Le côté obscur des leçons d’harmonie
Aujourd’hui, il y a eu un événement exceptionnel: la projection de Dark Blood, tourné en 1993 mais jamais terminé car l’acteur principal, River Phoenix, est décédé 10 jours avant la fin du tournage.
Difficile de ne pas parler de ce film aujourd’hui, tellement il marque. Cependant, puisqu’il est hors compétition et que cette journée a été aussi celle d’un film – Harmony Lessons – qui a toute ses chances pour la course aux Ours, nous en reparlerons après le festival.
Jamais un film kazakh n’avait eu les honneurs d’une sélection à la compétition officielle de la Berlinale. Voilà qui est chose faite… et de la plus belle des manières!
Harmony Lessons
Le Kazakhstan comme on se l’imagine, un environnement dur, froid, rempli d’espaces vides et arides. Mais l’imagination est dépassée par la cinématographie – avec une très belle photographie de Aziz Zhambakiyev, de superbes demi-tons et pastels dans les prises de vue extérieures – et la dramaturgie de cette histoire, à la narration emplie de symboles, d’ellipses et de hors champs très intelligemment utilisés pour créer une sorte de mystère dans une trame pourtant très claire et prévisible.
Aslan, un adolescent de 13 ans, vit avec sa grand-mère dans un village dans lequel il y a une grande école sous le joug de bandes organisées, avec une hiérarchie de caïds, son lot de racket, de brimades, de violence. Aslan est un élève brillant en science, méticuleux, perfectionniste… et très laconique dans sa communication. Il est la tête de turc de Bolat, le petit chef du gang qui extorque l’argent aux élèves de son âge. Il l’humilie à le rendre malade. Aslan, silencieusement, méthodiquement prépare sa revanche.
L’histoire est, par certains côtés, ancrée dans la réalité kazakh, la vie en province très violente dès le plus jeune âge, à tous les niveaux de l’école à la police, la corruption, la hiérarchie rigide à l’instar des structures, et par d’autres côtés parfaitement universelle des problèmes des adolescents, de leurs manières de les résoudre ou de s’y confronter, de leurs comportements.
Pour le jeune réalisateur de 29 ans Emir Baigazin, Aslan est comme tous les êtres humains, « un héros, une victime et un bourreau en même temps ou à des moments différents, à des niveaux différents. » L’idée essentielle du film ajoute-t-il c’est que « les meurtres, quels qu’ils soient, d’un mouton à un individu en passant par ceux d’insectes, sont perpétrés pour le même motif : survivre. C’est pourquoi je montre l’égorgement du mouton dans la première scène du film. Cette histoire aurait pu avoir lieu en Russie ou une favéla au Brésil, le dénominateur commun étant le faible développement économique. Au Kazakhstan, la vie en ville est beaucoup plus facile qu’en province. » Plus le film avance, plus le ton général du film, les couleurs, les cadrages, les emplacements semblent s’aseptiser, l’histoire touche mais pas directement les émotions, si ce n’est les réflexes corporels que l’on peut avoir lors de scènes violentes : « on a effectivement choisit d’être un peu stérile car nous voulions refléter l’état intérieur du héros qui aspire à la pureté, à la propreté après le drame personnel qu’il endure dans les 15 premières minutes. » Il n’y a pas non plus de participation émotionnelle des adultes dans le film, « je voulais exprimer la non-participation des adultes à cet âge. Les adolescents parlent – s’ils parlent – à leurs camarades, c’est tout. C’est pourquoi les parents ne sont pas présents.
Si la scène finale est visuellement magnifique, la fin du film, elle, n’ouvre pas sur une note très optimiste, puisque les structures criminelles restent, les individus mis hors de nuire étant simplement remplacés. « Je ne souhaitais pas faire un film avec de l’espoir ou sans espoir. Mon propos est que chaque jour on se réveille avec un chagrin et un espoir. Je ne réfléchis pas à la vie en termes de bien et de mal. Chaque douleur apporte une expérience. L’être humain ne peut pas vivre seulement d’espoir. Il vit de son expérience. C’est de l’expérience dont je voulais parler, celle qui fait de la vie un cycle : tout meurt et tout se reproduit. La vie et le monde ne s’arrête pas avec nous. »
Un film qui a toutes ses chances pour le palmarès final, particulièrement pour l’acteur masculin, Timur Aiderbekov, orphelin vivant dans un foyer pour jeunes à Almaty. Et bonne nouvelle, il y a de grandes chances que le film soit distribué dans nos contrées puisqu’il est le fruit d’une coproduction kazakh-allemande-française.
Malik Berkati, Berlin
Harmony Lessons, de Emir Baigazin, avec Timur Aiderbekov, Aslan Anarbayev, Mukhtar Andassov, Kazakhstan/Allemagne/France, 2013, 110 min.
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