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The Pink Cloud (A Nuvem Rosa) de la Brésilienne Iuli Gerbase : catharsis rose pour un confinement long !

Si le film était sorti juste après son tournage, on l’aurait qualifié de romance dramatique de science-fiction, mais le film sort à présent sur nos écrans personnels après avoir été présenté au Festival de Sundance et avoir remporté le Grand Prix du 25e Festival international du Film de Sofia. La réalisatrice Iuli Gerbase prend d’ailleurs bien soin, dès la première image de nous dire que le film a été écrit en 2017 et tourné en 2019 et que « toute ressemblance avec des événements actuels est pure coïncidence ». Cet avertissement est plus que bienvenu, tant ce qu’il raconte colle avec âpreté à notre réalité captive depuis le mois de mars 2020 ! Que les cinéastes possèdent ce don de Zeitgeist n’est plus à démontrer, mais une telle prescience de la jeune réalisatrice brésilienne est bluffant !

— Renata de Lélis – The Pink Cloud (A Nuvem Rosa)
© trigon-film.org

Imaginez : un beau matin, un nuage rose apparaît dans les cieux terrestres. Un très beau nuage qui pastellise l’horizon ; d’ailleurs, sur une musique atmosphérique, une jeune femme qui promène son chien sur une jetée le regarde le sourire aux lèvres… avant de s’effondrer. C’est que le joli nuage rose (tout comme est très jolie la représentation 3D de notre nouveau coronavirus) éteint toute vie en quelques secondes. Branle-bas de combat dans le monde entier, les sirènes d’alerte passe le message aux habitants : fermer toutes les fenêtres et portes, ne pas sortir de là où on se trouve jusqu’à nouvel ordre. Certain.e.s se retrouvent coincés à la boulangerie ou au supermarché, d’autres sur leur lieu de travail, chez des ami.e.s ou chez eux – seul.e.s ou en famille. Et Giovana (Renata de Lélis ) et Yago (Eduardo Mendoça) qui se sont rencontrés la vieille pour une aventure d’un soir se retrouvent confinés ensemble dans le vaste duplex de Giovanna. Très vite il devient évident que la situation va durer, les autorités installent alors des sas hermétiques aux fenêtres des habitants qui peuvent se faire livrer le nécessaire par drones.

Une impression de déjà-vu/vécu ? Pour ceux qui auront regardé le film de Ai Weiwei, Coronation, avec cette fermeture subite et stricte de toute une ville, Wuhan, ces livraisons de paquets, cette technologie qui cherche à pallier l’impossibilité de contact direct, c’est évident pour le vu. Pour le vécu, pas besoin d’aller si loin, nous y sommes encore en plein dedans ! Mais le film de Iuli Gerbase n’est pas une seule description d’une situation exceptionnelle et, à l’époque de son écriture, improbable. Il y a également, dans ce huis clos qui ne s’ouvre sur l’extérieur qu’à travers les écrans de téléphones, ordinateurs, télévisions, un furtif mais éloquent rappel de la structure de la société dans ses rapports de classes, Giovana et Yago étant confinés dans un bel appartement, le père de Yago ayant un infirmier à domicile alors que d’autres se retrouvent à camper dans les rayons de supermarchés, se battre entre eux pour cause de promiscuité, comme dans des favélas, ou, la petite sœur de Giovanna qui passe de l’enfance à l’adolescence dans la famille d’une de ses amies dont le père va se servir allègrement dans le vivier de jouvence des fillettes qui étaient venues ce fameux jour pour une pyjama party.

Rapidement s’installe l’angoisse, les disputes dans les familles, au sein de la classe politique, les choses s’emballent sur les réseaux sociaux, mais le plus angoissant est de ne pas savoir combien de temps cela va durer. Néanmoins, à mesure que la réalité d’un confinement long s’installe, c’est une introspection sur les sentiments qui traversent le couple (campé avec force par ses deux interprètes) par rapport à leur place dans la société qui s’ouvre, avec deux parcours individuels qui, par la force des choses, se lient, se croisent mais ne s’accordent pas dans le fond. Giovana chérit sa liberté, son indépendance et ne compte pas s’inscrire dans un modèle attribué par la société qui veut qu’un jour elle se marie, ait des enfants et vive une petite vie bien rangée et ordonnée. Elle s’accommode de la présence de Yago, développe des sentiments mais n’attend qu’une chose : la disparition du nuage et le déconfinement. Yago lui est sur une ligne plus classique, pépère de la vie : être marié et avoir deux enfants synonymes de belle petite vie tranquille et l’assurance d’avoir quelqu’un.e qui s’occupe de soi quand on devient vieux. À partir de ce moment-là, une fois la prémisse installée, l’histoire s’affranchit de la logique du réel et de l’espace-temps pour distiller ces dissonances entre les protagonistes et leurs visions du monde : alors que Yago s’accommode avec pragmatisme et un certain contentement de cette situation, centré sur lui et sa nouvelle famille, Giovana est constamment en lutte avec elle-même et l’apparente satisfaction de Yago, oscille entre résignation et révolte ; elle regarde ce monde extérieur qui ne tourne plus rond, s’en inquiète, s’insurge, se sent faire partie de ceux qui en souffre. Et surtout elle se refuse à être la femme parfaite que définit une société de conventions. À sa manière, seule contre le nuage rose, elle mène une lutte féministe prônant son droit à l’individualité, à ses désirs et à l’autodétermination.
Plus généralement, au-delà de cette plaie qui frappe la terre, on peut y voir une réflexion sur la chape dans laquelle nous sommes psychologiquement et politiquement maintenus, hors considération pandémique, pour installer des moyens d’organisation qui nous placent dans des bulles de dépendance ultralibérale et de contrôle étatique.

Renata de Lélis et Eduardo Mendoça – The Pink Cloud (A Nuvem Rosa)
© trigon-film.org

Le film aurait-il aussi bien fonctionné sans notre expérience de pandémie ? On se serait peut-être dit que le propos et sa mise en scène sont trop facile, exagérés, mais non, une fois de plus se confirme l’adage sur la réalité qui dépasse la fiction, même si ici, bien entendu, le Covid-19 est – attention il faut se pincer pour écrire et lire ce qui va suivre – éminemment plus sympathique, du moins à date, que ce velouté de nuage rose qui tue en 10 secondes.  Du coup, The Pink Cloud, au contraire de certains films qui commencent à sortir sur nos petits écrans et nous rappelle encore et encore ce que nous avons vécu depuis une année et continuons à vivre, n’est pas pénible à voir, un peu long peut-être avec quelques baisses de régime dans les différentes phases de vie qui s’étalent sur plusieurs années, mais il officie réellement comme une catharsis en espérant que nous nous pourrons bientôt ouvrir la fenêtre et à nouveau respirer.

De Iuli Gerbase ; avec Renata de Lélis, Eduardo Mendoça, Kaya Rodrigues, Girley Paes, Helena Becker ; Brésil ; 2021 ; 103 minutes.

À voir à partir du 8 avril 2021 sur la plateforme suisse de films à la demande filmingo.ch

Malik Berkati

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