Le Jüdisches Filmfestival Berlin & Brandenburg (JFBB) devient hybride du 6 au 13 septembre 2020 – dans les cinémas de Berlin et du Brandebourg ainsi qu’en ligne
Lentement la vie des festivals de films reprend physiquement un peu partout, mais les restrictions sanitaires et les difficultés concernant les voyages font que nombre d’entre eux choisissent une solution hybride: en partie en salle en partie en ligne. Le Jüdisches Filmfestival Berlin & Brandenburg en fait partie avec 44 films, documentaires, séries et courts métrages dans 8 cinémas de Berlin et du Brandenburg et sur sa propre plateforme en ligne. Comme à son habitude, le festival organisera – en ligne et dans les salles de cinéma – des discussions et des présentations de films avec des cinéastes, des actrices et acteurs, des productrices et producteurs et des expert.es en cinéma pour tous les films présentés.
Jews with many Views
Telle est la devise de cette 26e édition du JFBB qui est le dernier de sa charismatique fondatrice et directrice, Nicola Galliner. Ce qui fait la qualité de ce festival est principalement sa capacité, chaque année, à montrer un large éventail et de la production de films récents ayant un rapport avec la judéité ou Israël, une programmation qui balaie comme rarement un large spectre de thématiques, et ceci sans aucun tabou. Cette année, ce trait caractéristique rejoint donc le fil rouge choisi « des Juifs aux multiples points de vue » et ouvre une fenêtre passionnante sur la complexité et la diversité de l’histoire, de la culture et de la vie juives d’aujourd’hui comme d’hier.
Voici une sélection de films qui illustre cette devise:
Incitement de Yaron Zilberman, film d’ouverture du festival, qui a représenté Israël aux Oscars 2019. Ayant pour sujet l’assassinat du Premier ministre isréalien Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995, assassinat qui a sonné le glas du processus du paix entre les Israéliens et les Palestiniens, le film reconstruit, du point de vue de l’attentateur Yigal Amir, un étudiant en droit orthodoxe, les événements qui ont secoué le paysage politique israélien pendant l’année qui a précédé l’attentat. Le scénario est basé sur des entretiens avec Yigal Amir, sa famille et ses amis et combine les faits historiques avec des documents contemporains et des observations sur la radicalisation du jeune homme. De cet événement d’une grande portée politique, Incitement fait une étude encore très actuelle et intemporelle sur l’extrémisme politique.
I Was Not Born A Mistake de Rachel Rusinek et Eyal Ben Moshe relate la très étonnante et bouleversante histoire de Yiscah Smith, prénommée à sa naissance aux Etats-Unis Jeffrey avant de choisir le prénom Yakoov lors son installation en Israël. Membre éminent de la communauté hassidique, marié et père de 6 enfants, le rabbin, au début des années nonante, ne peut plus vivre dans le mensonge et fait son coming out, se croyant homosexuel. Depuis l’enfance, il sent qu’il y a quelque chose de différent en lui, quelque chose qu’il ne peut pas définir mais qui le poursuit en même temps que lui poursuit cette flamme religieuse qui s’est allumé en lui lors de son premier contact avec le Mur des lamentations lors d’un voyage de jeunesse à Jérusalem. Evidemment, ce coming out signifie pour lui le rejet total de sa communauté et de sa famille. Il ne lui reste plus qu’à retourner aux Etats-Unis où une dizaine d’années d’errance et de mal-être l’attendent. Jusqu’au jour où une seconde révélation bouleverse sa vie: il n’est pas homosexuel, il est une femme! Commence alors la sortie du long tunnel avec la mise en conformité chirurgicale de Yiscah avec elle-même. Elle appelle ce processus un tikkun ruchani, une correction ou une réparation spirituelle. Vingt ans après avoir quitté Israël, Yiscah Smith revient s’installer à Jérusalem, épanouie et à nouveau en contact spirituel avec la ville et ses habitants, mais cette fois-ci de manière apaisée et non dogmatique: elle utilise son cheminement personnel pour aider les autres à mieux entrer en contact avec leur « être intérieur » et « l’étincelle divine qui se trouve en eux ». Elle le fait en enseignant le judaïsme comme une pratique méditative et contemplative, prenant comme base des textes hassidiques sans se référer à la communauté elle-même. Une très belle histoire de réalisation de soi, et qui se finit bien, élément assez rare pour être mis en valeur et en exemple.
{le site de Yiscah Smith https://www.yiscahsmith.com}
Those Who Remained (Akik maradtak) de Barnabás Tóth, film hongrois d’une grande sensibilité et d’une magnifique esthétique qui se marie à la perfection avec le parti pris narratif qui consiste à ne pas affronter de face les événements dramatiques qu’il porte mais de les aborder le sous-entendu permanent et l’ellipse, procédés plus efficaces que l’assénement brut des tragédies. Nous sommes à Budapest juste après la Seconde guerre mondiale, au début de l’ère stalinienne. Deux survivants de la Shoah, la jeune rebelle Klára (Abigél Szőke), 16 ans, et le gynécologue de 42 ans Aládar (Károly Hajduk), aussi taiseux que la jeune fille est bavarde. Cet antagonisme entre les personnalités des deux personnages principaux, si elle paraît de prime abord artificielle, s’avèrera au fil de l’histoire très juste et permet aux deux protagonistes d’évoluer chacun dans leur chagrin puis dans leur vie, coincée entre deux sombres périodes de l’Histoire. Le médecin vit seul, avec pour seuls compagnons les journaux médicaux auxquels il est abonné, jusqu’à sa rencontre avec la jeune fille qui entre dans sa vie comme un ouragan balayant tout et tou.te.s sur son passage, mis à part le calme olympien dont il ne se dépare jamais. Entre les deux, une relation de confiance s’installe, intellectuelle mais aussi de tendresse entre ces deux êtres brûlés par la vie. Le tour de force du cinéaste hongrois et de rendre cette relation entre les deux à la fois claire et ambigüe: celle d’une relation filiale qui pourrait à certains moments tomber dans le versant de l’inceste. Cette tension permanente dans une narration très mesurée, un décor minimaliste et une reproduction détaillée de l’époque par les costumes et les objets, participe à la finesse de ce très beau film de résilience.
Regina Jonas – Die erste Rabbinerin der Welt de Diana Groó raconte l’histoire d’une femme exceptionnelle, entrée dans l’histoire comme la première rabbine du monde à avoir été ordonné dans les règles. Regina Jonas (1902-1944), fille d’un colporteur juif orthodoxe, grandit dans le Scheunenviertel de Berlin, étudie à partir de 1924 dans une haute école libérale – la Hochschule für die Wissenschaft des Judentums, et est ordonnée rabbine en 1935. Pendant la période national-socialiste et la guerre, elle encourage les Juifs allemands persécutés par des sermons avec un courage et un dévouement uniques. En 1942, Regina Jonas est déportée à Theresienstadt et deux ans plus tard, elle est assassinée à Auschwitz. Le destin atypique de cette femme est tombé dans l’oubli, le film de la réalisatrice hongroise le remet dans la lumière avec pour image récurrente la seule photo qui existe de Regina Jonas: une jeune femme déterminée qui regarde avec assurance la caméra. Le concept visuel du film est basé sur un traitement lyrique tout à fait inhabituel des archives de la vie juive à Berlin, ce qui donne au film un rendu très particulier. Martina Gedeck prête sa voix à Regina Jonas, créant ainsi un lien entre l’image de Regina, le matériel historique et le public – dans la version anglaise, c’est Rachel Weisz qui parle et en hongrois Andrea Fullajtár.
Africa d’Oren Gerner qui fait jouer à ses parents une version fictionnalisée d’eux-mêmes. Ce qui aurait pu être dès le début un écueil – faire jouer à ses parents non professionnels leur rôle – se révèle être un coup de maître, les parents Gerner semblant avoir raté une vocation d’actrice et acteur, tant leur performance est réussie. De plus, cette impression d’être à la fois dans une fiction qui joue avec et se joue du genre documentaire n’est pas désagréable du tout et au bout de quelques minutes, emporté dans la volonté têtue de Meir Gerner, 68 ans, de ne pas accepter son âge et de se dépatouiller lui-même pour sortir de sa crise existentielle, le spectateur oublie toutes les considérations de genre et de style. Sa femme Maya, psychothérapeute qui exerce encore à la maison, est un élément pivot et apaisant dans sa vie, mais également un miroir dans lequel il ne veut pas se regarder. Cette relation pleine de tendresse et de confiance qui se confronte à certaines limites de compréhension est très belle à observer dans sa justesse de ces petits détails qui font la vie à deux. Le titre du film fait référence à un voyage que les Gerner ont effectué en Namibie et dont ils sont revenus enthousiastes. Pour Meir, ce souvenir représente dans sa récurrence un sentiment de liberté et de larges horizons qu’il semble perdre dans son quotidien.
Persian Lessons de Vadim Perelman clôturera le festival avec cette histoire totalement incroyable est pourtant, parait-il, inspirée d’un fait réel. En 1942, Gilles (Nahuel Pérez Biscayart), un Juif d’Anvers, est arrêté par les nazis et mis dans un convoi qui prend la direction de l’Allemagne où les prisonniers peuvent à tous moments être exécutés. Lorsqu’arrive le tour de Gilles, il prétend ne pas être Juif mais Perse. Par un concours de circonstances abracadabrant, cette déclaration le sauve car l’un des chefs de camp, celui préposé à la cuisine et qui se nomme bien à propos Koch (cuisinier en allemand), rêve d’ouvrir après la guerre un restaurant en Iran et cherche désespérément à apprendre le farsi. C’est ainsi que la vie de Gilles est sauvé: il doit apprendre la langue à l’officier SS (Lars Eidinger). Le ressort à la fois comique et dramatique du film tient bien entendu au fait que Gilles ne connaît pas un mot de farsi et pour survivre va devoir inventer une langue qu’il aura en commun avec Koch. Le film met en scène deux excellents acteurs qui portent avec ferveur l’histoire qu’ils racontent, mais aussi, au-delà de l’intrigue première qui offre de bons moments d’humour grotesque et absurde, instille une tension qui ne quitte pas spectateurs observant en parallèle les horreurs des camps, les réflexes de survie et les bas instincts des bourreaux.
Dans le programme en ligne, il y a également trois séries dont celle qui fait le portrait d’une famille qui est considérée comme la famille Kennedy israélienne, celle des Dayan dont le membre le plus connu à l’étranger est le général et homme politique Moshe Dayan mais contient également des cinéastes, rock stars, écrivain et poète. La série Dayan: The First Family (Dayan HaMishpacha HaRishona) relate sur 5 générations la saga familiale qui épouse la construction et l’évolution de l’État d’Israël.
Tous les films de la rétrospective sur Kirk Douglas et Margot Friedländer sont visibles en ligne gratuitement ainsi que le film Hummus! The Movie (2015) d’Oren Rosenfeld qui prouve que l’appétence commune pour le houmous peut, du moins partiellement, surmonter les frontières.
La plupart des films en ligne peuvent être vu, au choix, avec des sous-titres allemands ou anglais, en salles les films sont en version originale avec sous-titres en anglais ou en allemand.
Malik Berkati
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