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Avec Les Musiciens, Grégory Magne signe une ode harmonieuse à la musique et aux instrumentistes

Après L’Air de rien (2012) et Les Parfums (2020), le cinéaste français livre un film très abouti sur un quatuor à cordes, à la fois burlesques, facétieux et sensible.

Les Musiciens de Grégory Magne
Image courtoisie Agora Films

Astrid Thompson (Valérie Donzelli) parvient enfin à réaliser le rêve de feu son père avec lequel elle avait une relation très fusionnelle : réunir quatre Stradivarius pour un concert unique attendu par les mélomanes du monde entier. Un événement musical qui n’a jamais été réalisé ! Mais Lise (Marie Vialle), George (Mathieu Spinosi), Peter (Daniel Garlitsky) et Apolline (Emma Ravier), les quatre virtuoses recrutés pour l’occasion, sont incapables de jouer ensemble. Les crises d’égo démesuré se succèdent au rythme des répétitions. Sans solution, Astrid se résout à aller chercher le seul qui, à ses yeux, puisse encore sauver l’événement : Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot), le compositeur de la partition.

C’est en puisant dans ses souvenirs, alors qu’il se promenait près du Conservatoire National de Musique, en se remémorant une situation que Grégory Magne a eu l’idée des Musiciens : vingt ans auparavant, l’une de ses amies violoncellistes lui avait proposé d’écouter le morceau qu’elle comptait présenter pour entrer à l’Opéra de Paris. Se souvenant des sons et de la musique dans une grande salle à l’acoustique exemplaire, il s’est alors dit que dans une salle de cinéma, avec une vraie qualité de son, les spectateur·trices pourraient ressentir son émotion lors de cet instant suspendu. Un défi de taille qu’il est parvenu à retranscrire sur grand écran !

Les films consacrés aux artistes d’exception, aux compositeurs ou aux formations classiques sont de plus en plus nombreux au cinéma : on songe à Amadeus (1984) de Miloš Forman, à Tous les matins du monde (1991) d’Alain Corneau, à Farinelli (1994) de Gérard Corbiau, et plus récemment à Tár (2022) de Todd Field avec Cate Blanchett en cheffe d’orchestre, à Maestro (2023) sur Leonard Bernstein, de et avec Bradley Cooper, à Prodigieuses (2024) de Frédéric et Valentin Potier, sur les pianistes jumelles Audrey et Diane Pleynet et à En fanfare (2024) d’Emmanuel Courcol.

Il fallait que Grégory Magne opte pour une formation adéquate qui s’impose à l’écran pour plusieurs raisons, tant sonores que visuelles. Les Musiciens met en avant un quatuor sonore qui permet au réalisateur de faire exister les champs/contrechamps, des bascules de points de vue et de découpage.

Alors que les musicien·nes arrivent dans la maison de maître située en rase campagne pour se consacrer à travailler cette pièce qui n’a jamais été ni jouée ni enregistrée, le public découvre chaque instrumentiste avec sa personnalité et son tempérament. Dès leur première rencontre musicale, une impression d’authenticité émane de leur jeu et emporte avec conviction le public dans leurs gammes et leurs exercices de doigté. Et pour cause ! Le quatuor du film est composé de véritables musicien·nes : Marie Vialle qui avait déjà joué du violoncelle au théâtre, Emma Ravier qui est violoniste et altiste, Daniel Garlitsky, connu pour son travail en musique classique mais aussi le jazz manouche et enfin le dernier membre du quatuor, Mathieu Spinosi qui est le seul à être davantage connu pour son travail en tant qu’acteur, même s’il est issu d’une famille de musiciens et qu’il joue depuis de nombreuses années. On se remémore Prodigieuses, pour lequel il y avait eu, certes, un travail important de formation des deux actrices, qui n’étaient pas pianistes, pour parvenir à une gestuelle convaincante. En réunissant des comédien·nes musicien·nes, le cinéaste a d’emblée gagné en justesse et en véracité.

Que celles et ceux qui redoutent d’assister à un poncif consacré à la musique classique soient rassuré·es ! Grégory Magne a pensé Les Musiciens comme un film burlesque, une véritable comédie à l’humour subtil de situations et de répliques qui fait songer à Marivaux. Pour accentuer l’effet comique, le réalisateur a eu l’idée de rajouter un certain nombre de chutes dans le récit en élaborant un travail sonore qu’elles induisent et la manière dont elles en ponctuent le rythme. Au cœur du film, des protagonistes qui jouent un rôle tout aussi important que les comédien·nes-musicien·nes, voire plus, sont les instruments filmés de manière très organique et sensuelle. Le plan d’ouverture du film présente l’intérieur d’un violoncelle. Pour ce plan, le cinéaste s’est inspiré du travail du photographe Charles Brooks, qui avait lui-même pris en photo de nombreux instruments de musique. Il s’agit du tout premier plan qui a été tourné avec l’équipe de Pierre Cottereau, le chef opérateur. Une perspective qui donnera le ton à tout le film ! La manière dont Grégory Magne filme les instrumentistes et leurs instruments crée une promiscuité avec le quatuor, une proximité qui devient symbiotique au fil des scènes. Une mention spéciale est à faire aux experts sollicités pour les instruments du film qui sont l’œuvre de François Ettori et Thibault Pailler. Experts en lutherie, ils se sont inspirés du modèle pensé par Stradivarius durant la Renaissance italienne. Dans une cocasse mise en abîme, François Ettori endosse le rôle du luthier qui vient à la rescousse pour remettre en état le violon Stradivarius qui a malencontreusement chuté lors d’une dispute entre George et Apolline.

Un protagoniste à ne pas omettre vu le rôle fondamental qu’il joue est la musique. Grégory Magne a fait appel à un compositeur de référence, Grégoire Hetzel qui, avec l’apport de Daniel Garlitsky, signe la musique originale du film. Pour rappel, ce compositeur a notamment travaillé avec Arnaud Desplechin pour Rois et Reines (2004), avec Denis Villeneuve pour Incendies (2010), pour Pierre Salvadori pour Dans la cour (2014), pour Bertrand Blier pour Convoi exceptionnel (2019) ou encore pour Louis Garrel pour L’innocent (2022).

Dépitée par la mauvaise entente des musicien·nes, incapables de jouer harmonieusement ensemble, l’instigatrice de cette rencontre voit le temps passer et la date fatidique de l’enregistrement du concert arriver à vive allure. Elle se résout donc à solliciter du compositeur qui, dans un premier temps, décline son offre puis finira par apporter son précieux éclairage aux musicien·nes. Si on a parfois l’impression que Frédéric Pierrot cabotine, on le lui pardonnera puisqu’il interprète un compositeur de renom, en se disant que cela fait partie du personnage. Précisons que l’acteur est un mélomane, passionné de musique au point d’en jouer. Après avoir joué de nombreuses sortes de flûtes, il a découvert un jour la clarinette. Un instrument qu’il a appris en autodidacte, à l’oreille et en écoutant les autres.

Les bons films sur la musique ne sont pas légion, qui plus est dans l’Hexagone. En 2022, le désopilant Maestro(s), de Bruno Chicje, avec Arditi et Attal, nous avaient laissés dépité·es et consterné·es. Grégory Magne signe un film intelligent, délicat et à l’humour savoureux, considérant, contrairement à ses homologues, le public capable de comprendre des questions artistiques fondamentales. Les Musiciens mérite que l’on applaudisse avec enthousiasme !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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