Mostra 2024 : projeté dans la section Orizzonti Extra, Vittoria, d’Alessandro Cassigoli et de Casey Kauffman, suit une mère de famille dans son périple pour adopter une fillette
Tourné dans un style documentaire sobre et basé sur des événements réels, Vittoria met en vedette des actrices et acteurs non professionnel.les qui décrivent leur propre vie en plongeant le public dans les complexités de la dynamique familiale et les désirs a priori irrationnels de la psyché humaine.
Jasmine, coiffeuse napolitaine d’une quarantaine d’années, semble avoir tout pour elle : un mari dévoué, trois fils aimants et son propre salon de coiffure prospère. Cependant, après le décès de son père, elle est hantée par un rêve récurrent qui fait naître en elle un désir intense d’avoir une fille. Dans ce rêve, Jasmine voit une fillette courir vers elle pour se blottir dans ses bras : cette image lui procure un profond sentiment de plénitude et d’épanouissement qu’elle souhaite concrétiser. Elle décide donc d’entamer les démarches pour déposer un dossier d’adoption. Sondant l’opinion de son fils aîné en premier, elle déclenche la colère de son mari quand il découvre le projet de sa femme, mais il finira par l’accepter. Jasmine se lance alors la tête première dans le monde complexe de l’adoption internationale.
Marilena Amato, connue sous le nom de Jasmine, est devenue un personnage secondaire caméléon dans le précédent film du tandem de cinéastes, Californie. Marilena avait raconté son histoire personnelle aux deux réalisateurs et Cassigoli et Kauffman retournèrent à Torre Annunziata pour proposer à Jasmine et à sa famille de jouer eux-mêmes dans ce nouveau projet.
Vittoria explore les arcanes familiaux dans un contexte culturel où la tradition demeure la règle. On voit d’ailleurs Jasmine assister à une procession dans les rues de Naples. Tandis que Jasmine et sa sœur Anna, que l’on voit amener des fleurs sur la tombe paternelle, attendent une indemnisation pour la mort de leur père, tué par une tumeur après des années de travail à l’aciérie de Bagnoli, Rino rêve d’ouvrir un atelier de menuiserie à Capri. Le fils aîné Vincenzo, avec qui la mère entretient une relation complice, se montre prudent mais positif quant à l’éventuelle arrivée d’une petite sœur.
Le film présente les véritables individus qui ont vécu cette expérience, capturant leur histoire avec un style cinématographique singulier qui place le public aux premières loges. Tout au long de ce processus d’adoption, la famille entière est en crise, jusqu’à ce qu’ils réalisent enfin que la seule issue est d’être ensemble. Le public voit le couple se disputer, s’emporter, se réconcilier et discuter pour surmonter tous les obstacles et les préjugés culturels. Avec sincérité, Jasmine et Rino se dévoilent devant la caméra d’Alessandro Cassigoli et de Casey Kauffman, avançant avec leurs espoirs, leurs doutes, leurs déceptions passagères sur le chemin bureaucratique exigeant, psychologiquement éprouvant et économiquement lourd de l’adoption internationale. Le couple doit aussi apprendre à accepter les réticences et les réactions d’une enfant dont on ne connaît pas le passé, peut-être de maltraitance, et qui n’a sans doute jamais reçu ni de marques d’affections ni de câlins.
Après Butterfly (2018) et California (2021), lauréat du Label Europa Cinemas aux Giornate degli Autori 2021, les réalisateurs Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman reviennent donc avec un nouveau documentaire. Le point de départ est toujours le même : la localité de Torre Annunziata, au Sud de Naples. On s’interroge pourquoi cet endroit magnétise à ce point le tandem de cinéastes. Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman soulignent :
« Nous sommes allés à Torre Annunziata pour faire notre premier film, mais nous ne nous attendions pas à faire un film après ça. Aujourd’hui, des années plus tard, nous avons une trilogie. Mais ce n’est pas comme si nous avions décidé de faire tous les films là-bas. Et nous n’avons même pas pris nos décisions en fonction des thèmes du film et de l’histoire elle-même, mais c’est grâce aux gens que nous avons rencontrés sur place. »
Après avoir passé quinze ans à faire des documentaires avant de commencer à faire du cinéma de fiction, leur approche reste liée à la réalité. Le duo de cinéastes aime les vraies personnes et aime travailler avec elles, ce qui se ressent intensément dans Vittoria qui raconte une histoire d’adoption d’un point de vue nouveau. Dans ce film, les réalisateurs ne se concentrent pas sur l’arrivée de l’enfant dans une nouvelle cellule familiale mais sur ce qui se passe en amont, entre attente, espoir et bureaucratie. Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman« commentent :
« Quand nous avons entendu Marilena – qui est Jasmine dans le film – et son histoire, cela a eu un grand impact sur nous. Nous avons immédiatement commencé à rechercher les films qui existent sur l’adoption. Et la majorité d’entre eux le sont soit au moment où l’enfant arrive dans la famille et comment cela change la dynamique, soit il peut s’agir d’un enfant adopté qui essaie de partir à la recherche de ses racines culturelles ou de ses parents biologiques. Nous n’avons vraiment pas pu trouver grand-chose sur le processus qui s’est produit auparavant. Nous ne connaissions rien de ce monde et nous avons donc dû apprendre beaucoup de choses. Mais je pense qu’à un niveau plus large, ce qui nous a le plus attiré dans l’histoire n’était pas l’adoption elle-même. C’était l’idée d’une femme ayant une idée qui n’était pas vraiment logique. Cela était considéré comme irrationnel par de nombreuses personnes et elle était considérée comme folle par ses amis et sa famille. Mais elle avait envie de suivre cet instinct. ».
Sans voyeurisme, on suit l’évolution d’une famille unie, qui accepte ce besoin maternel même si le contexte dans lequel elle vit n’est pas complètement favorable à ce choix.La sincérité et l’authenticité des membres de cette famille convainc le le public et l’invite à poursuivre sa réflexion bien au-delà du générique de fin.
Firouz E. Pillet
© j:mag Tous droits réservés