Saint-Ex, de Pablo Agüero, une traversée héroïque de la Cordillère des Andes au nom de l’amitié
Le réalisateur franco-argentin porte sur grand écran un épisode dramatique de la vie de l’auteur du Petit Prince, un livre important dans sa bibliothèque d’enfant.
L’aviateur et écrivain français a beaucoup inspiré, symbolisant le rêve de Pégase devenu réalité. On se souvient du film Saint-Ex (1995), de Anand Tucker, avec Bruno Ganz en tête d’affiche. Contrairement à ce film, Pablo Agüero ne choisit pas de retracer toute la vie de Saint-Exupéry mais se penche sur un épisode précis de sa carrière de pilote.
En 1930, Antoine de Saint-Exupéry (Louis Garrel) est pilote de l’Aéropostale en Argentine et a été nommé chef d’exploitation de la compagnie en Argentine en 1929. Quand, l’année suivante, Henri Guillaumet (Vincent Cassel), son meilleur ami et le meilleur pilote de l’Aéropostale, disparaît dans la Cordillère des Andes, Saint-Ex décide de partir à sa recherche et survole pendant cinq jours d’affilée ces montagnes, redoutables et redoutées, pour le retrouver. D’après les dernières transmissions radiophoniques à la tour de contrôle, Guillaumet est pris dans une tempête de neige et échoué avec son avion à plus de 3 200 mètres d’altitude. À la base aéroportuaire, la femme de Guillaumet, Noëlle (Diane Kruger, affichant avec classe une coupe de cheveux atemporelle, inspirée par l’élégance d’Anne Lindbergh, portant un ensemble en cuir gris brillant et un bonnet-casque rétro) le soutient dans cette mission contre l’avis du directeur (Benoît Magimel) dont on n’entend que les injonctions par transmission radio. Pablo Agüero, qui a grandi avec Le Petit Prince comme livre de chevet, a choisi de porter sur grand écran cette quête impossible qui oblige Saint-Exupéry à se dépasser, en faisant de sa capacité à rêver sa plus grande force…
« Ainsi les trois avions postaux de la Patagonie, du Chili et du Paraguay revenaient du sud, de l’ouest et du nord vers Buenos Aires. On y attendait leur chargement pour donner le départ, vers minuit, à l’avion d’Europe. Trois pilotes, chacun à l’arrière d’un capot lourd comme un chaland, perdus dans la nuit, méditaient leur vol, et, vers la ville immense, descendraient lentement de leur ciel d’orage ou de paix, comme d’étranges paysans descendent de leurs montagnes. »
Cet extrait de Vol de nuit (Gallimard, 1931) pourrait résumer parfaitement l’intrigue du film.
Un long voyage commence pour Saint-Exupéry par un temps exécrable où la raison voudrait que les avions restent posés sur le tarmac. Mais, au nom de l’amitié intense entre Antoine de Saint-Exupéry et Henri Guillaumet, une relation que d’aucuns qualifient de bromance, Saint-Ex s’élance et s’envole contre vents et tornades, entraînant dans sa caravelle le public qui affronte avec le téméraire pilote cumulus, trous atmosphériques et coups d’éclair.
Les clins d’œil à l’œuvre de Saint-Exupéry écrivain sont nombreux : le pilote ne lâche jamais son carnet de notes et son crayon, y compris dans la carlingue de son avion. Il note ce qu’il observe, les rencontres qu’il fait, les paysages qu’il traverse et admire. D’ailleurs, Pablo Agüero le fait croiser un renard, une allusion évidente à celui du Petit Prince, que l’auteur ne publiera qu’en 1943, lors de son séjour à New York, juste un an avant sa disparition dans les flots de la Méditerranée, en donnant sa vie dans la lutte contre le fascisme.
Pour envisager le projet de porter sur grand écran un chapitre fondateur et crucial de la carrière de pilote de Saint-Exupéry, Pablo Agüero était la personne parfaite, lui qui est né à Mendoza, au pied de l’Aconcagua, au centre-ouest de l’Argentine, devant les cimes de la cordillère des Andes que les aviateurs de l’Aéropostale et qu’Antoine de Saint-Exupéry ont bien connues. Le cinéaste avait grandi avec les histoires de ces pilotes où l’aviation relevait du sacerdoce. Il souhaitait retrouver sa terre natale comme il le souligne :
« Après avoir vécu la deuxième moitié de ma vie en France, l’idée de retourner à la cordillère des Andes pour filmer les aventures de Saint-Ex et les origines de son œuvre s’est imposée comme une nécessité. Je voulais tout simplement rendre au Petit Prince ce qu’il m’a apporté et partager avec les spectateurs le bonheur simple de s’envoler avec Saint-Exupéry au-dessus des montagnes. Chez moi, il n’y avait qu’un livre : Le petit Prince. Ce conte philosophique m’a aidé à surmonter l’extrême précarité de mes conditions de vie, me poussant à bâtir mon propre univers imaginaire. »
L’impression qui domine durant la majeure partie du film, en particulier dans les scènes en vol, dans la tempête, est une vision poétique, voire onirique, qui permet au réalisateur de suggérer, même de fantasmer certaines scènes. À plusieurs reprises, dans un jeu de pistes où le compte à rebours est vital, on croit retrouver les traces de Guillaumet, mais il n’est plus là, déjà reparti depuis belle lurette ; la quête se poursuit alors, inlassablement.
Devant la caméra de Pablo Agüero, Saint-Ex semble un éternel adolescent, décalé, presque naïf, fougueux et irréfléchi, avec une touche d’humour et de second degré. Sa désinvolture face aux menaces téléphoniques du directeur de la compagnie le laissent de marbre et son inconscience le précipite dans une aventure rocambolesque, épique et héroïque, qui a donné matière à un roman et ici à un scénario. On peut se questionner sur ce côté enfantin de Saint-Ex, mais le réalisateur a puisé dans des archives historiques qui décrivent Saint-Exupéry comme « la quintessence du rêveur ». À ses côtés, Vincent Cassel apparaît comme ce qu’il représente dans l’inconscient collectif : un héros français, viril, infaillible, frimeur et un peu grande gueule. Sans déflorer toute l’intrigue, le cinéaste amène ce personnage à s’effondrer comme un enfant à la fin. Une évolution inversée s’opère entre Saint-Ex, l’homme fragile qui devient le héros, et Guillaumet, le héros qui devient fragile, du moins fragilisé par cette épreuve. La complicité entre les deux acteurs est palpable et ce film marque leurs retrouvailles puisqu’ils ont déjà joué ensemble dans Mon roi (2015), de Maïwenn, et dans Les Trois Mousquetaires : Milady (2023), de Martin Bourboulon.
Souhaitant rendre hommage à l’esprit de Méliès, Pablo Agüero et la directrice de la photographie, Claire Mathon, ont opté pour un collage presque « artisanal » de différentes couches d’images de prises de vue réelles « pour créer cette esthétique propre aux contes ». Le résultat est un film argenté, parsemé d’éclats dorés, qui symbolisent les limbes entre terre et ciel, être la vie et la mort. Ainsi, le cinéaste crée des contrastes extrêmes : dans ces paysages d’un gris froid où Guillaumet s’est égaré, puis soudain, le soleil surgit, brûlant.
Pour accompagner le périple de Saint-Ex, la bande-originale distille des mélodies assez limpides, avec des sonorités nouvelles par des superpositions d’instruments qui n’avaient jamais été utilisés ensemble. Pour ce faire, le cinéaste a convoqué « le charango, minuscule guitare des Andes à douze cordes, le thérémine, tout premier instrument électronique de l’histoire qu’on joue sans le toucher, et les ondes Martenot, instrument du début du XXème siècle prisé par Olivier Messiaen », un melting-pot sonore qui accompagne de manière symbiotique les images.
Firouz Pillet
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