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France: Lettre ouverte d’une « Gens du voyage » au Président de la République, au Premier Ministre et aux parlementaires

 Je m’appelle Alice JANUEL, alias « Georgette ». Je suis une femme française de 59 ans, mariée et mère de quatre enfants. Tous grands et installés dans leur vie. Après une vie remplie à travailler durement aux côtés de mon mari, un marchand forain aujourd’hui retraité, après avoir élevé nos enfants et eu des responsabilités associatives, je suis aujourd’hui inactive à cause de ma santé.

Quoique je m’occupe de mes petits-enfants…

Ma famille, comme toutes les familles, a vécu des tensions, des deuils, des fêtes inoubliables. Je suis comme beaucoup de femmes de ma génération qui a traversé les « Trente glorieuses » et les crises économiques en connaissant des hauts et des bas. Je leur ressemble, j’ai les mêmes joies, je ressens les mêmes peines pour ce qui m’arrive, les mêmes inquiétudes pour l’avenir… Seule une chose nous différencie : je suis une Sinti, une « gens du voyage », comme m’a désignée l’administration française dans les années 70, avec un nom qui ne se met jamais au singulier et nie mon existence individuelle.

Cette différence, si j’en suis fière, je n’en suis responsable en rien. C’est mon héritage. Tout comme un Breton, un Corse, un Berrichon ou un Basque est né du hasard de l’histoire et de l’ancrage de ses aïeux qui ont forgé une part de son identité, un Manouche ou un Gitan hérite d’une culture. Mais ici, tous sont des Français depuis de longues générations. Tous ont contribué, parfois extrêmement douloureusement, à l’Histoire de la France et à ses valeurs républicaines.

Pourtant, cette origine, je la ressens depuis toujours comme un handicap de la vie. Depuis mes premiers jeux avec d’autres enfants à mes expériences d’adulte, elle m’est renvoyée comme un miroir accusateur. Pourquoi ? Parce que j’ai le seul tort de ne pas vivre « comme les autres » : je vis et je voyage en caravane entourée de ma famille, ou aux côtés d’autres familles, qui vivent comme nous.

Alors, on m’a écartée.

Depuis toujours, je vis ça : les sédentaires chez eux dans les villes, les Tsiganes cachés en périphérie.

Du coup, chacun s’est raconté des histoires sur l’autre malgré qu’on se croisait tout le temps sur les marchés, dans les foires, à l’hôpital, à l’école, à la guerre. Mais au lieu d’être curieux, on s’est méfiés.

Et au lieu d’en rester là, on nous a affublés de « noms d’oiseaux », tous plus blessants les uns que les autres, on a fait circuler des rumeurs tellement collantes qu’on les associe à nos gênes. On est devenus des voleurs de poules, d’enfants, des parasites comme d’autres ont la musique dans le sang ou la danse dans la peau… Toutes ces stupidités qui fondent le socle du racisme.

Il y a 100 ans, on a même voté une loi pour nous différencier des autres Français. Nous, nos enfants, nos familles, devions être en possession d’un carnet avec toutes sortes de mentions anthropométriques dont raffolent tous les Mengele de la Terre. A faire signer à l’arrivée et au départ des communes traversées. Voilà comment on nous considérait comme citoyens de ce pays. La police française s’est servi de ces fichiers ethniques pour nous enfermer dans des camps d’internement entre 1939 et 1946, simplement parce que nous n’avions pas de maison et vivions dans des « verdines » tirées par des chevaux. Certains ont été déportés vers des camps d’extermination où ils ont partagé le sort funeste des juifs et d’autres, certains sont morts dans ces camps oubliés quelque part en France.

En 1969, les parlementaires ont voulu modifier cette aberration de l’Histoire. Cependant ils nous ont toujours regardés comme des étrangers de l’intérieur. Il n’y a que les Manouches et les Gitans à être considérés ainsi. Ils ont remplacé les carnets anthropométriques par d’autres et nous ont empêchés jusqu’il y a peu d’avoir des cartes d’identité française. C’est avec ces titres de circulation que j’ai vécu toute ma vie d’adulte. Toute une vie à aller en gendarmerie pour faire tamponner mon carnet. Quelle autre part de la population française subit cela ?

Aujourd’hui, je dis CA SUFFIT ! Nous sommes en 2012 et je vais être retraitée. L’administration m’a remis un nouveau carnet que je dois faire viser tous les TROIS mois ! C’est la goutte d’eau de trop.

JE REFUSE ! Et J’APPELLE tous mes amis, mes frères, et tous ceux qui subissent ce « marquage au fer » à ne plus faire signer leurs carnets en gendarmerie. Et si on attrape des amendes, comme le prévoit la loi, on ira devant le juge et on saisira, si nécessaire, le Conseil Constitutionnel sur le fondement de cette infamie qui nous stigmatise dans ce pays qui se dit être « le pays des droits de l’Homme ».

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, Messieurs les parlementaires, vous avez le pouvoir de changer les dysfonctionnements de notre société. Alors, plutôt que fermer les yeux devant tant de discriminations qui nous frappent, ABROGEZ ces titres de la honte et tout ce qui n’est pas le droit reconnu des autres citoyens de ce pays !

Georgette, membre de Rencontres Tsiganes et ancienne présidente de l’Association nationale des Gens du voyage catholiques.

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