Gloria ! de Margherita Vicario, comporte les défauts d’une première œuvre tout en dévoilant le chapitre méconnu des orphelinats vénitiens pour jeunes filles qui offraient à leurs pensionnaires une formation musicale de haut niveau
La chanteuse, compositrice, musicienne et actrice romaine fait ses débuts en tant que réalisatrice avec un film au sujet étonnant et à la vitalité musicale enthousiasmante, mais qui laisse à désirer quant à l’interprétation des comédien.ne.s.
Dès la scène d’ouverture, Margherita Vicario entraîne son public dans les brumes de la lagune vénitienne, au XVIIIème siècle. À l’Institut Sant’Ignazio, orphelinat et conservatoire pour jeunes filles, tout le monde s’affaire en vue de la visite imminente du nouveau Pape Pie VII à l’occasion du grand concert qui sera donné en son honneur. Teresa (Galatéa Bellugi), jeune domestique silencieuse et solitaire, observe et écoute. Nous servant de guide, la jeune femme mutique fait alors une découverte exceptionnelle qui va révolutionner la vie du conservatoire : un piano-forte.
Née en 1988, Margherita Vicario a produit son premier album Minimal Musical en 2014 alors qu’elle se formait comme actrice à l’Accademia Europea d’Arte Dramatica de Rome. Son mémoire de licence explorait l’utilisation par Bertolt Brecht de la musique populaire dans le théâtre politique. Après avoir obtenu son diplôme, elle a étudié la méthode Jaques-Dalcroze, une pratique pédagogique centrée sur la culture de la musicalité inhérente aux enfants via le mouvement rythmique. En 2021, elle sort Bingo.
Gloria ! qu’elle a co-écrit avec Anita Rivarolli, commence en situant immédiatement le lieu et l’année : nous nous trouvons dans un orphelinat pour jeunes femmes, à la périphérie de Venise, en 1800. Teresa, cette jeune servante, que tout le monde appelle la Muta (la Muette), semble dotée d’une oreille musicale extraordinaire, peut-être l’oreille absolue, qui lui permet de transformer n’importe quel bruit en musique, des sons des lavandières en train de s’échiner à laver des draps aux caquètements des poules de la basse-cour. Derrière la cinéaste demeure toujours, bien présente, la musicienne qui fait de la musique et de la musicalité des protagonistes à part entière. La partition s’écrit sous nos yeux et ravit nos tympans alors que les coups de balai dans la cour de l’institut, le froissement du linge étendu sur les cordes et tant d’autres activités domestiques se muent dans une joyeuse symphonie, car écoutées avec les oreilles de Teresa.
Dès les premières séquences, force est de constater que Teresa n’est ni considérée ni respectée, mais rabrouée et maltraitée, en particulier par le père supérieur, Perlina (Paolo Rossi). La jeune fille survit dans ce milieu hostile grâce à son don qui lui permet de remodeler sa vision du monde à travers la musique. Perlina tente d’écrire une composition adéquate pour rendre hommage au Pape, mais il y a belle lurette que l’inspiration l’a quitté. C’est alors qu’un groupe de quatre jeunes filles se rassemble autour de Teresa et est immédiatement frappé par son talent, sauf Lucia.
Par le truchement de son travail en tant que compositrice, Margherita Vicario s’est rapidement interrogée sur la place des femmes dans la musique de nos jours, mais aussi à d’autres époques. C’est ainsi qu’elle s’est lancée dans des recherches qui l’ont amenée à écrire Gloria ! après avoir parcouru l’histoire des compositrices italiennes et européennes, en particulier après la découverte de l’univers insoupçonné et fascinant des quatre Ospedali de Venise et des Figlie di Choro (les filles de chœur).
La musicienne cinéaste souligne :
« Les orphelinats étaient des institutions d’aide aux femmes qui dispensaient une formation musicale de haut niveau. Le plus célèbre d’entre eux, l’Ospedale della Pietà, est connu pour avoir été l’école où Vivaldi a enseigné… Ainsi, les seules personnes qui pouvaient se permettre d’étudier la musique au plus haut niveau, à l’apogée de la splendeur de la Venise baroque du XVIIIème siècle, étaient les nobles et les orphelines ! »
Un paradoxe étonnant que Gloria ! a le mérite de révéler au grand jour et qui constitue une autre qualité de ce film en sus de la musicalité. Malheureusement, ces qualités sont estompées par cette histoire à la Dickens d’une servante malmenée, séparée de son enfant et victime de manigances du père supérieur.
Dans cet orphelinat résident Lucia (Carlotta Gamba), Bettina (Veronica Lucchesi), Marietta (Maria Vittoria Dallasta) et Prudenza (Sara Mafodda), quatre filles très proches les unes des autres et dont la sororité transperce l’écran. Ce quatuor rêve d’une vie meilleure tout en s’appliquant consciencieusement à l’étude et à l’exercice de musique sous la direction approximative de Don Perlina, le prêtre aliéné qui, autrefois compositeur renommé, a quelques secrets dans le tiroir de son confessionnal.
Depuis sa découverte, Teresa joue toutes les nuits sur ce miraculeux piano, faisant voler ses doigts sur le clavier de manière intuitive. Les mélodies qui émanent de la cave vont finir par attirer les quatre jeunes filles qui, bien qu’orphelines, se sentent initialement supérieures à Teresa, en particulier Lucia qui se place dans une rivalité musicale dictée par l’orgueil. Progressivement, hypnotisées par le talent musical inné et anarchique de Teresa, naît une véritable amitié, à l’insu de Perlina.
Si le jeu laisse vraiment à désirer, cette lacune est compensée par ce souffle musical et ce rythme qui imprègnent le film. Ici, tout est questions de notes et de silences, de noires, de blanches, de croches, de demi-croches et de noires pointées. Même les sons, y compris les sons des mots, devient partition musicale. Dans un évident clin d’œil aux scénographes théâtrales, le montage de la musique et la recherche rythmique amènent la cinéaste à chorégraphier de nombreuses séquences dans l’espace comme sur un plateau de théâtre. Margherita Vicario a apporté une attention particulière aux instruments, en filmant au plus près les archets sur les cordes, les Ponticelli des violons et des violoncelles, les doigts qui enchaînent avec agilité la succession des notes.
Pour rendre hommage aux compositrices publiées de l’histoire de la musique, Margherita Vicario avait pour objectif d’inscrire cette histoire fictive dans un contexte historique précis et riche en détails, en partant de Johan Stein, facteur de piano, à l’élection du pape Pie VII à Venise, du déclin de la Sérénissime aux compositions de Lucia qui font écho à celles de la seule compositrice orpheline dont l’œuvre a survécu jusqu’à nos jours, Maddalena Laura Lombardini Sirmen.
En épilogue, la réalisatrice rappelle la destinée toute tracée qui attendait les jeunes femmes, y compris les plus talentueuses :
« Malgré leur excellente formation, ces artistes ne pouvaient pas faire de la musique leur profession. Ainsi, alors que les musiciens professionnels étaient formés dans des conservatoires masculins de Naples, les jeunes femmes des orphelinats vénitiens ne pouvaient aspirer qu’à un bon mariage ou à jouer toute leur vie pour la gloire de Dieu. »
Firouz E. Pillet
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