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Girl Gang, de Susanne R. Meures, nominé dans la catégorie « Meilleur documentaire » aux Quartz, le Prix du cinéma suisse 2023, sort sur les écrans

Girl Gang, le troisième long-métrage de Susanne Regina Meures, révèle les multiples facettes de l’univers impitoyable des réseaux sociaux par l’observation de la vie d’une influenceuse allemande adolescente. C’est la troisième nomination de la réalisatrice aux Quartz dans cette catégorie après Raving Iran en 2017 et Saudi Runaway en 2021.

Girl Gang de Susanne Regina Meures
Image courtoisie Frenetic Film

La réalisatrice allemande Susanne Regina Meures, ancienne élève de l’Université des Arts de Zürich-ZHdK, qui a présenté Girl Gang en première mondiale au festival CPH.DOX, a pu s’immiscer dans le monde des influenceurs après avoir obtenu l’autorisation de filmer le quotidien d’une adolescente basée à Berlin ainsi que celui de ses parents devenus ses managers, dévoilant les coulisses d’une vie d’influenceuse consacrée à alimenter les réseaux sociaux par des contenus très édulcorés et glamour. La réalité que nous révèle la caméra de Susanne Regina Meures s’avère très éloignée de ce qu’imagine le grand public.

Nostalgiques du XXème siècle et des soirées familiales où l’on communiquait devant un Jeu de l’oie, abstenez-vous ! Ici, on ne lâche jamais ses quatre téléphones portables, on se photographie au lever du lit et on se filme dans toutes les situations de sa vie quotidienne. Bref, on vit une vie trépidante et passionnante pour des millions de personnes qui n’attendent que de recevoir de précieux conseils de maquillage, d’habillage et de coiffure.

Dans la famille de Leoobalys, on demande la fille : Leonie, une influences à succès, âgée de quatorze ans, vit dans la périphérie de Berlin-Est. Se lançant avec une vidéo au ton naïf, innocent et puéril sur Youtube, puis créant des comptes sur Instagram et sur TikTok, Leoobalys la Youtubeuse conquiert le monde en tant qu’influenceuse adolescente. Sans relâche, elle poste sur les réseaux sociaux des contenus – dont la pertinence reste à juger par les spectatrices et spectateurs du documentaire – dans lesquels elle expose avec la complicité de ses parents son mode de vie, à grand renfort de publicités pour ses sponsors.

Mais les sponsors ne s’y sont pas trompés : passer par l’intermédiaire d’une influenceuse qui à un million six cent mille abonnés est nettement plus efficace, en terme de consommation, que des publicités dites traditionnelles, devenues quasiment obsolètes. Tout au long du documentaire, l’attitude des parents de Leonie interroge de plus en plus alors que les mois défilent : ces parents si « dévoués et si désintéressés » qui répètent continuellement au fil des mois se vouer à leur fille en la soutenant, semblent de plus en plus investis à titre personnel même si ils ne cessent de clamer qu’ils le font pour le bien de leur fille et pour son avenir.

Les millions de followers de Leoobalys lui vouent un culte, l’idolâtrent et sont littéralement à ses pieds lors de chacune de ses apparitions, les entreprises s’arrachent ses faveurs en la submergeant de leurs produits et en lui garantissant un revenu doré et un train de vie de luxe. Que quoi faire pâlir les multi-diplômés universitaires ! On ne sait pas dans quels secteurs professionnels travaillaient les parents de Léonie mais force est de constater que lorsque les parents de Léonie ont compris l’énorme potentiel économique de l’activité de leur fille, ils ont spontanément pris sa direction. Leonie devrait avoir une vie meilleure qu’elle-même n’imaginait avant de commencer ses activités sur les réseaux. Mais l’introspection constante de Léonie et la pression impitoyable du marché amènent ses parents à exiger toujours plus de leur fille, ne luisant aucun répit.

Leonie va encore au gymnase et affirme qu’elle ira jusqu’à l’obtention du diplôme de maturité. Mais, au fil des séquences qui défilent sous nos yeux consternés, on reste perplexe devant ses affirmations tant l’appât du gain facile semble lui assurer un avenir radieux et fructueux sans faire ni de grands efforts ni de grandes études. Ses productions, qui sont minutieusement préparées et filmées avec du matériel professionnel , accaparent la quasi totalité de ses journées.

Chaque jour suit un horaire strict, chronométré à la minute près, avec des rendez-vous par visioconférences avec ses sponsors, les enregistrements de ses vidéos quotidiennes puis leur publication sur les réseaux font le chassé-croisé avec ses devoirs sporadiques et ses entraînements de football. Afin d’atteindre encore plus d’abonnés et de satisfaire ses sponsors, Leonie travaille souvent tard le soir, voire la nuit. Susanne Regina Meures suit ce rythme infernal consacré uniquement à des vidéos distillant calembredaines et futilités en tous genres.

La réalisatrice choisit de laisser son public libre d’interpréter, de s’interroger, peut-être de juger, et livre son matériel brut sans ne jamais poser aucune question.

Au début, le plan que s’impose Leonie semble fonctionner à merveille : à l’école, elle obtient les meilleures notes malgré le peu de travail qu’elle semble fournir,; en tant que influenceuse elle gagne de plus en plus d’argent, mais le succès fulgurant et mirobolant que filme Susanne Regina Meures dévoile peu à peu les facettes moins affriolantes de ce train de vie.

Dans la famille élargie de Leoobalys, on demande la fan : Susanne Regina Meures a trouvé une fan de Leoobalys qui a accepté qu’elle la suive et la filme : Melanie vit avec sa mère et ses deux chats dans une petite ville de Bavière. Elle a des intérêts différents de ceux des enfants de la campagne. Elle ne retrouve pas ses amis au village, mais sur Internet. Rapidement, elle confesse à la caméra de cinéaste sa fragilité, sa vulnérabilité, sa solitude. La vie de Melanie tourne presque exclusivement autour de son idole Leonie alias Leoobalys et isole encore plus Melanie. Sa chambre est tapissée de photographies de Léonie qu’elle considère comme sa meilleure amie sans l’avoir jamais rencontrée. Melanie veut être comme son modèle, se maquille, a les ongles manucurés d’une longueur affolante. Elle tient une fan page pour Leoobalys, dans laquelle elle investit beaucoup de temps et passe douze à dix-sept heures sur son portable mais sa mère finit par lui limiter l’accès à internet. Elle doit dorénavant se contenter de seulement douze heures qu’elle consacre à éditer des photographies et des vidéos de Léonie et les diffuser sur les réseaux sociaux. Un sacré coup de pouce à l’influenceuse, non négligeable et entièrement bénévole !

Alors, en échange, Melanie nourrit un rêve fou qui anime ses jours et ses nuit : celui de rencontrer Léonie et enfin de la serrer dans ses bras. Ce grand jour arrive : la venue de Leoobalys est annoncé dans un centre commercial de Munich. La file d’attente de jeunes filles hurlant, prises d’une frénésie et d’une hystérie collectives à l’apparition de l’influenceuse mails manifestation vire rapidement au chaos. Cependant, Melanie a pu renvontrer« sa meilleure amie » et prendre un selfie avec elle qui affiche une large sourire. Un sourire peu spontané qu’elle offre à chacune des jeunes filles privilégiées qui montent sur le podium pour poser aux côtés de l’influenceuse. Le public retrouve Melanie en pleurs quand elle prend conscience que « sa meilleure amie » n’a jamais répondu à ses messages sur les réseaux et l’ignore complètement. On redoute le pire …

Dans la famille de Leoobalys, on demande le père : Andreas fait tout pour sa fille. Il lui souhaite une vie meilleure que celle qu’il a connue, alors adolescent, dans la RDA. Au début du tournage, Andreas travaillait toujours comme barman mais, à mesure que la carrière de Leonie s’accélérait et devenait financièrement plus lucrative, il a repris la gestion des affaires de sa vie. Il coordonne les demandes des entreprises et des grandes marques. Il n’épargne ni effort ni dépense pour les idées de production de Léonie pour ses messages. Un véritable businessman du jour au lendemain !

Pour la protéger, avec sa femme Sani, celui qui se fait dorénavant appeler Andy supprime les commentaires haineux que Léonie ne devrait pas voir. Progressivement, Andreas semble avoir oublié son rôle de père pour devenir le bon pote de Leonie en lui demandant de le photographier quand il monte les marches de l’avion qui les emmène tous deux à Vienne. Une fois arrivées dans la capitale autrichienne, Andy et Leoobalys sont filmés par Susanne Regina Meures et échangent au sujet de leur venue : « On va directement au centre commercial Untel et on ne va rien visiter à Vienne. On n’a pas le temps pour cela ! » Vous le comprendrez rapidement : la culture digne de ce nom n’a pas sa place dans la vie de Leoobalys et de ses parents ! Pourquoi se cultiver quand on gagne si facilement sa vie à se trémousser devant une caméra en alignant des niaiseries insignifiantes ?

D’ailleurs, il n’y a pas que la culture qui manque par son absence. La compassion et l’altruisme semblent aussi cruellement manquer à Leonie et à ses parents-managers : durant tout le documentaire, on voit les animaux de la famille, un cocker plus tout jeune qui frétille de la queue à chaque fois qu’il croit que l’un de ses trois humains va l’emmener promener mais qui passe ses journées à quémander une sortie qui ne viendra jamais. Un pauvre chat noir à trois pattes qui se déplace difficilement vu son amputation et qui espère, avec patience et abnégation, grappiller quelques caresses qui se font éternellement attendre. Pire ! Ce pauvre chat délaissé miaule continuellement et Andreas explique tranquillement qu’il souffre vu son handicap et qu’il a besoin de médicaments que le vétérinaire doit lui administrer. Mais les jours passent et les parents de Leonie n’ont vraiment pas le temps d’amener ce pauvre chat algique chez le vétérinaire.

Andy impose beaucoup de discipline à Leonie. Lui et sa femme Sani forment une équipe soudée et ils prennent tous les deux des décisions importantes qui affectent Leonie et la famille ensemble.

Dans la famille de Leoobalys, on demande la mère, Sani. Comme son mari Andreas, Sani aimerait aussi que Leonie travaille moins pour avoir une belle vie. Quand elle était jeune, son mari et elle ont dû travailler dur pour leur avenir. C’est pourquoi Sani exige beaucoup de sa fille : elle ne doit pas négliger l’école tout en assumant ses fonctions d’influenceuse. Au début, elle n’est pas aussi extravertie que son mari et n’aime pas être au centre de l’attention. Pourtant, Sani prend rapidement goût à cette manne d’argent rapide et facile et décide de devenir, elle aussi, influenceuse.

Né en 1977 en Allemagne. Susanne Regina Meures a étudié la photographie et l’histoire de l’art au Courtauld Institute of Art de Londres. Elle est également titulaire d’une maîtrise en cinéma de ZHdK. En 2018, la cinéaste avait signé Raving Iran qui suivait Arash et Anoosh, deux DJs exerçant dans le milieu underground de la techno à Téhéran. Fatigués de cet éternel jeu de cache-cache avec le gouvernement et la police religieuse, ils programment dans les conditions dangereuses une dernière rave party frénétique en plein désert.

En 2020, Susanne Regina Meures signe Saudi Runaway suit Muna, une jeune femme intrépide d’Arabie Saoudite, qui filme et documente son quotidien. Lassée d’être contrôlée par l’Etat et patronisée par sa famille qui prépare son mariage arrangé imminent, Muna filme la réalité de son quotidien étouffant et sans avenir ainsi que sa fuite planifiée.

Les deux films précédents de la documentariste avaient un ancrage profondément politique dans des pays où les droits fondamentaux sont inexistants. Girl Gang détonne complètement en proposant une logorrhée ininterrompue mais dénuée de tout intérêt. Ici, la politique a laissé la place à un phénomène de société qui a de quoi inquiéter vu l’ampleur que les influenceurs ont pris en quelques années, ampleur accentuée par les confinements successifs liés à la pandémie.

Le documentaire de Susanne Regina Meures apporte un éclairage sociologique qui servira de document d’époque aux futurs sociologues, voire anthropologues … Mais y en aura-t-il encore ? Rien n’est moins sûr vu que l’avenir est aux influenceuses et influences !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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