Plus que quelques jours pour visiter l’exposition temporaire du MIR (Musée international de la Réforme) : Calvin en Amérique jusqu’au 2 mai 2021
Malgré 2 prolongations, le temps pour visiter la passionnante exposition Calvin en Amérique a été compté suite aux nombreuses fermetures pour cause de semi-confinement. Malheureusement, elle ne peut plus être prolongée, certains des 25 objets prêtés par 17 institutions muséales étasuniennes devant impérativement retourner à leur lieu d’attache. Parmi ces objets le plus ancien livre d’histoire jamais écrit en Amérique, les poèmes de la première écrivaine noire du pays ou la sacoche authentique d’un prédicateur méthodiste itinérant parcourant les États-Unis à cheval au 19e siècle, ainsi que les quatre fameuses affiches de Norman Rockwell, à propos des libertés fondamentales qu’il convenait de défendre en Amérique au moment de la Seconde Guerre mondiale.
La scénographie de cette exposition joue avec habilité des contraintes du lieu, le MIR étant situé à la Cour Saint-Pierre dans la Maison Mallet – construite au 18e siècle sur l’emplacement du cloître de Saint-Pierre où fut votée la Réforme à Genève en 1536 –, et intègre l’exposition temporaire à l’exposition permanente (treize salles qui proposent un parcours chronologique du 16e au 21e siècle), sans la surcharger. Pour les visiteurs qui connaissent le lieu, Calvin en Amérique se visite de manière fluide en passant des pièces dédiés au reste du musée de manière claire et rapide, tout en permettant de s’arrêter devant des pièces exposées de manière permanente qui pourraient faire écho à l’expérience nouvelle et des nouvelles connaissances produites par l’exposition temporaire. Pour celles et ceux qui découvrent le musée, la visite se fait de manière parfaitement complémentaire et permet quelques respirations outre-Atlantique dans la richesse des objets, manuscrits, tableaux et gravures que le MIR expose pour illustrer les spécificités de la Réforme, son origine, son histoire, son évolution, l’influence qu’elle a exercée sur la vie politique, culturelle, sociale et religieuse de Genève, de la Suisse et du monde.
1620 – 2020, Calvin en Amérique
En novembre 1620, le Mayflower, vaisseau marchand parti de Plymouth, en Angleterre, débarque dans le Massachusetts avec, à son bord, les Pilgrims fathers, les Pères Pèlerins. Ces derniers sont des réformés à la recherche d’une terre où exercer librement leur religion.
Cette expédition est le point de départ de Calvin en Amérique : 400 ans plus tard, que reste-t-il de l’héritage de ces premiers protestants arrivés en Amérique du Nord ? Quelle est, de nos jours, l’identité religieuse des États-Unis ? C’est ce que questionne le MIR à travers cette exposition.
Le fameux Mayflower, dont les passagers sont à l’origine de l’une des fêtes, si ce n’est la fête la plus importante pour les Étasuniens, Thanksgiving, célébrée en mémoire des trois jours d’action de grâce que le gouverneur William Bradford décréta à l’automne 1621 pour fêter la première récolte des colons, a une importance immense dans l’imaginaire collectif et culturel étasunien ; sa place centrale dans l’exposition est à cet égard tout à fait justifiée, d’autant plus qu’elle permet d’intégrer aux outils muséaux du MIR la VR (réalité virtuelle) avec un voyage de 5 minutes qui permet de passer quelques instants sur le Mayflower avec les premiers colons. Intégrer la réalité virtuelle est devenu pour les musées un élément d’attraction qui peut avoir son revers si l’expérience n’est pas à la hauteur du projet. Le musée a eu la bonne idée de faire appel à la société genevoise Artanim qui avait déjà produit l’exposition virtuelle Genève 1850 à la Maison Tavel, et c’est une réussite. Le voyage commence au pied du Mur des Réformateurs, devant le bas-relief américain du Pacte du Mayflower (The Mayflower Compact). On y voit les passagers du fameux bateau en train de signer un accord d’appui mutuel considéré par de nombreux spécialistes comme le premier acte politique des États-Unis. Sa présence sur le Monument de la Réformation obéit au programme iconographique de son concepteur, Charles Borgeaud, qui voulait notamment y montrer le rôle de la Réforme dans l’avènement des démocraties. Concernant le Mayflower Compact, il écrivait que
« nul texte historique et juridique n’a paru plus propre à rappeler les origines de la théorie du contrat social. Il met en lumière le lien moral qui unit la cité de Calvin et de Rousseau à la puissante démocratie américaine »
(Faire le Mur ?, Musée d’Art et d’Histoire, mare & martin, 2017).
En quelques secondes, le spectateur passe du Mur au pont et à l’entrepont du bateau, parmi des passagers, avec des explications historiques et géographiques en exergue.
Calvin en Amérique propose quatre entrées dans cette exploration des relations entre la Réforme et les États-Unis :
Une installation, intitulée 23 fois l’Amérique, présente soixante documents, tableaux, objets, livres, éléments statistiques et témoignages audio-visuels, le tout accompagné de textes explicatifs abordant les thématiques (Amish, prédication, Amérindiens, esclavagisme, abolitionnismes, les bibles, etc.) par ces illustrations ; dans une petite salle adjacente sont exposées les affiches de Norman Rockwell, Les quatre libertés.
Une enquête statistique sur la comparaison relative à la croyance entre les États-Unis et la Suisse a été spécialement conçue pour cette exposition. Elle révèle notamment l’écart significatif entre la religiosité des Américains et des Helvètes. Deux exemples : 55% des Étasuniens contre 20% de Suisses croient en l’existence de Dieu ; si moins d’un Suisse sur 10 assiste chaque semaine à une cérémonie religieuse, ils sont près de 30% à le faire aux États-Unis.
Dans le cabinet de musique, à la place des neufs cantiques protestants de l’exposition permanente, le visiteur peut entendre des morceaux clefs de l’histoire spirituelle du pays, allant de 1548 à 2015, avec notamment des musiques d’origine quakers, le célébrissime cantique Amazing Grace, un morceau à la gloire de Jésus par le rockeur country-folk Johnny Cash ou de la musique pop évangélique.
Dans la magnifique architecture du sous-sol du Musée avec ses pierres et voûtes d’origines apparentes, tout au fond, dans la 21e salle, place au cinéma – le 7e art étant comme on le sait un domaine artistique quasi consubstantiel de l’Amérique. Introduits et commentés par l’actrice genevoise Isabelle Caillat, plusieurs extraits de films parmi lesquels ceux des Dix commandements (dans sa version de 1923 de Cecil B. DeMille), des Raisins de la Colère, de Little Big Man (Arthur Penn, 1970) ou de l’hilarante scène des frères Joel et Ethan Coen de O Brother, Where Art Thou? (2000) avec Ulysses Everett McGill (George Clooney), Pete (John Turturro) et Delmar (Tim Blake Nelson), trois repris de justice, qui tombent dans leur cavale sur une scène de baptême par immersion organisée par une communauté baptiste au bord d’une rivière, scène qui électrise Pete qui se précipite dans les bras du pasteur afin d’effacer tous ses péchés. Ces huit extraits de films offrent autant de variations visuelles et familières sur la diversité et les traits communs de la religion aux États-Unis.
Dans d’autres secteurs du musée, le public peut découvrir également lors de son parcours des témoignages audiovisuels sur l’influence du protestantisme et de la religion aux États-Unis.
À propos du protestantisme aux États-Unis, l’historienne Beth Hessel, commissaire étasunienne de l’exposition à côté des deux autres commissaires du musée, Samantha Reichenbach et Hanna Woodhead, souligne :
« L’éthique protestante façonne les cultures relatives au comportement personnel, au travail, à l’éducation et au système judiciaire. Historiquement, le rapport de Calvin aux immigrants et sa contribution à l’éducation universelle ont exercé une influence certaine sur les pratiques américaines. L’« éthique protestante du travail » favorise l’esprit d’entreprise et les longues semaines de travail ! Dans le pire des cas, la quête de pureté des protestants engendre l’intolérance. »
Propos qu’elle complète avec ce commentaire sur la liberté :
« En Amérique, il existe une tension entre la liberté universelle et le désir d’imposer ses propres croyances aux autres. Les États-Unis se battent avec ce droit pour chacun à « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur ». Nos ancêtres puritains nous rappellent que la liberté doit composer avec le respect des droits de chaque individu. »
Rappel qu’il est utile de faire, de ce côté comme de l’autre de l’Atlantique…
Malik Berkati
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