Locarno 2024 – Cineasti del presente : Kouté vwa (Listen to the Voices), premier long métrage de Maxime Jean-Baptiste, brosse un portrait intime de la Guyane française
Le cinéaste issu de la diaspora guyanaise a réalisé plusieurs courts métrages – Écoutez le battement de nos images (2021) et Nou voix (2018) – avant de voir son premier long métrage présenté en première mondiale dans la ville tessinoise.
Après des images d’archives d’une mère éplorée rendant un vibrant hommage à son fils lors des funérailles de ce dernier, Maxime Jean-Baptiste entraîne le public dans la moiteur de l’été équatorial auprès de Melrick (Melrick Diomar), un adolescent de treize ans, qui passe ses vacances avec sa grand-mère Nicole (Nicole Diomar) à Cayenne, en Guyane française. À travers ce récit initiatique, la présence et l’envie de l’adolescent d’apprendre à jouer du tambour font ressurgir le spectre de Lucas, le fils de Nicole, également batteur, décédé tragiquement onze ans plus tôt. On comprend alors les images d’archives qui ouvraient Kouté vwa et qui montraient une foule dense et émue réunie pour honorer la mémoire d’un jeune homme brutalement disparu, symbole de l’histoire récente de la Guyane, faite de violence sociale et violences de rue, mais aussi de la résilience d’une communauté soudée face à l’adversité. Filmant avec pudeur le chagrin qui hante sa famille et révélant la soif de vengeance du meilleur ami de Lucas, la caméra nous montre comment Melrick livre ses questionnements, sa révolte et cherche son propre chemin vers le pardon.
Avec Kouté vwa, Maxime Jean-Baptiste vient inscrire son nom dans une nouvelle vague de jeunes cinéastes d’ascendance guyanaise et, à l’instar de ses pairs, il observe la terre de ses ancêtres par le truchement de la relation complice qui se noue sous nos yeux entre le jeune Melrick et sa grand-mère Nicole. Dénuée de tout conflit, la relation intergénérationnelle est ici emplie de respect mutuel, de bienveillance, de compréhension, le tout teinté d’humour. Quand Melrick se confie sur une fille qu’il a rencontrée sur les réseaux, sa grand-mère lui dit que de nombreuses histoires d’amour ont commencé à l’âge du collège. Melrick rétorque aussitôt : « C’était à ton époque ! Peut-être qu’elle m’a trouvé beau sur ma photo mais elle fait la même chose avec un autre ! » Les doutes existentiels restent les identiques mêmes si les supports de communication ont changé.
Naviguant entre fiction et documentaire, la caméra de Maxime Jean-Baptiste nous dévoile l’adolescent avec ses potes qui jouent au foot pieds nus, de jour comme de nuit, comparant sur leurs téléphones portables des paires de chaussures et s’extasiant sur les marques puis dissertant sur les différences climatiques entre la Guyane et la France. Melrick annonce doctement : « Là-bas, il y a trop de saisons. Il y a le soleil, il pleut, il grêle ! »
Le fantôme de Lucas est omniprésent, y compris dans la rue où il a été poignardé : sur un mur, des jeunes peignent son portrait. Nicole et l’ami de Lucas, Yannick, qui avait tenté de contenir le meneur des assaillants, se rendent sur le lieu de l’assassinat pour lui rendre hommage : les sanglots affluent ; onze ans après, l’émotion est intacte. Grâce aux images d’archives, le public cerne de plus en plus précisément le drame qui s’est déroulé onze plus tôt. Un extrait du téléjournal de l’époque nous apprend que, en 2012, Lucas Diomar, dix-huit ans, est brutalement assassiné lors d’une soirée d’anniversaire dans un quartier de Cayenne. Dix ans plus tard, Yannick son meilleur ami, grièvement blessé lors de cette soirée, revient en Guyane pour la première fois afin d’assister à une commémoration en l’honneur de Lucas. Au même moment, Arisnel, le meurtrier, sort de prison. Autour du jeune homme assassiné gravitent trois familles détruites. Kouté vwa livre une tragédie contemporaine qui se déroule en Guyane mais qui pourrait se passer sous d’autres horizons. Le message que livre le film est universel tout comme les voies que suivent les personnages pour faire un deuil qui semble impossible.
Le cinéaste observe mais ne juge pas. Il suit ses protagonistes, sublimés par la photographie signée Arthur Lauters, avec un esprit humaniste et respectueux quel que soit le sujet abordé, en particulier quand Nicole explique son cheminement pour pardonner aux meurtriers de son fils, soutenue par sa foi indéfectible. Nicole pose un regard franc et lucide sur le monde, sur les jeunes qui ont ôté la vie à son fils et qui s’amusent en toute quiétude en sirotant des bières. Il est ici questions de transmission quand la grand-mère confie à son petit-fils sa colère, sa révolte mais aussi le pardon qu’elle a su accorder pour être en paix avec elle-même. Quand elle dit à Merlick qu’il faut pardonner, elle lui fait aussi comprendre que l’oubli est impossible. La communauté reste soudée et se réunit régulièrement pour rendre hommage au jeune homme, batteur prometteur. D’ailleurs, Nicole passe le flambeau à son petit-fils qui se passionne pour les percussions. La transmission s’effectue par le bais de la musique, sur les sonorités des percussions du Mayouri Tchô Nèg Band. Au fur et à mesure des conversations, Nicole distille sa sagesse à son petit-fils qui apprend à connaître cet oncle en suivant ses traces en battant le rythme des percussions.
Poursuivant son travail qui sonde l’histoire coloniale, en mettant une attention particulière sur la question des archives et de la reconstitution des mémoires, Maxime Jean-Baptiste recourt à ces mêmes instruments pour brosser ce portrait intimiste entre une grand-mère et son petit-fils réunis par le destin tragique de Lucas comme emblème de résistance.
À l’instar de ses acolytes cinéastes, le cinéaste sonde la violence qui sévit en Guyane. D’autres images d’archives montrent Nicole qui livre un message de paix au journaliste qui l’interroge : « Nous sommes de passage sur la terre. Il y a trop de violence en Guyane. Il faut que les jeunes comprennent qu’il fait arrêter de vouloir marquer son territoire. Trop de jeunes quittent la Guyane à cause de la violence. »
Né en 1993, Maxime Jean-Baptiste est basé à Bruxelles et Paris. Il a grandi dans le contexte de la diaspora guyanaise et antillaise en France. En tant que cinéaste, il explore la complexité de l’histoire coloniale occidentale en détectant la survivance des traumatismes passés dans le présent. Son travail audiovisuel et performatif se concentre sur les archives et les formes de reconstitution comme opportunité de concevoir une mémoire vivante et incarnée.
Maxime Jean-Baptiste souligne ses intentions :
« Dans Kouté vwa, j’ai essayé de documenter au plus près la réalité des protagonistes tout en créant une fiction qui serait une réflexion sur la persistance de la violence dans un territoire marqué par l’histoire de l’esclavage transatlantique. »
Firouz E. Pillet, Locarno
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