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Avec Natacha (presque) hôtesse de l’air, Noémie Saglio signe une comédie déjantée, servie par une excellente distribution

Grâce à la réalisatrice et scénariste française, Natacha, la célèbre héroïne créée par François Walthéry et Gos, quitte les cases de la bande dessinée pour le grand écran.

— Camille Lou – Natacha (presque) hôtesse de l’air
© Julien Panié

Depuis sa plus tendre enfance, Natacha (Camille Lou) est bien décidée à devenir hôtesse de l’air pour voyager et découvrir le monde. Quand elle se retrouve mêlée malgré elle au vol de la Joconde, elle y voit l’opportunité de réaliser enfin son rêve. Accompagnée de Walter (Vincent Dedienne), un steward maladroit et guère téméraire, elle traverse la France et l’Italie dans une course-poursuite aux allures d’aventure policière, rythmée et emplie de rebondissements.

Si les adaptations cinématographiques des bandes dessinées des éditions Dupuis semblent être devenues un filon à exploiter et sont désormais légion – Lucky Luke (2009), Boule & Bill (2013), Le petit Spirou (2017), Gaston Lagaffe (2018), Les aventures de Spirou et Fantasio (2018), elles ne font pas toutes florès. C’est donc au tour de Natacha de passer au grand écran.

On doit à Noémie Saglio Parents d’élèves (2020) et Nice girls (2024) pour le cinéma et des séries à succès pour la télévision dont Connasse (2013-2015) qui a révélé Camille Cottin.

La réalisatrice et scénariste, qui a toujours été fascinée par l’univers de l’aviation et la bande dessinée Natacha, hôtesse de l’air, s’est associée à Laurent Turner pour l’écriture du scénario. Les aventures de l’héroïne, créée par Gos (scénariste) et François Walthéry (dessinateur), ont d’abord été pré-publiées à partir de 1970 dans Le Journal de Spirou, puis éditées par les éditions Dupuis.
La réalisatrice a donc choisi d’adapter librement le tome 7 de la série Natacha : l’hôtesse et Mona Lisa (1977). Dès son enfance, elle voyait en Natacha un personnage féminin à la fois drôle, indépendant et aventurier, éloigné des stéréotypes habituels et dont la silhouette longiligne rappelle celle de Mireille Darc alors que son joli minois aux yeux de biche fait songer à France Gall.

Dans ses créations, la cinéaste affectionne des personnages qui présentent des aspérités et en fait les héros de ses films, en mettant un point d’honneur à lutter contre tout ce qui entrave une personne qui ne rentre pas dans les moules édictés par la société, qui est jugée de prime abord inapte. Pour servir son inspiration, elle a trouvé matière dans ce personnage d’hôtesse de l’air aventurière mais qui ne rentre pas dans les cases. Comme le montrent plusieurs scènes d’évaluation et de sélection chorégraphiées, Natacha a beau mettre du cœur à l’ouvrage et toute sa bonne volonté, « elle est un peu trop grande, elle a les cheveux trop plats, elle n’est pas dans les critères de la bonne hôtesse ». Recalée à chaque tentative, elle va bientôt coiffer Sainte-Catherine et sera donc périmée pour le marché de l’emploi aéronautique, mais surtout pour le marché matrimonial.
Pour donner l’impression que Natacha partage ses réflexions directement avec le public, la réalisatrice a fait le choix d’intégrer une voix-off (Fabrice Luchini) pour accompagner le récit et plonger, par le truchement de ce narrateur, les spectateurs dans l’univers décalé de l’aspirante hôtesse de l’air.

En adaptant la bande dessinée, Noémie Saglio a su conserver son esprit d’origine tout en modernisant le personnage afin que les jeunes générations, qui découvriront l’hôtesse de l’air frondeuse et audacieuse au cinéma, puissent tout autant apprécier son humour et son autodérision que leurs parents, voire leurs grands-parents, les ont appréciés à la lecture des quarante-quatre planches de chaque tome de la bande dessinée.

Une grande partie des scènes a été filmée dans de véritables avions et aéroports et la majeure partie du film est tournée en extérieur et en décor naturel, entre la Normandie, le sud de la France et l’Italie. Pour garantir un maximum d’authenticité, l’équipe a travaillé en étroite collaboration avec des stewards et des hôtesses de l’air expérimenté·es qui ont apporté leur expertise sur les gestes, attitudes et procédures utilisées à bord, tout en aidant également les acteur·trices à adopter le bon langage et les expressions spécifiques du métier. La réalisatrice confie que certains membres du personnel navigant ont même fait de la figuration pour renforcer la crédibilité des scènes. Avant le tournage, les comédien·nes ont suivi une formation accélérée pour comprendre le quotidien du personnel de bord et apprendre à exécuter les consignes de sécurité comme les vraies hôtesses et stewards. Les acteur·trices ont aussi travaillé sur leur posture et leur manière de se déplacer en cabine. Le résultat visuel est époustouflant et la véracité est au rendez-vous. Tout ce travail de préparation en amont apporte une réelle authenticité au film et plonge le public dans la société et le monde l’aviation des années soixante.

Quant aux aventures de Natacha, à l’instar des planches de la bande dessinée, les péripéties s’enchaînent à une cadence effrénée. Les spectateur·trices observateur·trices, en particulier celleux qui connaissent le tandem de créateurs, pourront repérer un caméo vocal du créateur de la BD. François Walthéry, qui prête sa voix à un passager lors d’une annonce en vol. L’atmosphère des années 60 est restituée de manière sublime et un soin particulier a été apporté aux tenues vestimentaires, aux coiffures, au maquillage qui sont de savoureux clins d’œil aux éléments graphiques et visuels de la bande dessinée. Les gags et les situations cocasses filmé·es fonctionnent aussi bien que sur le papier et le jeu du chat et la souris entre Natacha et Walter impulse un rythme soutenu à l’intrigue. Dans leurs costumes d’époque, les comédien·nes semblent s’amuser comme de grands enfants et leur plaisir à jouer ces rôles est communicatif.

Noémie Saglio a souhaité faire de Natacha une femme moderne, libérée des carcans patriarcaux imposée aux femmes et que sa mère a intégrés sans broncher. En faisant de cette héroïne une femme courageuse et pugnace qui ne se laisse pas abattre par les obstacles ni les échecs, la cinéaste tord le coup aux clichés et souligne les chamboulements que la société va connaître à la fin des années soixante, en particulier en ce qui concerne le statut des femmes dans la société. Ainsi, la mère de Natacha (Anne Charrier) qui incarne l’épouse parfaite, mère de famille dévouée qui tient sa maison parfaitement et qui est aux petits soins de son mari (Philippe Vieux) quand il rentre du travail, courant lui apportant son verre de Suze et son journal alors qu’il est vautré dans le fauteuil du salon devant le poste de télévision, finira par briser ce joug socioculturel qu’elle porte sans se rebiffer. Devant la vaillance de sa fille, elle cessera d’idolâtrer son mari et osera revendiquer sa place dans une société qui avait cantonné les femmes au foyer depuis la fin du XIXe siècle. C’est ainsi qu’au fil du récit, la cinéaste fait de nombreux clins d’œil aux changements importants que la société de la fin des années soixante et du début des années septante va connaître et que les adultes qui accompagneront le jeune public auront le plaisir d’identifier.

Aux côtés de Natacha, entraîné dans cette enquête à son corps défendant, Walter apparaît à la fois détestable et attachant. En tant que steward, il a un rang à tenir mais a aussi affaire aux injonctions à la virilité. Si Walter est aussi odieux avec Natacha au début du film, c’est parce qu’il respecte à la lettre les instructions de ses supérieurs, afin d’être lui-même remarqué en se montrant élève modèle.

La cinéaste nous ravit avec d’autres figures féminines truculentes : Elsa Zylberstein incarne Colette, superbe en artiste recluse dans un mas provençal depuis un chagrin d’amour et qui se redresse l’échine quand elle croise le chemin du duo principal qui sollicite ses talents de faussaire. Une fois n’est pas coutume : Didier Bourdon, qui interprète André Molrat, un politicien corrompu, imbu de sa personne, ne finit pas nu. Restant bien engoncé dans son costume cintré, il renoue avec des personnages plus denses. Tout aussi rocambolesque et burlesque, BFM (Baptiste Lecaplain), un lanceur d’alerte, catalogué de complotiste, annonce le réchauffement climatique et une pilule miraculeuse qui permettrait aux femmes d’avoir une sexualité épanouie et libérée sans la peur de tomber enceinte. Bref, un doux rêveur aux idées saugrenues et inénarrables mais illusoires pour les hommes en uniformes qui l’entourent. La course pour retrouver la Joconde volée amènera cette fine équipe de fins limiers improvisés à rencontrer Mona, l’arrière-arrière-arrière-arrière… petite-fille de Mona Lisa, incarnée par Isabelle Adjani qui prend la pose en scrutant de son regard ténébreux, comme son ancêtre, qui ose la mirer.

D’aucuns jugeront cette version cartographique de Natacha (presque) hôtesse de l’air trop féministe. Pourtant, Noémie Saglio réussit avec maestria de dire beaucoup sur la société et sur son évolution sur le ton de la comédie, ce qui n’est pas une maigre gageure. Certaines scènes font penser à Arrête-moi si tu peux (Catch Me If You Can, 2002) grâce au travail effectué sur la photographie par Nicolas Massart qui rend l’image lumineuse et organique, mettant en relief les personnages dans leurs costumes colorés.

À savourer comme un bonbon acidulé explosif qui éveille les sens !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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