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Genève : Les Scènes du Grütli accueillent du 6 au 18 mai Choc ! La friandise des Dieux, de Dominique Ziegler. Rencontre avec l’auteur et metteur en scène genevois

Du 6 au 18 mai 2025, la pièce de Dominique Ziegler retrace le parcours du cacao, des temples d’Amérique du Sud aux champs de cacaotiers africains jusqu’aux transactions commerciales contemporaines cotées en bourse, illustrant à travers le siècle combien la boisson des dieux aztèques est tâchée par la souffrance et par le sang.

Choc ! La friandise des Dieux de Dominique Ziegler
TOBS / Photographie © Joel Schweizer

Questionnant la filière d’approvisionnement de ce produit de masse à l’éthique douteuse, l’auteur genevois thématise l’esclavage colonial et le commerce des matières premières comme une histoire pleine de racisme, de violence et d’oppression, qui se poursuit encore aujourd’hui ou qui a des répercussions à travers la planète. Avec de multiples lectures tant historiques, politiques, anthropologiques et sociologiques, Dominique Ziegler invite à un théâtre politique populaire qui illustre l’implication de la Suisse dans cette histoire de l’exploitation cacaoyère.

Choc ! La friandise des Dieux est le fruit d’une commande d’écriture du Théâtre Orchestre Bienne Soleure, précisément de la directrice du théâtre, Katharina Rupp, qui était allée visiter le Musée du chocolat Lindt à Zurich et en était ressortie avec une sensation amère. L’auteur genevois accepta aussitôt de relever ce défi et se rendit à son tour au Musée du chocolat Lindt. Il en ressortit en partageant le même sentiment que Katharina Rupp : le musée zurichois, formellement très réussi, proposait une vision historique extrêmement lacunaire de la grande histoire du cacao à travers les siècles. La dramaturge fit l’affligeant constat que le manque le plus criant résidait dans l’absence de toute mention de l’esclavage, pourtant condition première du développement de cette industrie entre le seizième et le dix-neuvième siècle. L’autre fait marquant qui soulève son indignation est une vision idéalisée du marché actuel du cacao, présenté comme équitable et coopératif entre l’Afrique et l’Occident, un argument souvent avancé par les fournisseurs et distributeurs occidentaux, que ce soit pour le cacao comme pour le café, le sucre, le thé, entre autres.

Alors que Dominique Ziegler entamait des recherches, longues et fastidieuses, et qui s’annonçaient de longue haleine vu la documentation peu éloquente sur le sujet, un auteur suisse, Hans Fässler, publiait des articles déterminants sur la question du cacao et de l’esclavage et venait de faire paraître un livre important sur l’implication des grandes familles suisses dans la traite négrière (Reise in schwarz-weiss, éd. Rotpunktverlag, 2005).

Pour ce qui concerne les sources actuelles, l’auteur s’est renseigné auprès de l’ONG suisse Public Eye (ex-Déclaration de Berne) qui révèle les conditions sociales catastrophiques des cultivateurs de cacao en Afrique et la duplicité des multinationales du chocolat. A l’issue de ses recherches, Dominique Ziegler est confronté à la terrible et choquante question de l’exploitation des enfants, au début de la chaîne de production, un esclavagisme infantile des temps moderne destiné à alimenter, à l’autre bout de la chaîne, notre consommation de chocolat.

Pour glaner les informations nécessaires à sa création, l’auteur se livra donc à une véritable enquête journalistique, pour ne pas dire policière (mais c’est là l’une de ses passions, Dominique Ziegler étant féru des romans d’Agatha Christie qu’il a déjà adaptés en bandes dessinées à plusieurs reprises), et entama une recherche à travers différentes sources, recoupant des ouvrages sur l’esclavage concernant différentes époques et continents, des ouvrages d’économie contemporaine, et toute sorte de documentation touchant aux multiples facettes de cette vaste problématique.

L’auteur ne s’est pas contenté de littérature mais a aussi réalisé de nombreuses rencontres avec des universitaires, membres d’ONG et chocolatiers éthiques, nécessaires pour rendre sa somme d’informations exhaustive. Fin connaisseur du continent africain, de sa culture, de son histoire, Dominique Ziegler a mis un point d’honneur à solliciter les premières concernées, en réalisant des entretiens avec des Africain·es très au fait de la problématique contemporaine ou elleux-mêmes ancien·nes travailleur·ses des exploitations cacaoyères.

Pour parvenir à synthétiser cinq siècles d’histoire et une problématique se déroulant sur trois continents, l’auteur a choisi de revenir au point de départ de la commande d’écriture, à savoir la visite d’un musée ayant pour thème le chocolat. Mais contrairement au modèle inspirateur d’une « exposition hagiographique et amnésique de l’esclavage ou de la question des échanges inégaux », Dominique Ziegler imagine une visite dans les coulisses d’un tel musée, de confronter le public/visiteur à l’envers du décor, bref à la vraie histoire.

Au début de la pièce, un couple de touristes lambda arrive trop tard pour entrer dans le musée officiel. Devant leur déception, la caissière du musée, d’origine africaine, leur propose de participer à une visite du musée alternatif qu’elle a mis sur pied avec des restes du décor et avec l’aide de certains amis. Dans cette mise en abîme savamment élaborée, le couple va assister, médusé, à une succession de tableaux qui mettent en scène le massacre des Aztèques par Cortès, le transport du cacao à la cour du roi Charles Quint, l’intensification de la traite transatlantique, les tentatives de colonies et plantations de cacao par des Français, des Néerlandais, des Anglais ou des Suisses dans les Caraïbes, sur le continent sud-américain et aux États-Unis, sans occulter l’implication de toutes les puissances occidentales – familles suisses comprises – dans la traite négrière du commerce triangulaire, l’encadrement « légal » de l’esclavage français par le Code Noir, la révolte des esclaves en Haïti, le transfert de la plante de cacao d’Amérique latine à l’Afrique, « la montée en puissance des grandes compagnies maritimes comme la South Sea Company, le développement du tourisme médical en Suisse et l’introduction du chocolat dans notre pays, la place de l’économie cacaoyère dans le développement de l’Afrique coloniale puis post-coloniale, la question de la main d’œuvre africaine au sein de cette économie de nos jours et la complexité des rouages financiers qui enrichissent une poignée d’acteurs économiques essentiellement en Occident ».

La pièce se veut d’abord un spectacle dynamique qui s’adresse à toutes les intelligences, donc à tout public. D’ailleurs, l’auteur genevois, qui est aussi enseignant, a déjà pris contact avec le Département de l’instruction publique afin que sa pièce puisse servir d’agora de discussions et de réflexions entre les enseignantes et les élèves, consommateur·trices de demain. La pièce de Dominique Ziegler bénéficie de la présence de comedien·nes très impliqué·es qui amènent une vie constante sur le plateau. Dans une succession de saynètes qui suivent le cours de l’histoire, l’enchainement rapide des scènes et les allers-retours entre la fiction des tableaux et le retour au couple spectateur au sein du musée offrent un dispositif perpétuellement en mouvement qui évite toute léthargie et permet l’identification du public avec l’action qui se déroule devant les yeux dans une immersion participante si chère à Pierre Bourdieu.

L’ère est au questionnement sur le passé colonial de la Suisse et plus largement sur les rapports Nord-Sud à la lumière des analyses historiques et économiques les plus récentes. C’est le souhait le plus cher de Dominique Ziegler que son spectacle puisse servir de tremplin à des discussions, des échanges, et déboucher sur une conscientisation des réalités guère éthiques qui jalonnent la dégustation d’une tablette de chocolat sous nos contrées. Concrètement, ce mouvement s’est concrétisé, entre autres, à travers des recherches universitaires encouragées par la Ville de Genève sur le passé colonial de Genève et par de nombreuses expositions dont la récente Mémoires-Genève dans le monde colonial au Musée d’Ethnologie.

La première saison du nouveau directeur des Scènes du Grütli, Eric Devanthéry, qui s’intitule L’arbre-monde, inspirée de Richard Powers, a abordé diverses thématiques allant des dérèglements climatiques, à notre avenir, en traitant, entre autres, du racisme. La présence de la compagnie de théâtre Les Associés de l’Ombre et la pièce Choc ! La Friandise des Dieux dans cette programmation coulait de source.

Des rencontres seront proposées après chaque représentation entre l’équipe artistique et le public, et parfois un·e invité·e surprise, dans le foyer du théâtre, dans un espace convivial nommé « l’arbre à palabres ». Le 10 mai à 18h, une grande table ronde avec des spécialistes des questions abordées dans la pièce sera organisée et ouverte à tout·es.

La pièce de Dominique Ziegler bénéficie de la participation de l’auteur Samy Manga, dont le livre Chocolaté – Le goût amer de la culture du cacao (Ecosociété, collection Parcours, 2023,136 p.), un ouvrage qui s’intéresse spécifiquement à la question du cacao au Cameroun et est un complément important au spectacle, de la présence aussi du chocolatier suisso-péruvien Juan Castillo, dont le magasin SICAN, à Genève, sis dans le quartier de la jonction, propose du chocolat issu directement de l’agriculture ancestrale inca et du village d’origine de Juan, du soutien du Club des amateurs de Chocolat, regroupant des dizaines de personnes amatrices d’un chocolat de qualité.

Menant de front divers projets d’écriture et de mise en scène, accordant une importance majeure à la transmission auprès de ses élèves, et en pleines répétitions pour Choc! La Friandise des Dieux, Dominique Ziegler a trouvé le temps de nous parler de sa pièce et de sa mise en scène sur une terrasse ensoleillée. Rencontre :

 

PS:

 

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Firouz E. Pillet

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