Where The Wind Comes From d’Amel Guellaty – Une jeunesse en quête de souffle et d’horizons
Premier long métrage de la cinéaste tunisienne Amel Guellaty, ce film, dont le titre n’a étrangement pas été traduit en français, est un mélange convenu mais sympathique des genres coming-of-age et road-movie.
Image courtoisie trigon-film
Comme souvent dans un premier long métrage, la réalisatrice cherche à y condenser tout son univers, peut-être mue par l’inconsciente crainte de n’avoir jamais l’occasion d’en réaliser un second. Mais, comme le dit l’adage, « qui trop embrasse mal étreint ». C’est précisément ce qui arrive dans ce récit qui tente, par effet d’entonnoir, de devenir l’histoire universelle de deux jeunes gens entrant dans l’âge adulte, empli·es de désirs et de rêves, mais empêché·es par un contexte spécifique : celui de la Tunisie post-révolution. Après une courte période d’euphorie, le pays vit une longue gueule de bois, particulièrement pour sa jeunesse. À cela s’ajoute la volonté de la cinéaste de balayer, en à peine plus d’une heure et demie, les inégalités et les dysfonctionnements qui gangrènent la société tunisienne, dans un road-trip entre Tunis et Djerba où chaque étape ouvre un nouveau sujet, le tout couronné par une critique acerbe de l’art comme miroir aux alouettes lorsqu’il est envisagé comme outil de soft power.
Alyssa (Eya Bellagha) et Mehdi (Slim Baccar) ont grandi dans le même voisinage, devenant frère et sœur de cœur. Alyssa, plus jeune et animée d’une énergie vitale débordante, se retrouve malgré elle cheffe de famille, sa mère s’enfonçant dans la dépression depuis la mort du père. Elle assume à contrecœur le quotidien et la charge de sa petite sœur, alors que son rêve demeure ailleurs : partir en Europe, pour une vie qu’elle imagine plus libre et meilleure. Mehdi, de son côté, a achevé des études d’informatique mais peine à trouver un emploi, à la grande déception de sa famille. Calme et réservé, il possède toutefois un talent rare : celui de s’exprimer par le dessin. Lorsqu’Alyssa découvre un concours artistique offrant pour prix une résidence en Allemagne, elle y voit une échappatoire pour eux deux et convainc Mehdi d’y participer. Seul obstacle : le concours se tient à Djerba, à plus de 500 kilomètres au sud, et une grève des taxis collectifs éclate précisément le jour de leur départ. Intrépide et portée par l’énergie du désespoir, Alyssa parvient à trouver un moyen de transport et entraîne Mehdi dans une odyssée rocambolesque.
Formellement, Amel Guellaty tente de briser le côté conventionnel du récit en insérant, dans l’arc narratif d’Alyssa, des séquences de dessins qui s’animent ou de rêveries conscientes qui transcendent la réalité dans laquelle elle se trouve. Même si, ici encore, l’originalité n’est pas flagrante, l’effort demeure louable et fonctionne bien dans l’esprit que la réalisatrice souhaite insuffler : aborder des sujets graves sur un ton tendre, parfois teinté d’humour. Le personnage de Mehdi apporte quant à lui une dimension poétique, racontant, à la demande d’Alyssa, des histoires sur les éléments naturels, créant sa propre mythologie. Il décrit, entre autres, la transformation des rêves en nuages qui, in fine, produisent le vent qui balaie et traverse l’horizon.
Dans cette métaphore filée du vent, la dynamique des protagonistes est claire : l’un se laisse porter par lui, l’autre lutte contre lui. Eya Bellagha se révèle particulièrement convaincante dans ce rôle qu’elle imprègne d’un mélange d’énergie, de soif de vie et de liberté, mais aussi d’égoïsme, de vulnérabilité et d’esprit chimérique, qui la rendent à la fois agaçante et profondément attachante.
Where The Wind Comes From est un film agréable à regarder, même si sa conclusion ne rejoint pas ses ambitions et précipite l’évocation du destin des deux protagonistes, reléguée à une sorte de postface au film. Il sera néanmoins intéressant de suivre le parcours d’Amel Guellaty : si ce premier long métrage demeure inégal, il révèle une voix singulière qui, à condition de canaliser ses récits, pourrait façonner un cinéma riche, audacieux et singulier.
De Amel Guellaty; avec Eya Bellagha, Slim Baccar, Maya Blouza, Firas Khoury, Sondos Belhassen, Lassaad Jamoussi, Mohamed Grayaâ, Sawssen Maalej; Tunisie; 2025; 99 minutes.
Le film sort sur les écrans romands ce mercredi.
Malik Berkati
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