Avant il n’y avait rien de Yvann Yagchi sera présenté aux Rencontres Cinématographiques Palestine Filmer C’est Exister (PFC’E – 28.11-2-12.2024). Entretien avec le réalisateur
Deux amis d’enfance genevois, l’un issu d’une famille juive libérale, l’autre ayant une mère palestinienne et un père irako-suisse. Cette amitié ressemble à une belle histoire, riche de symboles et porteuse d’espoir. Hélas, leurs chemins de vie vont progressivement s’éloigner, jusqu’à prendre des directions diamétralement opposées lorsque l’ami juif choisit de s’installer dans une colonie en Cisjordanie occupée.
Une dizaine d’années plus tard, Yvann Yagchi, qui n’a jamais mis les pieds en Palestine, ressent le besoin de revoir son meilleur ami d’enfance, devenu colon. Accueilli dans la colonie et dans la famille de son ami, il joue au ping-pong avec les enfants, filme la vie dans cet endroit à la fois moderne, très développé et hyper sécurisé. Pendant que certains lui parlent de Dieu, qui leur aurait donné cette terre et ce foyer, le cinéaste observe les barbelés, les armes, et l’exclusion.
Un détail saisissant apparaît dans la représentation de la colonie : le visage de son ami d’enfance est gribouillé. On comprend rapidement que ce dernier, après un certain temps, a choisi de se retirer du projet, estimant qu’il manquait d’objectivité. Cette rupture offre à Yvann Yagchi une nouvelle perspective sur la situation. Il dirige alors son regard et sa caméra au-delà du mur de séparation et découvre la réalité palestinienne, située à quelques mètres seulement de la colonie.
Le contraste est saisissant : aux images des enfants de la colonie jouant paisiblement répondent celles des enfants palestiniens, confrontés à un danger constant. À l’hypersécurisation de la colonie s’oppose une insécurité permanente, marquée par l’occupation, ses violences arbitraires et son lot d’injustices.
Commence alors pour le cinéaste un tout autre voyage, celui qui le conduit sur les traces de sa propre famille, qu’il décrit comme marquée par une forme d’amnésie. Combien de fois a-t-il entendu dans sa vie : « Avant, il n’y avait rien » ? Une formule qui évoque le slogan sioniste de Theodor Herzl, « La Palestine, une terre sans peuple pour un peuple sans terre », ou encore la célèbre déclaration de Golda Meïr en 1969, lorsqu’elle affirma qu’il « n’y a jamais eu de peuple palestinien puisque la Palestine n’a jamais existé ».
À la violence de la dépossession territoriale s’ajoute celle de la dépossession historique et culturelle d’un peuple. Le cinéaste entreprend ainsi de redécouvrir son arrière-grand-père, Khalil Beidas, éminent intellectuel palestinien dont la précieuse bibliothèque fut confisquée par les Israéliens en 1948 pour rejoindre la Bibliothèque nationale d’Israël. Ce parcours le mène à explorer le destin de sa famille, victime de la Nakba, et à se confronter à la réalité contemporaine de la Cisjordanie occupée. Il visite des villages voisins, le camp de réfugié·es de Kalandia, et retrouve également l’un de ses cousins, Twafiq à Jérusalem-Est occupée.
L’un des reproches formulés par l’ami d’enfance au cinéaste est « d’être du côté des Palestinien·nes ». Cette accusation suscite chez Yvann Yagchi une question rhétorique : « Suis-je conditionné par mes origines ou simplement guidé par le bon sens et la constatation des injustices ? »
Entretien avec Yvann Yagchi, dont le film sera présenté dans le cadre des Rencontres Cinématographiques Palestine, Filmer C’est Exister, à Genève (28 novembre – 2 décembre 2024). La projection aura lieu le jeudi 28 novembre en présence du réalisateur. Il sera également possible de voir le film à Saint-Imier, à Lausanne et à la Chaux-de-Fonds.
Le titre de votre film, Avant il n’y avait rien, fait-il référence au narratif sioniste qui nie l’existence d’un peuple palestinien ?
C’est exactement cela. J’ai déjà entendu des ami·es me raconter des anecdotes similaires, comme : « Quand ma grand-mère est arrivée en Israël, il n’y avait rien. »
Vous racontez l’histoire de votre arrière-grand-père, Khalil Beidas, un grand intellectuel palestinien. Il existe cet tendance à nier l’existence d’une culture palestinienne. Car, si l’on nie l’existence d’une culture, on peut aussi nier celle d’un peuple…
Oui, pour moi, cela a été un point essentiel du film, à côté de celui de mon ami d’enfance devenu colon israélien. J’ai grandi en écoutant les récits de ma mère et en regardant de vieilles photographies. Il me semble crucial de montrer qu’il existait une société palestinienne bien avant la création de l’État d’Israël : une culture, une vie intellectuelle, politique et sociale. Sous l’Empire ottoman, la Palestine était un centre culturel et politique important au Moyen-Orient.
J’ai toujours été frappé par cette affirmation selon laquelle « il n’y avait rien avant ». Elle me glaçait, tant sur le plan intellectuel et historique que personnel. Étant issu d’une mère palestinienne et d’un père irako-suisse, entendre de telles remarques — parfois prononcées par ignorance, certes — revenait à nier mes origines. Cela signifiait implicitement que ma propre histoire n’existait pas. C’est une idée que j’ai toujours eu beaucoup de mal à accepter, tant émotionnellement qu’intellectuellement.
Vous insérez une séquence animée, émouvante, où vous jouez au backgammon avec votre arrière-grand-père et dialoguez avec lui : pouvez-vous expliquer cette démarche, cette nécessité d’entrer en dialogue avec lui?
C’est une figure que j’ai toujours imaginée. Mon arrière-grand-père est mort en 1949, bien avant ma naissance, et pour moi, il a toujours été un personnage presque mythique, que j’inventais ou à qui je pensais lors de rêves éveillés. Tout ce que je possédais de lui, c’était quelques photographies.
En approfondissant mes recherches, j’ai découvert qu’Edward Saïd mentionne mon arrière-grand-père dans son autobiographie Out of Place (1999). Il lui consacre un petit chapitre, car leurs familles étaient liées : mon arrière-grand-père était le cousin du père de Saïd. Dans ce passage, Saïd le décrit en train de jouer au backgammon avec son père, fumant de manière compulsive. Il le dépeint physiquement et c’est de cette manière que les animatrices (Anja Sidler et Geena Gasser ; n.d.a.) l’ont ensuite dessiné.
Par ailleurs, il y avait ses écrits, notamment dans son journal Al Nafais Al Asriyyah (magazine littéraire et politique publié en Palestine entre 1908 et 1923 ; n.d.a.), où il signait des articles écrits à la première personne. En me penchant sur ces éléments, je me suis demandé comment lui rendre justice et rester fidèle à ses paroles, sans ajouter une autre voix off — la mienne étant déjà suffisamment présente dans le film.
La séquence animée répond à une double volonté : établir un dialogue avec lui, mais aussi avoir une guidance narrative dans ma propre aventure en tant que personnage du film. Il me fallait une figure qui puisse me conseiller, et qui mieux que lui pouvait endosser ce rôle ?
L’animation repose entièrement sur ses propres mots. Les phrases qu’il prononce dans le film ne sont pas inventées : elles sont extraites de ses écrits ou de témoignages sur lui. C’était ma façon de recréer un lien familial à travers ce dialogue intime.
Il y a cette question du silence au sein des familles, des traumatismes, parfois transgénérationnels. En réalisant ce film et en brisant ce silence, avez-vous découvert ou compris certaines choses ?
Oui, en explorant cet aspect, j’ai compris certaines réactions que ma mère avait pu avoir dans le passé. Par exemple, cette attitude de ne pas faire de bruit. On avance, on regarde vers l’avenir, mais surtout, on ne dérange personne. Cela s’applique aussi aux premières générations d’immigration en général. J’ai beaucoup observé cela chez ma mère. Elle avait des ami∙es israélien∙nes et, dans une certaine mesure, acceptait qu’on lui dise des choses insupportables, comme : « Avant, il n’y avait rien. »
Je pense qu’elle a fini par se rendre compte, tout comme moi, que cette posture n’était plus tenable. Ces personnes, même très sympathiques, véhiculent une vision qui nie nos origines. Cette réalisation a été énorme pour moi. J’ai pris conscience qu’une forme de racisme avait été intériorisée.
Il y a aussi la question du privilège. On peut se percevoir comme Palestinien·ne ou comme faisant partie de la bonne société. On peut se voir comme appartenant aux deux, mais la question est : quel aspect prime ? J’ai réalisé que, souvent, l’identité un peu bourgeoise prenait le dessus, au détriment de l’identité palestinienne, de ce besoin de se battre pour une certaine justice.
J’ai l’impression que ces conversations, amorcées à travers le film, ont permis un rééquilibrage, à la fois pour ma mère et pour moi.
Pensez-vous que cela lui a fait du bien, à elle aussi ?
Oui, je le pense. Pour elle, c’est profondément transgénérationnel. Elle est née à Nazareth et a fui au Liban quand elle était enfant, mais elle n’en garde pas de souvenirs très clairs. Quand je parle à ma tante, sa sœur aînée qui a quinze ans de plus, c’est encore plus marqué. Chez elle, cela s’exprime avec fermeté : « Ça suffit, on ne parle pas de ça. » C’est à la fois tendre et inflexible, un peu comme si elle disait : « Pourquoi viens-tu m’embêter avec ça ? »
Est-ce que votre ami d’enfance appartient à un courant qui revendique le Grand Israël ?
Il appartient à un courant du judaïsme religieux-national. Ce mouvement, à vocation messianique, revendique effectivement les terres du Jourdain à la mer – et parfois au-delà – tout en soutenant l’État d’Israël pour des raisons politiques. Cela le distingue d’autres courants religieux qui ne reconnaissent pas l’État d’Israël.
Ce qui rend ce courant singulier, c’est son mélange de religiosité, de messianisme et de nationalisme. C’est assez troublant : beaucoup de jeunes qui adoptent ces idées vivent dans une certaine modernité tout en étant fortement radicalisés. Il y a également une dimension coloniale dans leur vision du monde.
Vous évoquez dans le film la situation psychologiquement tragique des Palestinien·nes qui travaillent dans les colonies et, de facto, pour gagner leur vie, mangent leur propre terre en tant que peuple pour pouvoir manger en tant qu’individus…
Oui, cela m’a surpris lorsque je les ai rencontrés. Je les voyais travailler, et cela me donnait l’impression d’être dans un autre pays, face à des migrants craignant de parler par peur de perdre leur emploi. Cette première impression a été très marquante.
La plupart de ces travailleurs n’ont pas voulu me parler, par crainte pour leur emploi ou leur sécurité. Deux d’entre eux ont accepté d’apparaître dans le film. L’un d’eux m’a confié : « Ici, personne ne te dira la vérité. » C’est une étrange normalité : on se rend dans une colonie pour y travailler, tout en la détestant parce qu’elle dévore votre terre, votre air. Mais pour vivre, il faut bien travailler.
Ce paradoxe les place dans une situation difficile : d’une certaine manière, ils participent à leur propre colonisation, mais ils n’ont pas d’autre choix. Je n’ai pas approfondi cette question, peut-être que ce sera le sujet d’un prochain film. Ce travail est leur gagne-pain, et souvent, ces personnes viennent de loin. Certains font le trajet depuis Naplouse pour travailler dans une colonie près de Ramallah.
Vous avez parlé à un berger qui vous a dit : « Ce qui nous attend à l’avenir est beaucoup plus dangereux. » Cela ressemble à une prémonition, non ?
Dans le village de Burqah, près de Ramallah, qui a une longue histoire de violences perpétrées par des colons, beaucoup de personnes m’ont confié la même chose, même si ce berger l’a exprimé de manière particulièrement directe. Ce village a vécu de nombreuses violences, la mosquée a même été incendiée. Un web-documentaire réalisé par B’Tselem illustre les problèmes que ses habitant·es rencontrent depuis des années face aux colons. Cette violence ne fait que croître avec le temps.
J’ai terminé le tournage avant le 7 octobre, mais même à ce moment-là, un colon avait déjà tué un jeune du village. Ce danger, on le ressent partout. Dans les yeux des jeunes, on voit qu’ils savent que la situation va s’enflammer.
Depuis le 8 octobre, savez-vous si la colonie s’est étendue ou si ses habitant·es ont participé aux violences en Cisjordanie occupée ?
J’ai observé la situation de près, et il ne semble pas que cette colonie se soit étendue de manière significative. Ce n’est pas la colonie la plus violente de Cisjordanie occupée. Elle est principalement habitée par des familles et des personnes qui s’y installent pour des raisons économiques, car c’est moins cher qu’à Jérusalem. Je n’ai pas remarqué de nouvelles expansions, bien qu’il y ait eu des avant-postes lors de mon passage, qui ne semblaient pas encore avoir pris forme. Cependant, la colonie continue de se développer rapidement, avec de nombreux immeubles en construction.
On m’a rapporté que l’objectif est qu’elle devienne un véritable quartier de Jérusalem, dans le cadre du projet de Grand Jérusalem, lié à l’idée du Grand Israël. Par contre, il y a un épisode marquant dans le film où je suis photographié par un drone. La personne qui me filmait via ce drone, et qui a ensuite diffusé les images sur Twitter, est un colon de la colonie voisine, Psagot. Cette personne a été arrêtée plus tard pour avoir assassiné l’adolescent du village de Burqah. C’est mon ingénieur du son palestinien qui m’a envoyé cette information, en me disant : « Tu as eu raison d’être inquiet lorsqu’il t’a mis sur les réseaux sociaux ! »
Donc, si cette colonie en particulier n’a pas été directement impliquée, celle voisine l’a été.
Y a-t-il beaucoup d’étrangers dans cette colonie ?
Énormément. On y trouve de nombreux Français∙es, Américain∙nes, et même une importante communauté mexicaine. Il s’agit de Juifs mexicains ou de personnes converties au judaïsme qui ont fait leur Alya. Je les ai filmés, mais leurs séquences n’ont finalement pas été intégrées au film. Il y a également des Péruvien∙nes, des Russes, et d’autres nationalités. Dans cette colonie, la plupart de ces habitant∙es sont des arrivant∙es récent∙es qui parlent encore leur langue d’origine et semblent moins intégré∙es à la culture israélienne que d’autres personnes vivant à Tel-Aviv ou ailleurs en Israël.
Quand vous étiez en Suisse avec votre ami, les différences entre vous semblaient abstraites. Sur place, vous avez été confronté au choc des identités. Qu’est-ce que cela a éveillé en vous ?
Les différences avaient commencé à se manifester avant ce projet. Il se rendait de plus en plus souvent en Israël et revenait à Genève. On continuait à sortir ensemble, notamment à l’Usine, pour faire la fête, mais dès qu’on avait un peu trop bu, on s’engueulait violemment. C’était l’époque d’Ariel Sharon, qu’il soutenait, alors que pour moi, il représentait le mal absolu – même si, comparé à aujourd’hui, cette époque semble presque modérée…
Ce qui m’a bouleversé, ce n’était pas tant de le confronter dans son monde, mais d’aller voir les villages et villes palestiniennes environnantes. Ma visite au camp de réfugié·es de Kalandia, situé juste en face de la colonie, a été un véritable séisme pour moi. Je me suis retrouvé face à une question qui me renvoie à une sorte de naïvité: « Comment puis-je initier un dialogue ? » Mais ce dialogue semble impossible après tout ce qu’ils vivent depuis 1967 – le harcèlement constant des colons – et moi, petit Genevois, je débarque en demandant : « Alors, qu’est-ce que tu en penses ? » Je me suis senti honteux.
La réalité palestinienne m’a profondément remué. Dans la colonie, on a l’impression d’être dans un Truman Show : tout semble parfait, personne ne se soucie des problèmes. Mais du côté palestinien, on se heurte à la dure réalité de l’occupation et de l’apartheid. Cette confrontation m’a transformé.
On est presque surpris que vous ayez pu filmer à la Bibliothèque nationale d’Israël, obtenir une interview avec un rabbin, ou encore filmer librement dans la colonie, y compris le garde de sécurité. Comment cela a-t-il été possible ?
Ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air (rires). Dans la colonie, j’étais avec mon ami d’enfance, et je le suivais dans sa vie quotidienne. Il était clair que je ne réalisais pas un film pro-colonie, mais un film centré sur lui. Grâce à sa présence, j’ai pu accéder à certains lieux, et c’est pour cela que filmer l’agent de sécurité n’a pas été un problème. Même après que mon ami ait choisi de se retirer du projet, il a accepté que je continue à le filmer.
À la Bibliothèque nationale d’Israël, les choses étaient un peu plus compliquées. Nous avons obtenu des autorisations, bien sûr, mais ce milieu académique fonctionne différemment. Pendant le tournage, une chercheuse est même venue me parler, car elle travaillait depuis longtemps sur mon arrière-grand-père et cherchait à localiser ses livres, confisqués et pillés. C’était une rencontre étonnante. Cela dit, l’autorisation de filmer était très limitée : une seule fois, pas deux. Il était également impossible de filmer précisément l’endroit où les livres sont conservés. Ces ouvrages ne sont pas détruits, mais ils sont confisqués, ils sont en prison : on peut les consulter sur place, mais ils ne peuvent pas être empruntés ni sortir de la bibliothèque. C’est tout le paradoxe.
Quant au rabbin, c’est encore grâce à mon ami d’enfance que j’ai pu le rencontrer. Il est originaire de Montreux, en Suisse, et vit en Israël depuis les années 1980. Ce lien a facilité la discussion.
Vous questionnez sans cesse votre ami en voix off, et naturellement, il n’y a pas de réponses. Pouvez-vous expliquer ce choix narratif ?
À l’origine, si tout s’était déroulé comme prévu, il n’y aurait eu ni voix off ni beaucoup de dialogues d’ailleurs. Le film devait être composé de plans fixes. Mais les choses ont pris une toute autre tournure, et mon plan de départ a volé en éclats.
Quand mon ami s’est retiré du projet, cela a transformé le film en une sorte de puzzle avec des fragments de récits et de thématiques. Certains sujets sont plus approfondis que d’autres, mais pour donner une cohérence à cet ensemble éclaté, la voix off est devenue essentielle.
L’idée de la lettre est venue ensuite. Puisqu’il n’était plus possible de dialoguer directement avec lui, et que je devais malgré tout maintenir le film dans cette direction — une exigence des financeurs qui tenaient à ce que le projet initial soit respecté —, j’ai trouvé une autre manière de continuer ce dialogue.
La voix off s’est alors transformée en une lettre adressée à mon ami d’enfance, dans laquelle j’essaie de comprendre ce qui s’est passé entre nous, mais aussi d’explorer mon propre passé. Cette lettre, qui reste pour l’instant sans réponse, est à la fois un moyen de rester fidèle à l’histoire que je voulais raconter et un espoir : peut-être, un jour, elle lui parviendra et rouvrira un espace de discussion.
Mais vous posez beaucoup de questions…
Oui, parce que ces questions sont liées à ce qui se passe sur place et elles servent à engager les spectateurs et spectatrices. L’idée est de les pousser à se poser eux-mêmes ces questions, à mener leurs propres recherches, et, surtout, à en discuter par la suite.
Je pose ces questions aussi parce que je ne suis pas un spécialiste du sujet. Je ne suis pas né en Palestine, mais en Suisse. Quand j’ai commencé cette aventure qu’est ce film, il y avait énormément de zones d’ombre pour moi, des interrogations auxquelles je cherchais des réponses. Ce questionnement personnel est devenu une partie intégrante du film.
Avez-vous réglé les problèmes juridiques liés aux menaces de l’avocat, ou existe-t-il encore un risque concernant la projection du film ?
Je préfère ne pas trop m’étendre sur ce sujet. Je dirais simplement que nous avons fait ce qui était demandé, à savoir respecter le souhait de mon ami d’enfance de ne pas être identifiable.
Votre film, tourné dans un contexte déjà tendu, prend une résonance particulière au regard des événements récents. Quel rôle espérez-vous qu’il puisse jouer dans ce contexte ?
Je voudrais préciser à nouveau que le film a été tourné et achevé avant le 7 octobre 2023. Depuis, comme vous le savez, les choses ont évolué de manière tragique. Aujourd’hui, j’espère que ce film pourra contribuer, au-delà de mon histoire d’amitié, à parler de la Palestine, de son histoire, et des atrocités en cours, notamment à Gaza, en Cisjordanie occupée et au Liban.
De Yvann Yagchi ; voix de Sami Daher pour Khalil ; Suisse ; 2023 ; 71 minutes.
Malik Berkati
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