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Les Pistolets en plastique : dans le Cluedo selon Jean-Christophe Meurisse, on a le lieu du crime. Il ne reste plus qu’à trouver le (bon) coupable !

S’inspirant de L’affaire Dupont de Ligonnès, le fondateur des Chiens de Navarre livre une comédie macabre et trash, dotée d’un humour noir redoutablement efficace.

Léa (Delphine Baril) et Christine (Charlotte Laemmel) sont obsédées par l’affaire Paul Bernardin (Laurent Stocker), un homme soupçonné d’avoir tué toute sa famille et disparu mystérieusement. Alors qu’elles partent enquêter dans la maison où a eu lieu la tuerie, les médias annoncent que Paul Bernardin vient d’être arrêté dans le nord de l’Europe… Ces enquêtrices en herbe sur les réseaux sociaux, fraîchement décorées par la République, se lancent à corps perdu pour leur première enquête sur le terrain, où elles croiseront une galerie de portraits pittoresques, dignes des gravures de Daumier mais bien représentatifs de notre société. Le tandem insolite d’enquêtrices redoutablement pugnaces se met à suivre les traces d’un paisible touriste français, Michel Uzès (Gaëtan Peau), ayant quitté la quiétude du sud de la France pour se rendre à Copenhague pour participer à un festival de danse country. Le danseur concouriste va passer vingt-quatre heures d’enfer dans les geôles danoises.

Le titre du film intrigue et suggère une histoire bon enfant et aux propos ludiques. Détrompez-vous ! À l’instar de son précédent film, Oranges sanguines (Cannes, 2021), Jean-Christophe Meurisse se plaît à choisir des titres un brin surréalistes et en assume pleinement le détournement de sens en revendiquant l’influence du cadavre exquis, ce jeu graphique ou d’écriture collectif inventé par les surréalistes, en particulier Jacques Prévert et Yves Tanguy, vers 1925.

Au sujet du titre de son dernier film, le cinéaste précise :

« Ces « Pistolets en plastique » sonnent bien, car tout le monde est un peu en plastique. Les personnages, le faux Bernardin, le vrai Bernardin, les enquêtrices, tous sont en toc. Quand j’ai relu le scénario, ma page était ouverte sur cette scène où Zavatta, le « ninja de la police », se fait tirer dessus par ses enfants avec des jouets, j’ai su que j’avais trouvé mon titre. »

Dès la scène d’ouverture, deux médecins légistes, Jhonny (Jonathan Cohen) et John (Fred Tousch) dépècent et démembrent, à grands renforts de couteaux de dissection et de pinces anatomiques, un cadavre tout en dissertant de manière anodine sur la folie meurtrière des gens. Le ton du film est donné : il sera décalé, ironique et sarcastique, dans la veine de la série de bandes dessinées d’humour noir, lancée au début des années 1980 par le dessinateur Marc Hardy. Jean-Christophe Meurisse ne laissera pas de répit à son public, enchaînant les scènes, maintenant cette discrépance entre le sens des mots et celui qui leur donne. Dans la scène suivante, le public se retrouve face à Michel Uzès qui s’installe à sa place dans l’avion qui l’emmène au Danemark. Taciturne et discret, il doit supporter la logorrhée verbale de sa voisine de siège (Nora Hamzawi), jeune femme volubile et à un stade très avancé de grossesse, qui lui énumère dans le menu et insistant sur les moindres détails ses cinq accouchements précédents. Le public découvre ensuite les chargés d’enquête (Vincent Dedienne et Aymeric Lompret) qui sont informés par Zavatta (Anthony Paliotti), un collègue qui se trouve justement à l’aéroport avec sa femme Lucille (Romane Bohringer) et leurs bambins sur le point de s’envoler pour des vacances en Argentine. Zavatta appelle son collègue dans le brouhaha de l’aéroport : il est certain, il a reconnu Paul Bernardin !

— Fred Tousch et Jonathan Cohen – Les Pistolets en plastique
Image courtoisie Xenix Filmdistribution

Vu la galerie de comédien.ne.s qui défilent sur l’écran (citons encore Philippe Rebbot dans le rôle de Thiago et Juana Acosta dans le rôle de Joana, la jeune épouse de Bernardin), on décèle immédiatement l’un des leitmotivs du réalisateur qui affectionne tout particulièrement de solliciter des gens connus « pour une journée de tournage » en les mêlant des membres de sa troupe de théâtre, Les Chiens de Navarre (qu’il a créé en 2005). Les comédien.ne.s qui font partie de la troupe de Jean-Christophe Meurisse ont l’habitude d’improviser, domaine dans lequel les deux actrices excellent ici en laissant libre cours à leurs personnalités très fantasques. C’est cette drôlerie et cette fantaisie, mêlées à une somme d’humour pince-sans-rire et d’absurdité, qui crée l’efficacité des repliques, des situations et des divers tandems de comédien.ne.s. Cette tonalité qui imprègne tout le récit s’inscrit dans le registre de la comédie noire, mélangeant humour et horreur, dans la lignée des frères Coen. Jean-Christophe Meurisse déteste se cantonner à un registre unique et se délecte quand tout est tendu, explosif aussi bien dans la narration que dans la forme et dans le jeu au point de déconcerter et de déstabiliser son public, ce dernier se laisse porter ne sachant pas sur quel pied danser, balloté de l’absurde à l’horreur, du rire au monstrueux, de la tragédie à la comédie.

L’absurdité est constante mais atteint son climax dans cette scène où Vincent Dediennne et Aymeric Lompret, policiers dépassés et aux connaissances de la langue de Shakespeare très discutables, se livrent à une visioconférence avec les policiers danois qui peinent à comprendre leurs homologues français. Celles et ceux qui connaissent l’univers de Meurisse et qui l’apprécient pour ses dimensions morbides et glauques seront heureux de retrouver des scènes plus tragiques, avec des évènements nettement plus sanglants qui semblent tout droit sortis du film de Luis Buñuel, Un chien andalou (1928). Attention : une scène d’une très grande violence peut heurter un public sensible ! Une scène où la voisine du meurtrier, concierge de son état, se livre à un laïus raciste, voire xénophobe, nous fait remonter dans les années nonante quand on osait encore rire de tout.

Après avoir travaillé sur le scénario des Pistolets en plastique pendant deux ou trois mois, Jean-Christophe Meurisse l’a soumis à sa collaboratrice et épouse Amélie Philippe puis le couple a retravaillé certains passages dans une émulation commune. Pour concevoir l’intrigue centrale, Jean-Christophe Meurisse s’est inspiré de l’histoire de Guy Joao, arrêté à Glasgow après avoir été pris pour Dupont de Ligonnès, l’homme le plus recherché de France.

La bande-originale des Pistolets en plastique est composée d’artistes aussi divers, d’airs de la variété française, du rock, du jazz, et le public appréciera ici Julien Clerc, Taj Mahal, Dalida, Mahler, Bach ou encore Frankie Valli.

Si côté septième art, Jean-Christophe Meurisse est devenu la coqueluche du cinéma français s’est fait remarquer avec Il est des nôtres, son premier moyen-métrage qui a reçu le Prix du syndicat de la critique du meilleur court-métrage français 2014 et deux prix au festival de Brive cette même année. Apnée, son premier long-métrage, avait été sélectionné à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes en 2016 puis ce fut Oranges sanguines (2021), présenté en séance de minuit toujours à Cannes. Si vous êtes férus de son univers, sachez-le que Meurisse œuvre aussi dans le monde théâtral et l’identité des Chiens de Navarre est devenu un esprit, voire une vision de la vie.

Jean-Christophe Meurisse met en scène des créations collectives (écriture de plateau) comme Une raclette (2008), L’autruche peut mourir d’une crise cardiaque en entendant le bruit d’une tondeuse à gazon qui se met en marche (2009), Nous avons les machines (2012), Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet (2012), Quand je pense qu’on va vieillir ensemble (2013) et Les armoires normandes (2015), des spectacles tournent depuis plusieurs années sur les scènes françaises et étrangères du théâtre public.

Avec Les Pistolets en plastique, le public suivra (ou subira, selon les affinités !) l’exploration intrinsèque que Jean-Christophe Meurisse mène dans les dérives de notre société à travers une plongée immersive et anthropologique dans la violence sous toutes ses formes.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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