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Mostra 2024 : présenté dans la section Orizzonti, Mon Inséparable, d’Anne-Sophie Bailly, propose une nouvelle variation de « Mère Courage » fusionnelle avec son fils « différent »

La cinéaste française signe un premier long métrage émouvant et au rythme intense qui décortique les liens affectifs forts entre une mère et son fils au moment où celui-ci décide de prendre son envol.

— Laure Calamy – Mon Inséparable
Image courtoisie La Biennale di Venezia

Mona (Laure Calamy) vit avec son fils trentenaire, Joël (Charles Peccia Galletto), dans un appartement modeste à Créteil. Joël est « en retard », comme on dit. Il travaille dans un centre spécialisé. Il aime passionnément sa collègue Océane, elle aussi en situation de handicap. Mais Mona ignore tout de cette relation. Quand Océane tombe enceinte, un choix doit être fait, et le rapport fusionnel entre mère et fils vacille.

Depuis plusieurs longs métrages, Laure Calamy distille une énergie débordante tel un électron libre et on peine parfois à la suivre. On se souvient de la comédienne dans À plein temps (2021) ou dans Iris et les hommes (2023), deux films dans lesquels elle incarnait avec brio des mères de famille quadragénaire se livrant à corps perdu dans une activité bouillonnante et laissant un brin de folie s’extérioriser. Dans Mon Inséparable, l’actrice retrouve ces traits de caractère dans un rôle taillé sur mesure pour elle. Laure Calamy incarne à merveille les angoisses de cette mère désarçonnée par le choix de son fils catalogué comme « différent » par la société. Mona doit apprendre à donner du lest, elle qui a élevé seule Joël.

Anne-Sophie Bailly choisit de raconter le moment de clivage et d’implosion de la cellule familiale. En effet, ce jeune homme est à la charge directe de sa mère dont il est complètement dépendant. Mais, comme n’importe quel jeune, il vit ses premiers émois avec Océane et décidera de prendre ses responsabilités au grand dam de sa mère, de plus en plus désemparée. Cassant les stéréotypes et tordant le cou aux préjugés, la cinéaste choisit de nous montrer que la normalité et l’anormalité ne sont pas forcément là où la société les place. D’ailleurs, son propos est d’emblée limpide quand elle nous montre, dès les toutes premières scènes, des jeunes adultes qui semblent très responsables quand ils décident de prendre en main leur vie et de conquérir une indépendance qui leur était interdite. Le point fort du film est d’avoir sollicité de jeunes débutants pour jouer les rôles de jeunes adultes sous tutelle de leurs parents.

Anne-Sophie Bailly évite toute infantilisation de ce couple d’adultes jugés « anormaux », en particulier quand une assistance interroge Océane sur son désir de poursuivre sa grossesse et sur son consentement éclairé devant l’insistance du père de la jeune fille. La réponse d’Océane est sans équivoque et la maturité du jeune couple « anormal » inspire respect et admiration.

Développant la crise familiale qui ébranle la stabilité et l’organisation huilée de Mona, la cinéaste n’oublie pas pour autant de faire de cette Mère Courage une femme qui succombe au charme d’un beau ténébreux de passage, un Belge (Geert Van Rampelberg) rencontré dans un bar et avec lequel elle commence une relation. On découvrira aussi Mona se heurter aux idées reçues d’une société qui reste achoppée à ses catégorisations, y compris en la personne de cet amoureux qui lui dit que ses filles ne sont pas habituées à la différence.

Si le septième art a déjà traité le sujet du handicap d’un enfant tributaire d’un parent, Mon Inséparable montre un aspect moins abordé : celui de l’émancipation de l’enfant handicapé et de son désir d’avoir une vie normale, de couple et de parent.

À l’issue de la projection, on retient l’élément essentiel du récit : le film traite d’amour, d’abnégation, de lâcher prise pour encore mieux aimer l’être chéri. Mais ce cheminement ne se fait pas d’un claquement de doigts. Anne-Sophie Bailly a su intelligemment suivre ce parcours difficile, douloureux, en montagnes russes mais constamment dominé par l’amour maternel, filial, de couple.

Anne-Sophie Bailly commente son film :

« La silhouette fière et nerveuse d’une mère, la démarche inégale de son fils, les yeux bleus de son amant qui font signe au large. Trois corps, trois personnages en quête de liberté, alors que tout les contraint et les lie. Mona s’occupe de son fils adulte Joël depuis son enfance. Ces soins sont autant un don qu’une malédiction, les liant dans une co-dépendance complexe. Joël et Océane sont différents. Et pourtant, comme tout le monde, ils se désirent et s’aiment, au point d’envisager d’avoir un enfant. Qui sommes-nous pour juger de leur capacité à prendre soin d’autrui ? Le regard de Mona, tendre et inquiet, reflète l’abîme de mes questions : quels droits – et devoirs – avons-nous les uns sur les autres ? Sur son corps et sa vie ? »

Construit sur un scénario fluide signé par la cinéaste, le film parvient à impliquer le public sans le faire sombrer dans un mélodrame étouffant, en conservant une juste distance tout au long du récit. Mon Inséparable a le mérite de traiter avec finesse du sujet délicat du handicap en adoptant le point de vue de la mère.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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