One to One: John & Yoko, de Kevin Macdonald et de Sam Rice-Edwards, livre un portrait immersif du couple d’artistes emblématiques des années septante
Le tandem de cinéastes invite à une immersion vertigineuse et rythmée dans la période radicale de 1971 à 1973 de John Lennon et Yoko Ono, emplie de militantisme, d’humanité, d’intimité, dotée d’une excellente musique.
© 1970 Yoko Ono Lennon
Petit-fils du cinéaste Emeric Pressburger et frère du producteur Andrew MacDonald, le réalisateur et documentariste écossais Kevin Macdonald travaille aussi comme scénariste et producteur. Il a commencé sa carrière de documentariste à succès, qui culmine avec Un jour en septembre (1999) sur la prise d’otages de onze athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich, et La Mort suspendue (2003), adaptation du livre Touching the Void de l’alpiniste Joe Simpson, publié en 1988. Kevin Macdonald passe à la fiction en signant le biopic Le Dernier Roi d’Écosse (2006), un succès critique et commercial. Son coréalisateur, le Britannique Sam Rice-Edwards, a longtemps œuvré comme chef opérateur, et est passé à la réalisation depuis quelques films.
Le tandem de cinéastes entraîne le public à la fin de l’année 1971 quand John Lennon et Yoko Ono quittent définitivement Londres pour s’installer à New York dans le quartier de Greenwich Village. Ils fréquentent alors de nombreux artistes, militants et activistes, et s’impliquent dans des causes sociales et politiques. Lors d’un échange radiophonique avec les auditeur·trices, John Lennon répond à un auditeur qui l’interroge sur les Beatles : « Les Beatles n’existent plus. Je ne veux pas ressusciter le passé. Je veux être John Lennon. »
Dès l’ouverture du film, une succession d’images de la frénésie artistique de l’époque, couleurs psychédéliques à l’appui, donne le ton qui se veut à la fois un album pop-up fascinant sur une période de la vie de ce couple d’artistes, mais aussi une fresque kaléidoscopique de la société du début des seventies et un portrait convaincant de personnes essayant de construire un nouveau chapitre pour la société, luttant contre les injustices et le racisme. Un extrait montre d’ailleurs John Lennon et Yoko Ono déclarant que le couple souhaite être les « Jesse James » des temps modernes afin de redistribuer les richesses aux plus démunis.
Le documentaire met en lumière un passage crucial dans la vie commune de John Lennon et Yoko Ono. une période où l’ex-Beatle tâtonnait à travers les applications de sa célébrité et comptait sur sa femme et collaboratrice artistique comme étoile polaire pour le guider. On voit le couple solliciter la justice pour que Yoko, qui n’a plus vu depuis deux ans sa fille, Kyoko Ono Cox âgée de huit ans, puisse obtenir un droit de garde.
Apportant un regard profond et révélateur sur les dix-huit mois que John Lennon et Yoko Ono ont passés à Greenwich Village au début des années 1970, le documentaire devait proposer un angle novateur face aux nombreux films sur les deux artistes. One To One: John & Yoko offre une expérience cinématographique immersive qui donne vie à des séquences électrisantes et inédites, ainsi qu’à des images récemment restaurées du concert caritatif à Madison Square, le seul concert complet de Lennon après la mort des Beatles. Avec une bande-son remasterisée époustouflante, supervisée par leur fils, Sean Ono Lennon, le film revisite des éléments connus de la vie du couple mais apporte aussi une révélation sismique qui remettra en question les idées reçues sur ce couple emblématique.
Outre le célèbre concert de Madison Square, on voit aussi un extrait du concert où John Lennon chante à Miami Beach, auprès d’autres manifestant·es, pour dénoncer la réélection de Nixon. En commençant son concert en déclarant « Puisque le pacifique Flower Power n’a pas fonctionné, on va le faire en chantant »; le chanteur britannique entonne alors sa chanson John Sinclair pour rendre hommage au poète, interprète, auteur et activiste, alors emprisonné. Quant au militantisme du couple, les extraits d’émissions télévisées choisis sont particulièrement judicieux. Même quand il ne s’agit pas de la politique intérieure de Nixon ou de la guerre au Vietnam, John Lennon n’hésite pas à s’affirmer face au président américain, comme sur le plateau du Sonny & Cher Show où il s’exclame : « Cher est une très belle femme et si le président pense le contraire en la traitant de « ugly woman », il n’a pas à le dire publiquement. »
En déterrant des documents d’archives fascinants pour offrir un nouvel aperçu de l’un des couples les plus emblématiques de la culture populaire, le duo de cinéastes a peut-être voulu tout montré dans une avalanche d’extraits d’émissions radiophoniques et télévisées, ponctuées de reportages où des Afro-Américain·es remercient un politicien blanc de prendre la défense de leurs droits, lui serrant la main et le bénissant, mais aussi de publicités de l’époque qui surprennent et qui ont peut être été insérées par les réalisateurs pour plonger le public dans l’atmosphère de cette époque en ébullition de la fin des Trente Glorieuses.
© Brian Hamill
One to One: John & Yoko se déroule donc en 1972, juste après l’installation de John et Yoko à Greenwich Village. John est enchanté par New York, et on aperçoit leur célèbre lit dans leur deux-pièces. Le couple plaisante d’ailleurs sur la sainteté de leur lit nous laissant entrer dans leur intimité. Des extraits d’entretiens téléphoniques sont diffusés alors que l’écran est noir, indiquant en lettres fluo les interlocuteurs et les conversations. Dans une conversation de Yoko avec le photographe Ian Macdonald, elle lui confie : « Je suis à nouveau enceinte. J’ai fait trois fausses couches. J’ai vécu du harcèlement et du racisme quand on vivait en Angleterre. J’ai même reçu une poupée en caoutchouc couverte d’aiguilles. »
Une autre conversation téléphonique de Yoko dénote que la compagne de John Lennon ressent le besoin de se légitimer : « Les gens me traitaient de sale japonaise, me tiraient les cheveux, me frappaient à la tête. C’est à cause de Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr qui me tiennent pour responsable de la dissolution du groupe des Beatles et s’épanchent dans la presse. Mais moi, vous ne m’avez jamais entendu critiquer ces artistes. »
On s’étonne de l’attitude de Yoko Ono dont ce sentiment de persécution semble plus relever de son impression, un brin paranoïaque, que de la réalité alors que l’on constate que John Lennon insistait pour que Yoko soit toujours présente à ses côtés, sur tous les plateaux télévisés, à la radio et y compris dans les sessions d’enregistrement en studio. Pourtant, avec les multiples casquettes que cumule Yoko Ono en tant que plasticienne, poétesse, performeuse, musicienne, chanteuse, compositrice, écrivaine, comédienne et cinéaste, elle n’avait pas de quoi se victimiser. Et pourtant, certains extraits montrent cet aspect méconnu de l’artiste.
Le documentaire monte que, dès le concert One to One, John et Yoko s’impliquent activement dans le mouvement pacifiste. Lors d’une assemblée, on voit Yoko Ono interpeller directement le président Nixon ainsi : « Monsieur le Président, vous allez à la messe le dimanche et vous invoquez Jésus Christ. Mais si Jésus Christ était parmi nous aujourd’hui, il vous direz d’arrêter de lâcher des bombes sur des être humains, sur des animaux, sur la végétation. »
Le film met tout particulièrement en lumière l’état des États-Unis, entre le Mouvement Black Power, l’implication du gouvernement dans la guerre du Vietnam et le président Nixon, source de divisions dans la société américaine. La prise de position du couple contre le président américain lui vaudra un avis d’expulsion pour « détention de marijuana », qui entraînera la déportation du couple d’artistes en cas de non respect de la décision. Mais John Lennon le répète haut et fort dans les émissions radiophoniques et télévisées : « Nous n’avons pas l’intention de quitter les États-Unis. »
Les mois capturés dans le documentaire ne représentent peut-être pas vraiment la plus grande période créative de John Lennon, mais surtout la vitesse à laquelle il évolue, l’excitation et l’énergie qu’il ressent, ainsi que le courage de son parcours personnel sont une source d’inspiration.
Les fans savent que The Ballad of John and Yoko, chanson du groupe de rock anglais The Beatles, est sortie en single hors album en mai 1969. Côté collaboration musical du couple d’artistes, Unfinished Music No. 1: Two Virgins est le premier des trois albums expérimentaux collaboratifs de John Lennon et Yoko Ono, fruit d’une nuit d’expérimentation musicale avec Yoko dans le home-studio de John à Kenwood, pendant les vacances de sa femme, Cynthia Lennon.
Il faut souligner que la bande-son de One to One: John & Yoko comporte de nombreux titres que John Lennon chantait immédiatement après l’époque des Beatles, comme Come together (1969), Mother (1970), Imagine (1971), ici remisés par le fils du couple, Sean Ono Lennon qui a puisé dans les cassettes de l’époque.
Abstrait dans sa présentation, mais immersif dans son effet, One To One: John & Yoko capture l’aura d’une période chaotique pour le couple, à la fois personnellement et professionnellement, alors que le couple luttait pour trouver sa place dans un monde compliqué. Bien que le film couvre une période fascinante de la vie des deux artistes, le documentaire est un brin affaibli par des choix stylistiques avant-gardistes, certainement choisis pour récréer les films et clips vidéo de l’époque, qui peuvent rendre le contexte du film difficile à suivre pour les néophytes.
Même si le récit semble parfois digressif, le documentaire de Kevin Macdonald et de Sam Rice-Edwards capture de manière vivante un moment où les musiciens faisaient partie intégrante du dialogue dans une période de division sociale et politique nationale extrême. Malgré des échappatoires évidentes, il offre un aperçu fascinant de la façon dont des artistes parmi les hommes et les femmes les plus célèbres de la planète ont cherché à utiliser leur influence pour obtenir des changements dans la société comme à l’international.
Précisons que le film a été classé R, une classification des films en vigueur aux États-Unis, qui implique que les mineur·es de dix-sept ans et moins soient accompagné·es par un·e adulte pour voir ce documentaire épinglé pour « nudité explicite, violence, consommation de drogue et langage grossier ». Pour un public européen, cette classification n’a pas lieu d’être.
Si vous êtes fan de John Lennon et Yoko Ono, ce documentaire vous ravivera. Si le couple d’artistes ne vous fait pas vibrer, le film de Kevin Macdonald et de Sam Rice-Edwards apporte un regard intéressant sur l’effervescence créative et les mouvements politiques du début des années 1970.
Firouz E. Pillet
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