touches de documentaire, conférant au film une véracité grâce aux choix formel, d’une part par le procédé en immersion au cœur des groupes de parole et, d’autre part, par l’insertion de témoignages de patientes face caméra. Ce film choral présente un groupe bigarré de femmes venues se reconstruire dans ce centre et qui partagent le dénominateur commun d’avoir tout perdu à cause de l’alcool et la contrainte de devoir se sevrer. Dans cette aventure hors du commun, Suzanne, Alice et Diane avancent ensemble vers la reprise du contrôle sur leurs vies.

Des jours meilleurs est né d’une nécessité de la part des deux cinéastes d’aborder le tabou de société qu’est encore l’alcoolisme au féminin. Ayant été touché·es tous les deux dans leur entourage proche par cette addiction, ils ont décidé d’en faire le sujet principal de leur film, d’autant que, contrairement à l’alcoolisme chez les hommes, celui des femmes a été rarement abordé au cinéma.

Dès la première scène, le film emporte le public et le tient en haleine tout au long du récit qui trouble par son authenticité. Pour parvenir à un résultat si probant, les cinéastes ont effectué de longues recherches en amont du tournage. En effet, Elsa Bennett et Hippolyte Dard ont recueilli le témoignage de Laurence Cottet, une ancienne alcoolique, qui a sombré dans l’alcool à la suite de la perte de son mari, devenue sobre depuis plus de quinze ans et qui, à l’initiative du Dry January, médiatise au maximum son ancienne addiction. Elle leur a permis de rencontrer d’autres femmes victimes de ce mal. À travers ce film, le duo a ainsi voulu rompre la solitude de ces personnes puisque, contrairement à la drogue par exemple, l’alcool est légal et présent partout dans la société et la culture de l’Hexagone, faisant partie d’une tradition sociale.

Pour les cinéastes, il était essentiel, dans leur co-écriture avec le scénariste Louis-Julien Petit, d’inclure des situations de comédie, la comédie ayant une dimension cathartique qui permet de faire passer certains messages, surtout aux familles des malades. Vu la gravité du sujet, l’humour est distillé avec justesse et finesse et en écho avec les témoignages récoltés. En effet, lors des recherches, des témoignages avaient été recueillis dans lesquels certaines femmes abordaient avec humour des situations vécues liées à leur alcoolisme et les cinéastes voulaient aussi restituer cet aspect… C’est bien connu, l’humour aide à surmonter les difficultés et les épreuves !

À travers la palette très exhaustive de personnages, on comprend que l’alcoolisme au féminin ne fait aucune distinction ni de classes sociales ni d’âges. Elsa Bennett et Hippolyte Dard ont souhaité adresser un message à la jeune génération, qui revendique souvent un alcool festif, à travers le personnage d’Alice (Sabrina Ouazani) qui se terre dans le déni comme elle clame haut et fort, avec son phrasé très énergique, que sa consommation est ludique, un alcoolisme « mondain », occasionnel et social. Les cinéastes de préciser : « Dans les centres, cela représente 20 % des malades et ce chiffre augmentera à 50 % dans dix ans chez les jeunes femmes de 18 à 25 ans ».

Ce film choral bénéficie d’une excellente distribution et tous les rôles secondaires sont judicieusement élaborés. On songe à la récidiviste Chantal (Sophie Leboutte) dont c’est la onzième cure et qui est enchantée de séjourner au centre où elle trouve gîte et couvert. Et Laurence Cottet fait partie de l’aventure en interprétant Colette ! Mais il faut souligner la pertinence du choix du trio d’actrices de renom qui portent cette comédie dramatique et qui apparaissent pratiquement toujours sans maquillage, un courage que l’on saluera. Valérie Bonneton tient sans conteste le rôle principal, celui d’une femme taciturne au regard triste et à l’expression fatiguée qui planque dans sa demeure, comme de vaines bouées de sauvetage, des bouteilles plastiques remplies de vodka. Des échappatoires illusoires qui la condamnent toujours plus de jour en jour ! Ici, l’actrice incarne de manière troublante et émouvante une femme brisée, mutique, qui tente de se reconstruire, à l’opposé des femmes bavardes et expansives qu’elle a coutume d’incarner à l’écran. À ses côtés, Sabrina Ouazani incarne avec brio Alice, la fêtarde qui revendique de manière vindicative l’alcool festif, et Michèle Laroque donne vie à l’actrice Diane, éloignée de sa fille, qui tente de sauver les apparences en maintenant en société une tenue de pacotille, mais qui sombre dans la détresse une fois isolée dans les quatre murs de sa chambre.

En élaborant le scénario, le duo de cinéastes a opté pour le sport comme planche de salut, précisément pour des courses automobiles féminines et des rallyes dans le désert. Si toutes les séquences de groupe ont été écrites pour les trois comédiennes principales, les dialogues des rôles secondaires laissaient place à l’improvisation comme dans les scènes de face-à-face avec la psy, la Dre Mathyssont (Myriem Akheddio), qui sont entièrement improvisées et troublantes de véridicité. Dans une mise à nu très méritante, ce sont d’anciennes alcooliques qui incarnent les seconds rôles féminins, d’où cette impression si déconcertante de véracité qui imprègne tout le film, en particulier dans les séquences face caméra qui sont à la frontière du documentaire lorsqu’elles racontent leur propre histoire. Soutenu par une bande originale émaillée, volontairement, de chansons de variété qui résonnent dans l’inconscient collectif tout en exprimant les émotions des personnages, Des jours meilleurs suscite réflexions et discussions en invitant à poser un regard différent sur les femmes victimes de cette addiction afin qu’elles puissent voir une issue de sortie de leur dépendance, comme le suggère le titre du film.

Sur les écrans romands ce mercredi.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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