Avec Rapaces, Peter Dourountzis signe un thriller journalistique qui mêle intrinsèquement féminicides et mouvements masculinistes. Rencontre
Diplômé de l’ESRA et ayant travaillé quinze ans au SAMU social, le cinéaste français avait signé un premier long métrage, Vaurien (2020), en suivant un tueur en série à la gueule d’ange, déconstruisant le stéréotype de l’agresseur et dénonçant la misogynie ordinaire. Il retrouve ces thématiques qui l’inspirent dans ce second long métrage.
Image courtoisie Cineworx
Rapaces entraîne le public aux côtés de Samuel (Sami Bouajila), journaliste, et Ava (Mallory Wanecque), sa fille et stagiaire, qui couvrent pour leur magazine le meurtre d’une jeune fille attaquée à l’acide. La rédaction de ce journal à sensation a un effectif réduit composé de Christian (Jean-Pierre Darroussin), le vieux limier de l’équipe, de Solveig (Valérie Donzelli), d’Elizabeth (Andréa Bescond) et d’Aubin (Stefan Crepon) qui couvrent toua les faits divers de l’Hexagone.
Frappé par la brutalité de ce meurtre, ainsi que par l’intérêt de sa fille pour l’affaire, Samuel décide de mener une enquête indépendante, à l’insu de sa rédaction, et part dans les Hauts-de-France où le féminicide a été commis. En rencontrant le père de Jessica, l’adolescente assassinée et en commençant à récolter des informations, il découvre des similitudes troublantes avec le meurtre d’une autre femme…
En 2002, Elodie Kulik, une jeune banquière de vingt-quatre ans, est retrouvée morte dans la Somme, après avoir été violée et brûlée vive. Une séquence glaçante de son appel aux secours sur le 17 est enregistrée. L’enquête durera plus de dix ans, marquée par une vidéo de viol retrouvée sur un téléphone, l’identification tardive d’un ADN, et un procès très médiatisé. Cette affaire emblématique a profondément marqué l’opinion publique et inspiré le premier jet du scénario de Rapaces. Mais comme les statistiques le rappellent tristement, un féminicide est commis en France trous les trois jours. D’autres affaires auraient pu, malheureusement, être à la source de ce scénario.
Le cinéaste a reçu un script basé sur l’affaire Kulik, écrit par Christophe Cantoni. Bien que fasciné par l’univers de la rédaction du magazine Détective, il rejette l’approche initiale et propose une réécriture complète pour un film plus personnel : nouvelle intrigue, nouveaux enjeux, même s’il conserve l’idée du fait divers comme moteur du récit. Le projet devient alors une réflexion intime sur la violence, en particulier celle faite aux femmes de manière quotidienne et ordinaire, l’enquête et la filiation.
Tout en laissant une part importante aux réunions de rédaction du magazine sans pour autant chercher le sensationnalisme, Peter Dourountzis réhabilite des journalistes de cette presse à sensation, souvent considérés comme des fouineurs dénués d’éthique et de sens moral. Le réalisateur a choisi de faire de ces journalistes les héros de son film pour contrer le mépris ambiant envers ce magazine. Il souligne que « l’un des détectives les plus captivants est né en 1928, et il est français. Henri La Barthe l’a imaginé de toutes pièces, et son détective à lui n’est pas un homme, mais un journal. À son heure de gloire, Détective tirait à 400.000 exemplaires par semaine ! »
Le public est plongé au cœur de la presse à sensation, dans les arcanes d’un journalisme prêt à tout, jusqu’au pire, pour décrocher un scoop. Mais rapidement, ce qui aurait pu rester une simple critique de société se mue en un thriller nerveux et tendu quand on constate l’étrange jeu de rôles entre ces journalistes et les policiers qui troquent certaines informations dont ils disposent contre des indices que les journalistes ont découverts. Bref, les rapaces sont de toute part ! Y compris dans le lectorat de Détective ou dans le public qui ira voir Rapaces, dixit le cinéaste !
Le film invite à une réflexion sur les violences faites aux femmes de manière insidieuse, intégrée dans les gestes et les situations du quotidien. Peter Doutrountzis s’intéresse à la domination masculine depuis l’adolescence, en prenant conscience de la peur que vivent les femmes dans l’espace public. Le fait divers permet au réalisateur de traiter la violence contemporaine de manière à la fois réaliste, sociétale et sociologique en incluant progressivement les masculinisées dont le phénomène prend de plus en plus d’ampleur.
Le cinéaste a choisi de développer une relation père-fille : Samuel, trop accaparé par son travail, négligeant la relation avec sa fille et Ava, qui saisira l’occasion de l’accompagner sur cette enquête officieuse pour se rapprocher de lui, lui sera d’une aide précieuse grâce à sa maîtrise des réseaux sociaux. Cette relation père-fille a pris une dynamique particulière à travers le jeu particulièrement crédible des comédien·nes. Étant naturellement bienveillant, Sami Bouajila a dû se faire violence pour rendre son personnage distant et guère attentionné afin de mieux faire émerger les tensions et les réconciliations.
Inspiré par les grands thrillers signés Spielberg, De Palma, Polanski, Pakula, ou encore les frères Coen, Peter Dourountzis a savamment évité que Rapaces soit un thriller purement stylisé pour adopter un récit chronique, centré sur des personnages imparfaits dans des situations du quotidien. Ici, le suspense naît moins des rebondissements que de la proximité, ce qui implique directement le public. Le film est soutenu par une bande-son signée Amine Bouhafa (Les filles d’Olfa, 2023), qui surprend, inspirée par les émotions, les situations, les sensations, soulevant parfois le cœur tout comme ce terrible assassinat.
Venu·es en Suisse romande pour l’avant-première du film, Peter Dourountzis et Mallory Warecque nous ont parlé du film, des féminicides, des masculinisées, des réseaux sociaux, entre autres. Rencontre:
Firouz E. Pillet
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