FIFF 2017 : Maryline de Guillaume Gallienne, brosse le portrait touchant d’une jeune femme « taiseuse »
Présenté ce lundi 2 octobre au Festival du Film francophone de Namur, le film Maryline était très attendu tant par le public que par la presse. Le film dérange quand il souligne les facettes multiples du monde du cinéma – lumineuses et obscures – mais il est aussi porteur d’espoir quand il démontre qu’accorder un peu de temps et de la bienveillance à une personne peut lui permettre de se révéler telle la chenille qui se mue en papillon.
C’est le deuxième film de Guillaume Gallienne en tant que réalisateur et sa deuxième participation à la compétition du festival FIFF de Namur. Guillaume Gallienne avait remporté cinq césars pour son film, Guillaume et les garçons à table !, sorti il y a quatre ans.
Maryline sortira dans les salles en Suisse en novembre prochain. En attendant que le spectateurs suisses ne le découvrent, ils peuvent se mettre en appétit avec les propos du comédien et réalisateur qui s’est entretenu, en direct sous le chapiteau du FIFF, sur la rtbf puis à l‘issue de première projection publique, avec des spectateurs venus en masse dans la plus grande salle du Caméo ce lundi soir.
Outre Adeline D’Hermy, figurent au casting Vanessa Paradis, Xavier Beauvois, Eric Ruf et Alice Pol. Guillaume Gallienne, comédien hyperactif, anime « ça ne peut pas faire de mal » sur Inter, une émission dans laquelle le sociétaire du la Comédie-Française lit de grands textes de littérature. En fin d’année, il partira enseigner aux États-Unis : « J’avais besoin de faire une pause artistique pour me retrouver.».
« J’ai joué pendant trois ans Lucrèce Borgia, mise en scène par Denis Podalydès au théâtre. C’était un rôle éprouvant : quand Lucrèce se fait violer par plusieurs hommes, on me disait : « C’est de la fiction ! » Mais, émotionnellement, c‘est bibi qui jouait la la scène. Dans le rôle de la célèbre empoisonneuse, je donnais la réplique à la jeune comédienne Suliane Brahim dans celui de son fils Gennaro. Lucrèce, figure de monstre qui cache un cœur de mère en quête de rédemption. Tout au long de la pièce, Lucrèce tente de révéler à Gennaro, le fils adoré élevé loin d’elle, qu’elle est sa mère. »
Le succès remporté par son premier long métrage l’a-t-il changé ?
« Quand Les garçons et Guillaume, à table ! est sorti, une certaine presse m’a catalogué, m’a attribué des étiquettes et cela m’a vraiment contrarié; d’ailleurs, quand j’enregistre à Inter pour l’émission, j’enlève le casque pendant l’enregistrement; ça me permet de ne plus être en liaison avec ce petit cerveau de l’acteur qui se conforte dans le charme. Je n’écoute jamais mes émissions; pour moi, il y a ni avant ni après. »
Le journaliste de la rtbf lui demande de parler de sa fameuse voix, ce timbre si particulier qui le rend immédiatement reconnaissable :
« Quand j’étais gosse, j’imitais la voix de ma mère. Mon père m’a emmené chez une orthophoniste très célèbre, Claude Fugain, brillantissime qui disait que si Chaban-Delmas l’avait connue à l’époque il aurait été élu président de la république. La première fois qu’elle m’a rencontré, elle a concédé avec gentillesse et délicatesse qu’il y avait un gros dossier à traiter. (rires). Ma voix précieuse irrite pas mal de gens et parfois m’agace moi-même. Heureusement, pour tenir avec toutes ces pressions, j’ai des gens formidables chez moi à la maison qui m’aident. »
Et ce second long métrage ?
« Le film Maryline montre quinze ans de la vie d’une jeune femme qui a quitté son village natal pour monter à Paris afin de devenir comédienne mais son parcours va être difficile, douloureux, chaotique. Pour incarner Maryline et cette chronique de vie, j’avais immédiatement songé à Adeline D’Hermy de la Comédie-Française. J’ avais l’idée de ce film depuis plus de quinze ans, c’est une femme que j’avais rencontré et qui m’avait raconté son histoire, son vécu qui était ce que je porte à l’écran avec Maryline. Mais je me suis abstenu de donner certains détails qui étaient nettement pires dans la vraie vie de cette femme. D’ailleurs, elle a vu mon film et était très émue de voir ce que j’avais réussi à porter l’écran puisqu’il a eu quinze ans de gestation; évidemment j’ai ajouté des éléments que j’avais recueillis de-ci, de-là: par exemple, l’anecdote de Jeanne Moreau quand elle a pris entre quatre yeux une actrice qui était malmenée par la profession et qu’elle a demandé d’avoir un moment avec elle en tête-à-tête pour lui parler. Bien évidement, je ne peux pas révéler l’identité de la personne qui m’a inspiré ce film. »
Et le voix d’Adeline D’Hermy ?
« Ça faisait longtemps que je souhaitais écrire un rôle pour Adeline qui est vraiment magnifique et qui incarne avec la grâce puisqu’elle a fait de la danse. Elle a vraiment une gestuelle et des mouvements très fluides. Quand elle doit monter sur scène et faire l’oiseau en tant qu’enfant, on la retrouve après en tant qu’adulte où elle a ses gestes de volatile, des gestes très aériens. Pour moi Adeline était la comédienne qui pouvait incarner le rôle de cette femme modeste, taciturne. »
Et le choix d’une protagoniste qui veut être comédien mais ne trouve pas les mots ?
« J’ai une fascination pour les gens qui souvent subissent la hargne, la colère, la violence des autres parce qu’ils n’arrivent pas à exprimer par les mots ce qu’ils ressentent. Ce qui m’a intéressé le plus est de porter ce sujet à l’écran, de parler d’une femme modeste mais qui n’a pas les mots pour se défendre; ça me touche énormément les gens qui n’ont pas les mots pour se défendre; moi qui suis très loquace et qui ai de l’aisance avec les mots, trop d’ailleurs, ça me touche énormément. Je voulais rendre compte de la violence que ces personnes pouvaient ressentir de ne pas pouvoir s’exprimer et la violence qu’ils provoquent parfois chez les autres qui n’arrivent pas à les comprendre.
Si on essaie de prendre le temps de leur donner du temps avec bienveillance, on peut aider à transformer une personne comme la fée dans Cendrillon. Tout d’un coup, elle peut juste libérer cette personne, juste libérer la parole. Il suffit parfois de peu de choses mais il faut en avoir le pouvoir et la délicatesse. »
Votre film montre à la fois le côté bienveillant de certaines personnes aussi le côté violent et malveillant d’autres personnes, comme, par exemple ce metteur en scène et cinéaste exécrable, odieux qui dénigre et insulte cette jeune actrice …
« J’ai été enseigné dans des ZEP, des zones au sens propre et figuré. J’y ai découvert des jeunes dont le vocabulaire était limité à deux cents mots. Donc évidemment, quand on n’a pas les mots pour s’exprimer, pour se défendre et pour répondre, on en vient à la violence et au coups de poing. Avec Alexandre Jardin, nous avons créé une association, « Lire et faire lire », pour permettre à ces jeunes, en particulier les jeunes qui ne connaissaient que le milieu carcéral, d’être initiés à la lecture et de trouver peu un peu plus d’aisance de communication grâce aux mots.
A l’issue de la projection, le public reste dans la salle et se lance dans une série de questions; un spectateur demande si le film est thérapeutique puisqu’ils montre toutes les facettes, à la fois lumineuse et obscures, du monde du cinéma … Guillaume Gallienne répond avec humour :
Non, non , absolument pas ! Je paie quelqu’un pour le faire, d’ailleurs depuis plusieurs années. Il faut payer un thérapeute pour que cela marche. Or, pour Maryline, c’est moi qui ai demandé 6,3 millions. Ce film est tout sauf une thérapie mais il est aussi porteur d’espoir. Le personnage incarné par Xavier Beauvois qui est un cinéaste qui a repéré les capacités, le potentiel de Maryline lui donne sa chance et prend le temps de la comprendre. A mon avis, il suffit parfois de rencontrer la bonne seule personne au bon moment. »
Elle a beaucoup de meurtrissures beaucoup de blessures dans sa vie ?
Oui c’est une personne qu’on dirait servile mais qui est juste aimable et prête à rendre service. Elle a tendance à n’attirer que des êtres égocentriques, dépressifs qui ne peuvent pas à la rendre heureuse. »
Vous troublez les frontières entre réalité et fiction; cela vous amuse de déstabiliser les spectateurs ?
J’ai choisi d’avoir des ellipses ou des mises en scène avec des mises en abîme ou la fiction et la réalité se confondent pour permettre aux spectateurs d’avoir aussi leurs propres regards, comme dans la scène finale de Maryline : elle est enfin reconnue par des gens qu ne parlent pas; on ne sait pas si ce sont des pantomimes ou des sourds-muets. J’aime beaucoup dissoudre les frontières entre fiction et réalité mais tout est très écrit, il n‘y a aucune place à l’improvisation car je déteste me retrouver dan une telle situation et ne veut pas l’imposer à un comédien. C’est mon côté proustien mais je ne prétends pas, loin de là, me comparer à l’auteur. »
Autre question d’une spectatrice : « Pourquoi avez-vous choisi cette époque qui se situe dans les années 70 ? »
« Je voulais qu’on situe cette jeune fille en fin d’adolescence: elle est née en 54 et je la situe dans les années 70 pour qu’elle soit en avance sur son temps, pour qu’elle soit moderne.
Est-ce que depuis le succès de votre premier long métrage, vous avez d’autres attitudes à votre égard ?
Je suis venu à Namur pour mon premier long métrage. Je suis de retour à Namur pour ce second long métrage. Je vais faire énormément de promotion, surtout en province pour ce film. »
Applaudissements nourris pour Guillaume Gallienne par un public resté au-delà de minuit alors que la projection s’est terminée à 23 heures!
Firouz E. Pillet, Namur
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