j:mag

lifestyle & responsible citizenship

Cinéma / KinoCulture / Kultur

Avec Dalloway, Yann Gozlan signe un thriller d’anticipation qui livre Cécile de France dans les filets tentaculaires d’une IA un brin trop impérieuse

Dalloway questionne sur les avantages et sur les risques de se livrer totalement à l’IA.

Dalloway de Yann Gozlan
© 2024 Mandarin & Compagnie – Gaumont – Panache Production – La compagnie Cinématographique

Clarissa Katsef (Cécile de France), écrivaine de romans jeunesse, est accueillie dans une résidence financée par une fondation prestigieuse, dirigée par la mystérieuse Anne Dewinter (Anna Mouglalis, dont la voix rauque accentue le côté énigmatique de son personnage). Dans son appartement chic, dépouillé, ultra-connecté, avec terrasse végétalisée et vue sur la tour Eiffel, elle est assistée par la voix suave d’une intelligence artificielle qu’elle a prénommée Dalloway (Mylène Farmer), en référence à l’héroïne de Virginia Woolf qui donne son titre au film. La romancière, en panne d’inspiration depuis qu’elle a perdu son fils adolescent, a pour projet d’écrire un livre destiné cette fois aux adultes et consacré aux derniers jours de Virginia Woolf avant son suicide. Dans cette résidence d’artistes à la pointe de la technologie, la romancière trouve en son assistante virtuelle un soutien et même une confidente qui l’aide à écrire. Mais peu à peu, Clarissa éprouve un malaise face au comportement de plus en plus intrusif de son IA, renforcé par les avertissements complotistes d’un autre résident, Mathias Nielsen (Lars Mikkelsen).
De plus en plus perturbée par les questions de Mathias et se sentant surveillée, Clarissa se lance secrètement dans une enquête pour découvrir les réelles intentions de ses hôtes. Menace réelle ou délire paranoïaque ?

Yann Gozlan est un inconditionnel du thriller, son genre de prédilection qu’il a brillamment illustré dans ses six longs métrages qu’il a réalisés jusqu’à aujourd’hui – Captifs (2010), Un homme idéal (2015), Burn Out (2017), Boîte noire (2021), son plus gros succès à ce jour, Visions (2023) et Dalloway (2025).

Alors que sévit le premier confinement, en avril 2020, le réalisateur découvre Les Fleurs de l’Ombre de Tatiana de Rosnay, une histoire traitant d’un futur proche et de toutes ses problématiques. Le roman de l’écrivaine franco-britannique fait écho à la période de la pandémie où régnait la paranoïa; le cinéaste a souhaité l’adapter sur grand écran et a sollicité Nicolas Bouvet pour écrire le scénario à quatre mains.

L’assistante virtuelle qui épaule Clarissa est omniprésente, a priori bienveillante, en la réveillant avec sa musique favorite et en projetant une vue maritime sur la paroi en face de son lit, en lui mettant à bouillir de l’eau alors que Clarissa exécute docilement tous les matins ses contrôles biologiques dont l’écouvillon dans la bouche pour détecter si elle a été contaminée ou non, en planifiant ses journées et, surtout, en l’incitant à se remettre à l’ouvrage, la panne d’inspiration restant vivace. Peu à peu, Dalloway pose de plus en plus de questions personnelles à Clarissa, la plongeant dans un passé douloureux, tellement douloureux que la romancière ne parvient pas à trouver les mots pour en parler.

Yann Gozlan s’est inspiré de la crainte du remplacement des humains par la machine, qui est présente dans de nombreux livres de science-fiction. Cette angoisse existentielle apparaît aussi dans de nombreux films, on songe à un classique du genre, 2001 : l’odyssée de l’espace (1968), de Stanley Kubrick, qui a marqué les esprits.

Pour mettre en exergue le spectre de la prise de pouvoir par l’IA, une menace qui semble déjà avoir été franchie selon nombre de spécialistes, le réalisateur a axé son intrigue sur la figure de l’artiste et comment celle-ci est confrontée dans son art à l’intelligence artificielle. Pour accentuer l’atmosphère de plus en plus anxiogène à mesure que le récit avance, Yann Gozlan a planté son décor dans le contexte de la pandémie et, avec l’aval de la romancière, a supprimé certains personnages et modifié quelque peu l’intrigue, notamment la fin, qui est beaucoup plus ouverte dans le roman en choisissant de concentrer son intrigue sur la relation entre Clarissa et son IA.

Au fil du récit, le public adopte, à son corps défendant, le point de vue de Clarissa, hostile à l’environnement, tandis qu’il est présenté au départ comme rassurant. Pour ce faire, le cinéaste a multiplié les plans en mouvement qui suivent la protagoniste, filmée au plus près du visage, du regard, ou les plans subjectifs qui permettent de découvrir ce qu’elle voit comme si les spectateur·trices étaient constamment à ses côtés. Par le truchement de cette mise en scène subjective et immersive, Yann Gozlan suscite un double ressenti chez les spectateur·trices qui s’identifient pleinement à Clarissa, comprenant ses motivations et ressentant sa montée de stress et d’angoisse, tout en doutant à un moment donné de sa santé mentale, par exemple quand elle est persuadée que la poudre étrange qui tombe du plafond est un poison et qui se révèlera être du ciment.

Pour intensifier l’omniprésence de plus en plus oppressante de l’IA dans cet univers hyperconnecté, le cinéaste a multiplié les plans sur la tablette affichant le logo de Dalloway afin de créer un champ/contre-champ constant avec Cécile de France, parvenant à donner la troublante impression qu’il s’agit d’un dialogue entre deux personnages et non pas seulement une IA.

Par moments, Dalloway nous fait songer à la série télévisée britannique Black Mirror, créée par Charlie Brooker. Tous les épisodes sont liés par le thème commun de la mise en œuvre d’une technologie dystopique : les écrans omniprésents nous renvoient notre reflet. La série interroge, de manière satirique, les conséquences inattendues que pourraient avoir les nouvelles technologies et comment ces dernières influent sur la nature humaine de ses utilisateur·trices et inversement. À bien des égards, Dalloway explore les mêmes questionnements : l’IA aide-t-elle la créatrice ou la supplante-t-elle ?

L’appartement de Clarissa participe à ce sentiment anxiogène qui se fait de plus en plus pressant. Les plafonds ont été placés très bas pour renforcer l’angoisse et le sentiment d’enfermement. Cécile de France porte le film de bout en bout, livrant une prestation exceptionnelle pour nous garder captivé·es alors qu’elle passe une grande partie de son rôle seule dans le même appartement, faisant face de diverses manières à l’absence d’un être cher, au chagrin et à la paranoïa. Ses rares contacts avec le monde extérieur sont liés à ses interactions avec Mathias Nielsen, avec son ex-mari Antoine (Frédéric Pierrot), sa fille et la petite amie de feu son fils, Mia White (Freya Mavor)… Mais était-ce vraiment sa petite amie ?
Dans sa passion pour le thriller, Yann Gozlan accorde une importance primordiale au son. C’est donc avec une certaine malice qu’il a confié à Mylène. Farmer la mission de prêter sa voix à Dalloway.

Avec les thématiques très actuelles de ce thriller paranoïaque – la pandémie, le confinement, le réchauffement climatique et la présence accrue de l’intelligence artificielle avec une insistance sur son possible impact sur le monde artistique, qu’il s’agisse d’écriture, d’images altérées ou de voix modifiées – Yann Gozlan questionne la perte de liberté des humains face à la prise de pouvoir des machines. Et pour ce thriller ancré dans l’actualité, le cinéaste a demandé à son complice depuis trois films, le compositeur Philippe Rombi, de concocter une bande son empreinte des sonorités inspirées de celles de Michael Small, qui a beaucoup travaillé sur les films d’Alan Jay Pakula.

Dalloway sort sur les écrans romands ce mercredi et est projeté, dans le cadre de la 21e édition du Festival du Film francophone d’Hevétie, à Bienne, ce vendredi 19 septembre.

Firouz E. Pillet

© j:mag Tous droits réservés

Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

Firouz Pillet has 1158 posts and counting. See all posts by Firouz Pillet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*